Égalités / France

Au nom de quoi une chirurgie esthétique serait-elle ratée?

Temps de lecture : 8 min

Le nouveau visage de Rachida Dati a provoqué un déluge de commentaires. Ni bienveillants, ni légitimes.

Rachida Dati, le 23 janvier 2018. |
Raymond Roig / AFP
Rachida Dati, le 23 janvier 2018. | Raymond Roig / AFP

«Un désastre», «une cata’», «un monstre», «hihihi mais quelqu’un lui dit qu’elle est DÉGUEULASSE, la pauvre». Voilà ce qu’on lit, ou entend, à propos de Rachida Dati depuis ses récentes apparitions TV. Même le Figaro.fr relaie une vidéo issue du site Non stop people, intitulée «Rachida Dati méconnaissable, son visage transformé».

Des commentaires que subissent toutes les femmes célèbres soupçonnées d’avoir «abusé de la chirurgie esthétique». Ricaner ou faire semblant de s’émouvoir voire de s’inquiéter de la santé mentale des femmes ayant choisi de modifier leur apparence avec l’aide de la médecine, surtout si ces transformations sont trop visibles à nos goûts, est une pratique répandue, notamment dans la presse people, et peu questionnée, alors même qu’elle repose sur les mêmes fondements que le body-shaming. Y-a-t-il une grande différence entre dire d’une femme qu’elle est trop grosse, trop mince, trop petite, trop sexy, pas assez sexy et dire d’une femme qu’elle est laide parce que trop transformée par le bistouri? Dans chacun de ces cas, le corps féminin est objectivé, soumis à validation, disséqué. Quasi littéralement.

Ainsi, le Daily mail, certes pas réputé pour sa bienveillance, a jugé tout a fait opportun de soumettre une photo de l’actrice Gillian Anderson à des «experts» charger de spéculer sur les opérations qu’elle aurait subies. Le résultat n’est pas loin de rappeler les gravures de bœuf à la découpe de chez le boucher.

La presse féminine, pas avare d’appels à laisser les femmes et leur physique tranquilles et qui n’est pas à une contradiction près, se repait également d’articles ou de diaporamas putassiers sur «Ces stars qui ont abusé du bistouri». Et Grazia d’écrire d’Uma Thurman et sans nous avoir demandé notre avis qu’«elle ne ressemble plus du tout à l'actrice que l'on a l'habitude de voir (et d'aimer)». Comme si l’affection portée à une comédienne ou à une chanteuse était directement corrélée à sa seule apparence physique, et qu’elle nous trahissait en ne restant pas fidèle à l’image que l’on a d’elle.

Chez Marie-France, on a choisi de publier un classement des «20 stars qui auraient dû s’arrêter avant». Dans ce genre de classements, on ne verra que les faciès jugés ratés. Il y aurait une bonne et une mauvaise chirurgie esthétique. Celle qui a le bon goût de ne pas trop se voir tout en conservant le visage de la femme concernée dans un joli bain de formol pour que l’on puisse continuer à l’«aimer» . Et un autre, la mauvaise chirurgie, la vulgaire, la tapageuse. Celle qui se voit comme le nez en trompette au milieu de la figure. Celle qui «défigure» justement. Beaucoup se demandent alors comment la «victime» fait pour ne pas voir qu’elle a été saccagée. Voire, comment Rachida Dati, Cher, ou Kim Novak osent apparaître publiquement avec ce visage-là, qui ne nous plait guère, à nous. On flaire la dysmorphophobie, le déni, le mépris de soi, la folie même, avec l’air de ceux à qui on ne la fait pas. On sait nous, à quoi doit ressembler une femme, et c’est pas à ça.

Disposer de son corps comme on l’entend

Je vais être franche, il m’est aussi arrivé de glousser devant une bouche épaisse et suspecte, ou de dire que quand même «Renée Zellweger était tellement plus mignonne avant». De soumettre, donc, à ma validation, le physique d’une autre femme, alors que j’ai sèchement remis en place un homme qui m’avait suggéré de «me remplumer un peu». Et si Rachida Dati, Renée Zellweger et les autres avaient parfaitement conscience de ce à quoi elles ressemblent? Mieux, et si elles étaient satisfaites de leur apparence parce qu’elle reflète leur être et leur paraître. Que la chirurgie a harmonisé leur image intérieure (une femme avec le front lisse, des lèvres très charnues, qui ne paraît pas son âge ou pas d’âge particulier…) et leur image extérieure. C’est leur droit le plus strict.

Disposer de son corps comme on l’entend, c’est aussi, si on le souhaite, le soumettre au bistouri, au botox, le combler, l’amputer de gras ou d’os. Si ça leur apporte quelque chose, (de la confiance en soi, du bien-être…), franchement... Qu’est-ce que ça nous enlève, à nous, le fait que Rachida Dati ait décidé de subir telle ou telle intervention? Strictement rien. On n’aurait pas idée d’aller vérifier qu’elle a bien les dents saines, mais on agit comme si l’enveloppe extérieure d’une femme était l’affaire de tous.

L’un des atours dont se pare le bashing des femmes botoxées, c’est l’idée qu’elle ferait du mal à la cause. Qu’elles ont tant et si bien intégrés les normes et diktats gouvernant l’apparence, qu’elles sont les victimes consentantes de l’injonction du corps parfait et les complices d’une forme de sexisme.

Peut-être.

Peut-être que si la société ne passait pas son temps à dire aux femmes qu’il faut paraître jeune, belle et fraiche, la clientèle des chirurgiens esthétiques seraient moindre et moins genrée. Peut-être aussi que le fait qu’une actrice n’ayant pas perdu ses kilos de grossesse soit jugée «décevante» participe au phénomène et que se faire liposucer , c’est en quelque sort capituler.

Un raisonnement paresseux et paternaliste

Le problème c’est que nous n’avons en tête que ce prisme là: les femmes ne seraient que les victimes d’une forme de charge esthétique, ou des «beauty junkies», pas des actrices consentantes de ces changements. Il est aisé d’opposer le recours à la chirurgie esthétique au féminisme. Pourtant, le raisonnement est paresseux et paternaliste: il consiste à dire que l’on sait mieux qu’une femme ce qui est bon pour elle. Souvent combattue par les féministes, la chirurgie esthétique peut aussi procéder d'une démarche féministe: les femmes qui y ont recours ne feraient pas que réparer une faille narcissique –modeler et modifier, même si c’est par l’entremise d’autrui, est une manière de s’approprier son corps. Posséder son corps, l’habiter, ça n’est pas que le «body positive», consistant à s’assumer. Quitte à se forcer et à s’imposer une nouvelle injoncton: «Aime-toi comme tu es!».

Si je ne m’aime pas comme je suis, que je peux y changer quelque chose (et en avoir les moyens, la chirurgie esthétique étant réservée à une élite), je ne vaux pas moins qu’une fille qui porte haut ses kilos ou ses rides. Ne remplaçons pas un diktat par un autre. Le même procédé est d’ailleurs appliqué avec d'autres artifices: on encourage les femmes à ne pas se maquiller, en célébrant celles qui ont fait ce choix. Et tant mieux pour elles. Mais si moi, j’ai envie de me maquiller, est-ce que ça fait de moi une traîtresse?

Enfin, oui: les hommes dont le passage chez le chirurgie esthétique a donné des résultats spectaculaires sont eux aussi moqués. Les frères Bogdanoff, Mickey Rourke ou Silvio Berlusconi… Mais les femmes subissent bien davantage car la manière dont elles vieillissent n’est pas du tout reçu de la même manière que quand il s’agit des hommes. On dira aisément d’un homme qu’il «vieillit bien». Les rides, les cheveux blancs sont considérés comme des adjuvants esthétiques séduisants. Mais d’une femme qui vieillit, on dira plutôt qu’elle est «bien conservée».

«Injustice biologique» supposée

On ânonne bêtement, et sans que cela soit prouvé scientifiquement, que vieillir est plus cruel pour les femmes, que les stigmates sont plus visibles. En invoquant cette supposée «injustice biologique», on escamote au passage le vrai problème: c’est notre regard qui est cruel avec les femmes qui vieillisent –pas la biologie. Cette idée, Hélène Martin, professeure en études de genre à la Haute Ecole de travail social et de santé, la théorise:

«Le corps des femmes est socialement construit comme défaillant. Elles ne vieillissent pas plus mal, mais leur vieillissement est regardé comme plus laid que celui des hommes. Au même âge biologique, elles sont socialement plus vieilles que les hommes et subissent davantage de pression quant à leur apparence.»

On traitera ainsi avec la même méchanceté une femme dont les stigmates de l’âge sont trop visibles («elle pourrait prendre soin d’elle, faire quelque chose») et celles qui ont choisi de rendre ces stigmates invisibles ou par les remplacer par d’autres: des lèvres trop pleines, un front trop lisse, un contour des yeux trop plane. Luxe que l’on se permet d’ailleurs plus facilement quand le temps n’a pas encore fait son œuvre.

Souvenez-vous, quand l’actrice Carrie Fisher est décédée: la plupart des articles ou tweets qui lui étaient consacrés s’accompagnaient de clichés d’elle quand elle avait à peine une vingtaine d’année. Idem pour Mireille Darc. En couverture des magazines, sur les affiches de cinéma, ou dans la publicités, ellles sont perpétuellement rabotées, modifiées, lissées.

Même quand une femme ne cède pas aux sirènes de la chirurgie, ou de n’importe quel artifice, elle est figée. Sculptée. Par nous-même, qui leur demanderont pourtant de «rester comme elles sont».

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