Portant le nom du chancelier social-démocrate et prix Nobel de la paix Willy Brandt, il devait être le symbole de la réunification allemande: il n'est pour l'instant qu'une cathédrale de béton vide avec des pistes couvrant la superficie de deux mille stades de football sans aucun avion.
L’histoire commence en 1991, deux ans après la chute du Mur...
Est/Ouest
Berlin a alors trois aéroports. Deux à l’ouest. Un à l’est. Tempelhof est le plus petit. Il est entré dans l’histoire en 1948 avec le blocus de l’ancienne capitale du Reich imposé par Staline. Les Alliés ravitaillent les Berlinois grâce au pont aérien qui atterrit à Tempelhof, en plein centre de la ville. Fermé en 2008, Tempelhof est devenu un parc de loisirs, d’activités sportives et culturelles.
L’autre aéroport de l’ouest est Tegel. Situé pendant la guerre froide dans le secteur français, c’est une ancienne installation militaire qui a été transformée en 1974. À l’époque, c’était un exemple de modernisme. Tegel est aujourd’hui le principal aéroport de Berlin. Ses capacités sont trop réduites pour une capitale et son extension rendue difficile par sa proximité avec la ville. Il aurait dû fermer après l’ouverture de l’aéroport Willy Brandt. Toutefois, après une consultation des Berlinois le 24 septembre 2017, en même temps que les élections fédérales, il a été décidé de le maintenir en activité.
À LIRE AUSSI L'aéroport, bon pour l'économie?
Berlin-Est, au temps de la RDA, avait son aéroport à Schönefeld. Au bout de la piste on voit toujours le bâtiment qui abrite le salon VIP. Il a été spécialement construit en 1945 pour accueillir Staline en route vers la conférence de Potsdam. Le Père des peuples n’y a jamais mis les pieds. Il est arrivé de Moscou par le train...
Schönefeld, qui sentait bon le «socialisme réel», était trop petit et trop vieux pour être réhabilité. Il fallait à la capitale retrouvée de la troisième puissance économique du monde un hub à sa taille.
Une ouverture six fois repoussée
Après de longues discussions, les deux Länder voisins, le Brandebourg et le Sénat de Berlin se sont mis d’accord avec l’État fédéral en 1991 pour partager le fardeau d’un nouvel aéroport, non loin de Schönefeld, dans le sud-est de Berlin. Les travaux ont commencé en 2006, après que les recours de plusieurs initiatives de citoyens pour protester contre les nuisances sonores et environnementales et contre le déplacement de plusieurs villages eurent été repoussés. Prévu pour accueillir 22 puis 35 millions de passagers par an, l’aéroport Willy Brandt devait entrer en fonction en 2011. Depuis, son ouverture a été repoussée à six reprises. Les malfaçons ont succédé aux malfaçons. Les erreurs de planification ont plombé le budget. Le directeur du projet a été changé plusieurs fois. On a fait appel à l’ancien patron de la Deutsche Bahn, qui avait relevé la société des chemins de fer. En vain. Tous ont annoncé la prochaine mise en service avant d'être démentis quelques mois plus tard.
«On commence à douter de cette certitude affichée par les Allemands qu’ils peuvent faire presque tout mieux que les autres.»
Ce ne fut d’abord qu'un simple mauvais réglage de la climatisation. Puis on s’aperçut que sur les 1.600 portes automatiques, 1.400 étaient défectueuses et présentaient un danger en cas d’incendie. Après les portes, les extincteurs, au nombre de 80.000, furent mis en cause, puis les générateurs de secours, les systèmes d’évacuation des fumées... Au fur et à mesure que des kilomètres de câbles étaient rajoutés pour pallier les défaillances, les câbles pré-existants devenaient hors d’usage. Confrontées à des surcoûts, des sociétés engagées dans les travaux ont fait faillite.
Le pouvoir politique, partagé entre plusieurs institutions, a renvoyé la responsabilité sur les maîtres d’œuvre qui eux-mêmes se sont abrités derrière les demandes contradictoires des élus.
«On commence à douter de cette certitude affichée par les Allemands qu’ils peuvent faire presque tout mieux que les autres, écrit le magazine Der Spiegel. L’aéroport Willy Brandt est le contre-exemple des vertus traditionnellement reconnues aux Allemands, la ponctualité et le sens du devoir, l’ordre et le travail.»
La gare, destinée à accueillir les trains à grande vitesse comme le métro, est quant à elle terminée. Elle reste vide, à l’exception d’un train, vide aussi, qui roule chaque nuit pour éviter que les rails ne rouillent.
Chaque jour d’inactivité de l’aéroport coûte un million d’euros. 2019 a été évoquée comme date d’ouverture. Mais personne n’y croit plus. 2021, voire 2022, semble plus réaliste. En décembre dernier, les membres de la commission parlementaire du Brandebourg qui suit les travaux se sont entendus au moins pour fixer la date… à laquelle sera fixée la date du décollage du premier avion.