France

Les Français dans l'ère de la défiance

Temps de lecture : 3 min

Neuf Français sur dix se déclarent heureux, mais ne font pas vraiment confiance aux partis et aux hommes politiques, aux médias, aux scientifiques, aux banques, aux églises...

Les Français font plus confiance à leur police qu'à leur justice. C'est l'un des enseignements majeurs du Baromètre de la confiance politique réalisé par TNS Sofres en décembre auprès d'un échantillon de 1.500 personnes. Il donne une image assez saisissante d'une France paradoxalement défiante à l'égard des pouvoirs, des autorités et des experts et dans le même temps confiante dans l'avenir et heureuse.

Ainsi, tandis que 7 personnes sur dix déclarent avoir confiance dans la maréchaussée, seulement 6 sur 10 déclarent la même inclinaison envers les magistrats qui, pourtant, sont censés appliquer le droit et défendre la vérité. C'est pêle-mêle l'expression d'une demande sécuritaire grandissante dans l'opinion publique, de réformes incomprises, de dysfonctionnements de la justice et d'interrogations sur son indépendance. Les Français font plus confiance aujourd'hui à la répression qu'au droit pour les défendre.

Un Français sur quatre a confiance dans les partis politiques

Ce n'est pas le seul avertissement que livre ce sondage réalisé pour le Cevipof, le laboratoire de recherche de Sciences Po associé au CNRS et centré sur l'étude du monde politique. Par exemple, les partis politiques sont relégués parmi les organisations dont les citoyens se défient le plus, loin derrière les scientifiques, les hôpitaux, l'armée, les associations, l'administration, les églises et mêmes les entreprises privées et les banques: seulement 23% des Français leur font confiance!

Quant aux médias, dont la fonction est d'informer pour que vive la démocratie, ils sont à peine mieux lotis avec seulement 27% des Français qui leur font confiance, arrivant eux-aussi derrière les banques et toutes les autres organisations et institutions citées dans le sondage. A force de mêler information et communication, de flirter avec le conflit d'intérêt, de privilégier le spectacle, de tronquer l'analyse au prétexte que le zapping est la nouvelle forme de consommation de l'information, la sphère des médias s'est transformée en une bulle dont les citoyens se méfient. Comme la sphère politique. Ceux qui ont pour mission d'assurer le fonctionnement de la démocratie n'apparaissent plus crédibles. La cohérence des réponses est inquiétante.

La représentation nationale ne convainc pas

Dans le sondage en question, cette méfiance est récurrente. Les personnes interrogées enfoncent le clou: 60% préféreraient que des experts décident à la place du gouvernement ce qui est meilleur pour le pays, 67% n'ont confiance ni dans la droite ni dans la gauche pour gouverner le pays... et 78% considèrent que les responsables politiques ne se préoccupent pas de ce que pensent les citoyens! Le «tous pourris» remonte à la surface. Le monde politique ne parvient pas à redorer son image auprès de la société civile, qui se replie sur elle-même. Ainsi, le maire de leur commune est la personnalité politique préférée (69%) des interviewés, devant le député (58%), le Premier ministre (40%) et le Président de la République actuel (35%). Et ils sont deux fois plus nombreux à faire confiance à leur conseil municipal (69%) qu'à l'Assemblée nationale (35%), l'Union européenne arrivant entre les deux (44%) mais le G20 étant loin derrière (30%).

On ne peut que noter le fossé qui se creuse entre la représentation nationale et les citoyens, qui, aujourd'hui, privilégient même la représentation européenne ce qui n'était pas le cas encore récemment.

Pourtant, une personne interrogée sur deux considère que la démocratie française fonctionne bien: c'est peu pour assurer la pérennité d'un système, mais c'est mieux qu'on aurait pu le craindre à la lecture des précédentes réponses, comme si finalement le système parvenait à transcender les hommes.

Les entreprises toujours aussi mal aimées

Le monde politique et les médias ne sont pas les seuls avec lesquels se manifeste un divorce. Les entreprises sont toujours aussi mal aimées des Français, suspectées par 3 personnes sur 4 de s'entendre pour maintenir leurs prix à un niveau anormalement élevé, et accusées de ne rechercher que le profit sans améliorer la qualité des produits et le service aux consommateurs. Et plus d'une personne interrogée (55%) souhaiterait que l'Etat les réglemente plus étroitement. On retrouve la remise en cause d'un libéralisme non régulé sanctionné par la crise.

Mais si deux Français sur trois déclarent qu'il faudrait prendre aux riches pour donner aux pauvres, une grosse moitié pense que le système capitaliste ne doit être réformé que sur quelques points. Ce qui laisse tout de même 40% des personnes interrogées pour souhaiter une réforme en profondeur du système.

Neuf Français sur dix sont heureux malgré tout

Malgré la perception de la dégradation de la situation économique en France l'an dernier pour 80% des interviewés, «seulement» 50% considèrent que leur propre situation s'est aussi détériorée, ce qui semble révéler que les Français pris isolément ont le sentiment d'avoir un peu mieux traversé la crise que la collectivité.

Mais pour tous, l'avenir n'est guère encourageant: seulement 19% estiment que leur situation financière va s'améliorer alors que 28% craignent une nouvelle dégradation et que la moitié espère seulement une stagnation. Si la moitié ne méconnait pas le risque de se retrouver au chômage, deux Français sur trois restent optimistes sur l'avenir. Et, malgré la défiance envers les pouvoirs révélée par le sondage, neuf sur dix se déclarent finalement... heureux. De vrais Gaulois...

Gilles Bridier

LIRE EGALEMENT: La société française refuse le risque.

Image de Une: Une manifestation d'enseignants Jean-Paul Pelissier / Reuters

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