Dans le cas de Laeticia Hallyday, c’est fascinant de voir comment la presse people et les fans l’ont faite passer d’un rôle à un autre. Souvenez-vous, il y a dix jours, Laeticia était une sainte, une épouse entièrement dévouée à son mari, qui a supporté ses infidélités et ses abus en tout genre dans un esprit de sacrifice qui ferait passer la Vierge Marie pour une petite arriviste. Et voilà que brusquement, c’est une femme vénale, manipulatrice et sans coeur. Conséquemment, la figure de Johnny Hallyday a aussi changé. C’était un homme fort, un homme qui avait ses démons intérieurs mais qui était un roc. Maintenant, c’est un homme faible et manipulé. (Et accessoirement, c'est surtout un homme mort que tout le monde fait parler).
Un conte de fées?
Ce retournement est facilité par un élément simple: la réactivation de la figure de la marâtre tirée des contes qu’on a tous lus ou vus quand on était petit. Hasard complet, j’ai offert cette semaine à mes enfants un magnifique livre des contes des frères Grimm. L’occasion de se replonger avec délices dans :
- Hansel et Gretel, l’histoire d’un père remarié que sa nouvelle épouse convainc d’abandonner ses enfants dans la forêt parce qu’il n’y a pas assez de pain pour quatre, mais qui finit bien puisque les enfants retrouvent leur père et que la belle-doche meurt.
- Cendrillon, l’histoire d’un père qui se remarie avec une très méchante femme qui force sa belle-fille à passer le balai.
- Et bien sûr Blanche-Neige, l’histoire d’un père qui se remarie et dont la nouvelle épouse percluse de jalousie envers sa belle-fille demande à un chasseur de la tuer et de lui rapporter son coeur et ses poumons.
Historiquement, le rôle de belle-mère est lié à l’histoire des femmes. Il se développe à cause de l’importante mortalité des femmes en couches. Elles faisaient des enfants, en mourraient souvent et l’époux se remariait. Tous les apprentis généalogistes connaissent l’histoire par coeur.
D’un point de vue psychanalytique, Bruno Bettelheim a insisté sur le bénéfice du traitement négatif de la figure de la belle-mère dans les contes. Elle fonctionnerait en fait comme une division de la figure maternelle en deux: la gentille et la méchante. La marâtre des contes qui maltraite les enfants leur permettrait de canaliser la violence qu’ils peuvent ressentir envers la figure maternelle. Elle serait une mère qu’on a le droit de haïr. Ce que Bettelheim avait peut-être sous-estimé, c’est le nombre d’adultes qui ne se défont jamais de ce schéma binaire.
Une femme qui ne parvient pas à avoir d'enfant «naturellement», c’est forcément suspect
Concernant Laeticia Hallyday, on peut penser qu’un autre élément joue, inconsciemment, contre elle: ses problèmes de stérilité. D'ailleurs, dans Blanche-Neige, il est précisé que la marâtre ne peut pas enfanter. Laeticia Hallyday a souvent évoqué ses nombreuses fausses couches qu'elle explique par l'anorexie. Mais une femme qui ne parvient pas à avoir d'enfant «naturellement», c’est forcément suspect, comme si quelque chose en elle était malfaisant. Et ce soupçon se retrouve plus profondément dans un autre aspect: il y aurait la famille de sang, la vraie; et l’autre famille, faite de pièces rapportées.
C’est fou le nombre de fois où cet argument revient dans les discussions entre fans sur les comptes Instagram des intéressés: «Pour moi la famille c est héritage pour tout le monde que ce soit pour les petites adoptées comme les enfants légitimes?» Ou «Soutien pour la belle Laura et David ❤❤ les deux enfants de Johnny #sangpoursang». (Et bien sûr, on arrive très vite aux propos racistes envers les petites: «J'espère que tu paiera pour toute tes saletés, tu as crachés sur les enfants de la France».)
Parce que c’est absolument inconcevable qu’un père ait déshérité ses enfants de sang au profit de la marâtre et des enfants adoptives d'origine asiatique –même si les déshérités en question sont des adultes pas exactement dans le besoin. Et comme les seules personnes capables de s’engueuler sur le sujet sont des fans de Johnny Hallyday qui partent du postulat qu’il était merveilleux et que donc il doit répondre à leurs critères personnels de l’homme merveilleux, une seule conclusion s’impose: il n’a pas pu faire ça. (Même si en vrai, il l’a fait et que la question légale sera de savoir si c’est valable).
Le plus merveilleux dans la puissance d’évocation psychanalytique de ces contes, c’est qu’on en oublie qu’au fond, il s’agit surtout de gens riches qui s’engueulent avec d’autres gens riches pour avoir plus d’argent. Peu importe comment tout cela se règlera. Aucun enfant ne sera abandonné, affamé, au fond d’une forêt.
Ce texte est paru dans la newsletter hebdomadaire de Titiou Lecoq. Pour vous abonner, c'est ici. Pour la lire en entier: