Engoncés dans leurs combinaisons blanches, un masque couvrant la moitié du visage, ne laissant visible que les yeux, les agents de nettoyage remplissent sac poubelle après sac poubelle. Une fois enlevés le futon moisi, les piles de vieux journaux humides, les restes d'un dernier repas en fin de décomposition et les mouches mortes, ils désinfecteront l'appartement. Puis repartiront, pour intervenir dans un suivant.
Une population vieillissante
Au Japon, où plus d'un quart de la population est âgé de plus de 65 ans, ce genre de situation où une personne meurt seule dans son appartement n'est pas rare. Les corps des défunts peuvent rester en état de putréfaction jusqu'à plusieurs mois avant d'être découverts par des voisins qu'une odeur trop forte aura fini par incommoder, ou par un propriétaire impayé.
On appelle ces morts solitaires: «kodokushi». Les statistiques ont du mal à émerger, comme le gouvernement ne tient pas de comptes à ce niveau-là. Mais les chiffres régionaux indiquent une forte augmentation sur la dernière décennie.
«Le NLI Research Institute, un think tank basé à Tokyo, estime qu'environ 30.000 personnes meurent chaque année de cette façon à travers tout le pays, relève le Washington Post. C'est 70% de plus qu'en 2005.»
Vu l'ampleur grandissante du phénomène, une économie s'est peu à peu mise en place autour de ces morts solitaires: d'un côté, avec une industrie du nettoyage; de l'autre avec des offres d'assurance destinées aux propriétaires, dont les locataires seraient susceptibles de décéder sans crier gare dans l'appartement, pouvant entraîner des coûts non négligeables.
De la recomposition à la décomposition
Les changements que connaît la structure familiale dans la société japonaise ont une incidence considérable sur ce phénomène. Alors qu'il n'était pas rare de regrouper trois générations sous un même toit, de plus en plus de Japonais vivent désormais seuls, et ont de moins en moins d'enfants. Pour peu que leurs dernières fréquentations aient été professionnelles, la retraite leur fait perdre la seule communauté qu'ils ont connue.
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Masaki Ichinose, professeur de philosophie et membre du Center for Life and Death Studies de l'université de Tokyo, estime que la nouvelle génération, plus intéressée par sa carrière que par le fait d'avoir des enfants, contribue à son tour à ce nombre croissant de personnes vieillissant seules. D'ici 2060, le gouvernement japonais estime que près de 40% de sa population sera âgée les plus de 65 ans.
«Quelques autorités locales ont commencé à mettre en place des services de contrôle des vieilles personnes vivant seules, et elles encouragent les voisins à garder un œil les uns sur les autres», rapporte le Washington Post. Plus qu'un système de surveillance qui ne s'avouerait pas, il s'agit simplement de tenter de recréer un lien social qui s'est progressivement dissous. Quelques associations de quartiers s'y attèlent, en attendant de voir passer les prochaines équipes de nettoyage.