Économie

Toyota, ta qualité fout le camp

Temps de lecture : 6 min

Le constructeur japonais a du suspendre la vente de huit modèles aux Etats-Unis. Cette décisions sans précédent illustre la baisse de fiabilité des voitures du constructeur japonais.

Toyota, le premier constructeur automobile mondial depuis qu'il a détrôné l'américain General Motors voilà deux ans, traverse l'une des plus grandes crises de son histoire. Un problème affectant la pédale d'accélérateur de 8 modèles vendus un peu partout sur la planète a conduit le groupe japonais à rappeler au moins 7,6 millions de véhicules dans le monde. Cela représente presque l'équivalent de sa production 2009 (7,8 millions de véhicules, après près de 9 millions un an avant).

Financièrement, l'opération sera extrêmement lourde. Un analyste de la Deutsche Bank évalue les coûts directs et indirects à près de 800 millions d'euros. Elle aura des conséquences encore plus lourdes sur l'image de Toyota et sur des ventes qui pourraient reculer de plus de 20% cette année.

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Quand on a bâti son image de marque sur la fiabilité, la multiplication d'incidents mécaniques est rapidement un gros problème. Toyota en fait l'expérience. Depuis plusieurs mois, certains modèles du constructeur nippon ont montré des signes de faiblesse inquiétants, amplement relatés par la presse américaine et susceptibles d'avoir provoqué des accidents mortels.

Même si, avec plus de 200.00 modèles vendus, la Prius est la voiture qui s'est le mieux vendue en 2009 au Japon, ce modèle écolo fonctionnant à moitié à essence et à moitié à l'électricité est au centre d'une nouvelle polémique.

Une vingtaine de propriétaires américains de Prius viennent de saisir le ministère des Transports pour un problème de freins affectant selon eux ce véhicule hybride. Certains plaignants affirment avoir perdu le contrôle de leur véhicule dont les freins auraient lâchés. La technologie hybride, utilisée pour la décélération comme pour le moteur, pourrait être à l'origine du problème, affirment certains experts. Lors des freinages légers, un système de rechargement ralentit la Prius et transforme l'énergie cinétique produite en électricité, ensuite stockée dans les batteries. Pour les arrêts plus violents, le relais est passé à un système hydraulique traditionnel. Or, de fortes secousses pourraient abuser le système et lui faire relâcher les freins par mégarde. Persuadée qu'il s'agit d'un petit coup de patin, l'électronique de certaines voitures ne déclencherait pas le freinage avec la force requise. Cette thèse reste toutefois à démontrer.

Du côté de Toyota, on indique avoir ouvert une enquête pour déterminer «le plus vite possible» les causes des dysfonctionnements constatés sur la Prius 2010.

Quelles conséquences cet incident aura-t-il pour les conducteurs français qui ont commandé une Prius? Pourquoi cette détérioration dans la conception de différents modèles du premier constructeur mondial? Contacté à de nombreuses reprises, Toyota France n'a pu trouver, dans les temps, quelqu'un habilité à s'exprimer sur la fiabilité, jadis légendaire, de ses produits.

Le problème que Toyota rencontre avec la Prius n'est pas le seul du genre. En septembre, la firme a rappelé 3,8 millions de véhicules aux Etats-Unis, notamment par crainte que la pédale d'accélération se coince dans le tapis de sol, déclenchant ainsi une course folle des véhicules. Cette modification fait suite à une enquête de la NHTSA (National Highway Traffic Safety Administration,), lancée après la mort, en août 2009, de quatre personnes dans une Lexus ES350. La voiture roulant à pleine vitesse avait alors percuté un 4x4 à près de 200km/h et fait plusieurs tonneaux avant de prendre feu. Le conducteur ne serait pas parvenu à stopper son véhicule à cause de la pédale d'accélérateur coincée sur le rebord du tapis de sol en caoutchouc (de type «tout temps»). Selon la presse américaine, d'autres cas similaires auraient été recensés.

Le rappel en cours permettra d'installer des pédales d'accélérateur à la forme redessinée et de remplacer les tapis de sol sur des modèles de Lexus, mais également sur la Camry, l'Avalon, la Prius, la Tacoma et le Tundra (plus de 100.000 modèles de ce pick-up ayant, par ailleurs, fait l'objet d'un autre check-up, cette fois pour des problèmes de corrosion). L'ajout d'un nouveau système coupant automatiquement le moteur en cas d'appui simultané sur l'accélérateur et le frein est aussi envisagé.

Ces modifications, dont le coût total a été évalué à 300 millions d'euros par un quotidien japonais, s'étaleront dans le temps. D'ici là, les conducteurs sont invités à enlever leur tapis de sol et à conduire avec une extrême prudence, ce qui fait désordre de la part d'un constructeur dont la promotion s'appuie sur le fameux «zéro défaut».

Multiplication des rappels

En Europe, l'image du N°1 mondial commence aussi à s'écailler. Lors des crash-test EuroNCAP, le petit Urban de Toyota n'a obtenu que 3 étoiles, en raison d'une très faible moyenne dans la protection des adultes (58%), soit la pire note du constructeur nippon depuis une décennie. Toyota avait pourtant pris l'habitude de rouler sur le pavé réservé aux voitures les plus sûres avec 5 étoiles EuroNCAP décernées à l'Avensis, l'iQ et la Prius.

En France, l'année dernière, le constructeur a notamment procédé à une «opération technique» (comprendre: un rappel) portant sur un défaut sur le prétensionneur de la ceinture de sécurité, susceptible de prendre feu si la ceinture s'enroule rapidement en cas de collision. Plus de 40.000 propriétaires ont été concernés par ce problème potentiel.

Toyota n'est pas le seul constructeur à multiplier les rappels. Aux Etats-Unis, les plus grosses opérations de l'histoire ont été menées par Ford et, en Europe, tous les constructeurs procèdent à l'identique. Pour ne citer que cet exemple, Fiat a annoncé en décembre 2009 avoir rappelé environ 500.000 modèles Grande Punto et Grande Punto Abarth dans toute l'Europe pour les contrôler du fait d'une «possible anomalie» au niveau de la colonne de direction. En France, 32.000 voitures sont concernées. Dans la mesure où elles permettent d'améliorer la sécurité des conducteurs, ces procédures sont une bonne chose. Reste que ces retours au garage sont mal perçus quand ils émanent d'un constructeur comme Toyota dont les voitures, peu sexy, sont surtout achetées pour leur réputation de fiabilité.

En pleine crise économique, ces problèmes tombent mal pour le géant japonais qui a plus que jamais besoin de conserver sa réputation pour relancer ses ventes. Dans le rouge, Toyota a récemment indiqué que résultat net au premier trimestre 2009/2010 ressort en perte de 77,8 milliards de yens, contre un profit de 353,6 milliards de yens sur le premier trimestre 2008/2009. C'est le troisième trimestre consécutif que le constructeur affiche des pertes nettes.

En France, la marque a vendu 91.284 voitures de tourisme (Toyota et Lexus) et utilitaires légers (VUL Toyota) en 2009 contre 100.031 en 2008, soit une baisse de ses ventes de 8,7%. Le constructeur se place au 6e rang du classement par marques, derrière les trois marques françaises, VW et Ford, avec un peu plus de 4% des parts de marché. En 2010 Toyota parie néanmoins sur la reprise du marché et il est vrai que, malgré ses déboires, la marque a toujours quelques longueurs d'avance vis à vis de certains des concurrents.

En France, deux marques appartenant au groupe Toyota viennent de décrocher le meilleur indice de fiabilité en 2010 selon le classement établi par l'UFC Que Choisir. Même si Dacia se hisse à la troisième marche du podium, Renault et Peugeot sont reléguées au-delà de la vingtième place. Voilà qui laisse de la marge à la firme au trois ellipses!

Didier Laurens

LIRE EGALEMENT SUR L'AUTOMOBILE: Toyota contraint de remplacer 3,8 millions de pédales d'accélérateur, Pourquoi Toyota vend une voiture à 250 000 euros?, Réinventer l'automobile et Les cartes de l'industrie automobile se déplacent.

Image de Une: La pédale d'accélérateur à l'origine des problèmes de Toyota Robert Galbraith / Reuters

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