France

Les attendus de Parcoursup enterrent-ils le principe de non-sélection à l'entrée en fac?

Temps de lecture : 6 min

Parcoursup, le nouveau dispositif d'inscription des bacheliers dans l'enseignement supérieur, introduit des «attendus», fixés par les universités pour l’entrée dans chaque licence.

Manifestation de lycéens à Paris, le 1er février 2018 | Thomas Samson / AFP
Manifestation de lycéens à Paris, le 1er février 2018 | Thomas Samson / AFP

Cette année encore, les lycéens ont de janvier à mars pour remplir leurs vœux sur les plateformes informatiques d’inscription dans l’enseignement supérieur.

À mon époque, pour les terminales de région parisienne, la procédure se faisait sur Minitel grâce au 3614 Ravel. De 2009 à l’année dernière, c’était Admission post-bac (APB) pour tout le monde. Aujourd’hui, la plateforme s'appelle Parcoursup; elle introduit quelques grandes nouveautés dans l’orientation des bacheliers.

Une notion vaste et floue

Dans Parcoursup, il faut enregistrer ses vœux et sous-vœux en prenant désormais en compte un système de conditions pour les filières les plus demandées: les attendus, formulés par les universités pour pouvoir s’inscrire dans tel ou tel cursus.

Pour le moment, le terme «attendus» n’est pas vraiment entré dans le vocabulaire courant et reste un mystère pour le commun de mortels; la plupart de mes collègues journalistes non spécialistes de l’éducation ne savent tout simplement pas de quoi il s’agit.

«Attendu» est le terme qui a remplacé celui de «prérequis», jugé un peu trop technique. Je trouve toujours surprenant de voir des termes appartenant au jargon pédagogique s'imposer dans le langage tenu par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche aux parents d'élèves.

En pédagogie, un «prérequis» renvoie aux connaissances et compétences (savoir poser une opération, résoudre un problème, comprendre le sens d’un texte...) que l’élève doit maîtriser pour passer à l’acquisition des suivantes –il faut par exemple avoir compris le principe de la multiplication et savoir faire une soustraction pour apprendre la division.

Les attendus seraient à peu près la même chose, mais pour entrer à l’université. La notion est à la fois plus vaste et plus floue, et son sens exact risque de nous échapper encore longtemps.

Filières en tension

Vous avez peut-être tendance à penser –comme moi– qu’être titulaire du baccalauréat implique déjà de remplir les «attendus» pour rejoindre l'enseignement supérieur, le diplôme étant censé garantir l’accès à l’université. Comme l'explique la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Frédérique Vidal, «l’université reste ouverte à tous, le bac reste le passeport d’entrée dans le supérieur».

Sauf qu'il ne garantit pas une place dans les filières dites «en tension», celles qui ne peuvent répondre à toutes les demandes qui leur sont adressées: «Dans le cas où il manquerait des places, on acceptera prioritairement ceux dont le profil est le plus cohérent avec la formation choisie».

Ces filières très demandées sont connues: ce sont les STAPS (sciences et techniques des activités physiques et sportives, qui permettent de devenir professeurs d’EPS, entraîneur ou de travailler dans le domaine du sport), le droit, la psychologie

L’année dernière, devant l’afflux de demandes, certaines universités ont dû procéder à des tirages au sort entre les étudiants, un procédé choquant et injuste s’il en est. D’une manière générale, l’université a du mal à faire face à l’afflux d’étudiants supplémentaire –ce fut particulièrement le cas à la rentrée 2016. Et la situation ne va pas aller en s'arrangeant: la France devrait compter 350.000 étudiants supplémentaires d’ici à 2025.

Comment est-il possible qu’un pays qui possède d’aussi bons services statistiques et qui a planifié la réussite de 80% d’une génération au baccalauréat depuis 1984 soit si surpris de voir son nombre d’étudiants à l’université augmenter? N'aurait-on pas vu arriver les étudiants supplémentaires, alors que 99% d’entre eux fréquentent l’école depuis la maternelle? Il semble que l'adage selon lequel «gouverner, c’est prévoir» n’est plus respecté depuis longtemps.

Options, séjours à l'étranger et engagement associatif

En attendant d’hypothétiques constructions de nouvelles universités –il en faudrait dix– et l'allocation de moyens supplémentaires, les universités devront se débrouiller pour fixer leurs critères de sélection.

Certains d'entre eux sont évidents: «aptitude à la logique» en droit, «compétences scientifiques» en physique, «bon niveau rédactionnel» en lettres... Mais la situation peut rapidement se compliquer, la définition des critères étant laissée à la discrétion des universités.

Encore en cours d’élaboration dans quelques facs, ils se révèlent déjà être très variés, comme le montrent nos confrères de l’Étudiant:

«Pour départager des dossiers similaires, les universités valoriseront aussi certains éléments du parcours de lycéen en cohérence avec la formation demandée. En droit, à Cergy-Pontoise, il pourra s'agir des cours de latin ou grec suivis jusqu'en terminale ou encore le fait d'avoir été en classe européenne ou en section internationale. De même, les options “Droit et grands enjeux du monde contemporain” en terminale L et “sciences sociales et politiques"” en ES seront considérées comme un plus dans le parcours de l'élève. L'université d'Aix-Marseille tiendra compte des séjours à l'étranger, de l'engagement citoyen ou associatif… À Bordeaux, en STAPS, les éléments permettant d'apprécier les compétences sportives ou l'investissement associatif seront pris en compte dans l'analyse des dossiers, comme les licences ou le BAFA. Pour certaines formations, un CV détaillant tous ces éléments est ainsi demandé.»

Justifier de compétences sportives pour s’engager dans des études en STAPS semble effectivement de bon aloi, mais plusieurs questions se posent en observant la diversité des attendus.

Vers un renforcement des inégalités

Ce nouveau mode de sélection renforce les inégalités entre les bacheliers. Beaucoup des attendus n’ont pas grand-chose à voir avec le parcours scolaire. Est-on obligé de parler de cursus, de CV pour des élèves qui sortent de l’école? Je crois qu’en terminale, je n’aurais rien pu dire qui ne soit indiqué dans mon dossier scolaire, à moins de faire la liste de mes colonies de vacances et de mes goûts musicaux.

La capacité à se valoriser et à mettre ses atouts en avant est très variable suivant les individus; elle recoupe des compétences sociales qui n’ont sans doute pas à entrer en compte comme critère de jugement dans un pays déjà très inégalitaire scolairement –nous sommes champions en la matière.

Les activités extra-scolaires dépendent hélas encore beaucoup du milieu d’origine et de l’engagement familial dans le parcours de l’enfant, notamment financier: les inscriptions en club de sport, en cours de musique... ont un coût. De même, faire des «séjours à l’étranger» un attendu confirmé relève purement et simplement du tri social.

Cette sélection pose également la question de l’anticipation: à quel âge est-on censé commencer à préparer son orientation et cocher les bonnes cases des attendus? Est-ce vraiment trop tard de choisir une voie à 18 ans?

Un recrutement basé sur les compétences sociales et les activités extra-scolaires s’opère déjà dans de nombreuses filières sélectives et à l’entrée des grandes écoles. Science Po et l’Essec –entre autres– ont dû créer des dispositifs d’ouverture sociale tant il leur était impossible d'offrir autre chose qu’un entre-soi de privilégiés à leurs étudiants. Ce sera désormais peut-être aussi le cas dans certaines universités.

Valeur du diplôme

Toutes les universités ne seront sans doute pas aussi sélectives: seulement une partie des filières sont «en tension», dans quelques villes. À ce titre, on peut craindre le retour du débat sur la différence de valeur des diplômes, comme l'explique la sociologue Annabelle Allouch, auteure de La société du concours:

«Les attendus différenciés sont une manière d'objectiver et de mettre en scène les différences et les hiérarchies entre les universités. On suppose alors que certains établissements vont investir les critères (leur nombre élevé, leur nature) comme un élément qui met en scène leur prestige ou leur désirabilité. Les universités qui refusent de jouer le jeu de la réforme vont se trouver reléguées, faute d'avoir des critères clairs.»

Le problème existe depuis longtemps, mais la hiérarchie du supérieur risque de s’en trouver renforcée. En matière de choix voire de «marchés» scolaires, la sociologie nous apprend que les individus s’orientent en fonction de leur niveau d’information, de leur sens tactique –des facteurs très dépendants de leur origines sociales. On le sait, les stratégies éducatives sont l’apanage des catégories les plus favorisées.

Comble d'une situation déjà préoccupante, la définition des attendus semble s’élaborer dans une inquiétante précipitation. Un professeur de droit d’une grande université confie:

«On est quand même super dans le brouillard: nos attendus sont hyper généraux, assez idéalisés par rapport au niveau réel en licence et on ne sait absolument pas comment on va les paramétrer dans la machine... Mais je ne dirais pas ça publiquement, pour ne pas inquiéter les lycéens et leurs familles.»

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