Un bracelet ultrasonique qui donne «périodiquement» de petites impulsions à celui qui le porte, histoire de le rappeler à l'ordre ou, en termes plus techniques, afin de «surveiller une performance relative à des tâches assignées»: c'est l'objet pour lequel Amazon vient d'acquérir deux brevets.
Il n'est pas (encore?) dit qu'Amazon ait prévu de les fabriquer et de les faire porter à ses employés dans les grands entrepôts, mais la notice détaillée est là, qui décrit le fonctionnement et les parcours hypothétiques de ces signaux ultrasoniques visant à améliorer la gestion des inventaires et l'efficacité des travailleurs.
Surveillance
«En théorie, la technologie proposée par Amazon émettrait des impulsions produites par ultrasons et des transmissions radio pour suivre la localisation des mains d'un employé en relation avec les corbeilles d'inventaire, et fournir un “retour haptique” pour orienter le travailleur vers la corbeille correcte», décrit le New York Times.
Pour l'entreprise, la technologie permettrait surtout de rationaliser les tâches les plus chronophages en guidant l'employé dans ses moindres faits et gestes, afin qu'ils ne soient pas perdus.
La divulgation de ces brevets –alors qu'Amazon vient de publier une liste de vingt villes où elle pourrait établir un second siège, dans lequel elle prévoit d'investir cinq milliards de dollars et qui créerait 50.000 emplois– ravive encore le débat entre sécurité et vie privée, toujours d'actualité dans cette entreprise régulièrement confrontée à de nombreuses dénonciations concernant les conditions de travail de ses employés.
Robotisation
L'installation d'un tel système de surveillance, qui vient en renfort d'un environnement de travail déjà saturé par les caméras et les chronomètres, rapprocherait encore un peu plus le travail humain d'un travail de robot.
«Après un an de travail sur le terrain, j'avais l'impression d'être devenu une version des robots avec lesquels je travaillais», déclarait ainsi au New York Times Max Crawford, un ancien employé d'Amazon ayant travaillé dans un entrepôt en Grande-Bretagne.
C'est déjà ce que racontait en novembre dernier Alan Selby dans le Daily Mirror, après une enquête en immersion un peu romancée mais non moins accablante sur la «gestion des ressources humaines» de l'entreprise.
Racontant le quotidien d'employés effondrés de fatigue face à une cadence ininterrompue, le reporter résumait le fonctionnement du géant pour lequel les employés les moins performants sont vite remplacés:
«Amazon a reconnu que les humains sont la partie la moins efficace de l'opération —elle gagne plus d'argent en traitant ses travailleurs comme des biens consommables.»
Dépossession
Les bracelets ultrasoniques ne sont pourtant pas une franche innovation. Le gain de temps, compte tenu des techniques de rationalisation déjà en place, serait probablement minime quoique réel.
D'anciens et actuels employés d'Amazon déclaraient d'ailleurs au New York Times que «l'entreprise utilisait déjà une technologie de suivi similaire dans ses entrepôts», et qu'ils ne «seraient pas surpris si elle mettait ces brevets en pratique».
Ce que ces outils de travail «individualisés» apporteraient en revanche, c'est bien un sentiment encore renforcé de contrôle permanent, exercé non pas seulement sur leurs performances, mais sur leur propre corps –une forme de dépossession du travail, poussée à l'extrême par les possibilités offertes par les nouvelles technologies.
«La technologie robotique n'est pas encore au point, alors en attendant, ils vont utiliser des robots humains», estime Crawford.
Amazon a fait savoir que «les spéculations autour de ce brevet sont infondées». L'entreprise précise également:
«Tous les jours dans le monde entier, de nombreuses entreprises utilisent des scanners portables pour faire l’inventaire et préparer des commandes. Cette idée, si elle devait être implémentée dans le futur, faciliterait le travail de nos collaborateurs au sein des centres de distribution. Transférer un équipement de ce type au poignet des collaborateurs pourrait libérer leurs mains des scanners et leurs yeux des écrans d’ordinateurs.»