Monde

Les occasions manquées de Karzaï

Temps de lecture : 3 min

Depuis son élection, le président afghan n'a eu de cesse de décevoir ses électeurs.

Si l'on voulait employer une formule unique pour évoquer l'ensemble de ce qui s'est passé en Afghanistan depuis le 11 septembre, «les occasions manquées» serait le meilleur choix. Le président Karzaï, depuis sa réélection mitigée, n'a pas rompu cette continuité. La formation douloureuse d'un cabinet un tant soit peu cohérent constitue une nouvelle occasion manquée pour le pays.

Lors de la cérémonie de prestation de serment, le Président a fait de belles promesses au peuple afghan et à la communauté internationale. La lutte contre la corruption, l'éradication de la culture du pavot, la réduction de la misère étaient des thèmes forts dont on aurait voulu qu'ils fussent crédibles. On attendait avec quelque optimisme la formation d'un cabinet solidaire, compétent et efficace après huit années de compromis et de compromissions. Pour tenir les promesses, le président avait besoin d'une équipe sûre, soudée et compétente sur laquelle il aurait pu compter. Mais une fois de plus, le président qui semblait avoir toutes les cartes en main pour se sentir libre des pressions qui avaient miné son gouvernement durant des années, a manqué de souffle. En effet la pression extérieure lui offrait un excellent moyen pour se dégager de promesses électorales faites à des soutiens embarrassants, et la nécessité de répondre aux attentes légitimes de son peuple lui permettait de résister aux pressions amicales des partenaires étrangers.

Malheureusement le président a, une fois de plus, cédé à l'inexorable attraction de sa pente naturelle et sacrifié la cohérence de l'équipe gouvernementale à la satisfaction des différentes formations politiques qui le soutiennent ou qui l'effraient.

Acrobaties

Au lieu d'annoncer la formation d'une équipe sérieuse qui lui aurait permis de relever les défis, il a d'abord gaspillé plusieurs semaines à des acrobaties que personne ne lui demandait. Le pays qui n'est pas réellement gouverné depuis près de six mois, a perdu le peu de confiance qu'il avait retrouvée, à attendre les résultats des tractations politiciennes censées faire plaisirs aux seigneurs de guerre et aux seigneurs de la drogue. Les atermoiements présidentiels ont également fini par exaspérer l'assemblée nationale au point que tel prétendant ministériel qui se voyait approuvé par les trois quarts des députés, et qui peut-être n'avait même pas démérité lors de son précédent mandant, s'est vu rejeté par les deux tiers de la chambre.

Hélas, le président, fidèle à sa ligne, n'a pas su tirer la leçon qu'il fallait de cet échec. Les nouvelles nominations, présentées au parlement le 9 janvier, suscitent déjà des réactions extrêmement réservées dans l'opinion, ce qui augure mal du vote des députés. Mais, comme si la coupe n'avait pas encore débordé, le président s'est vu infliger un nouveau coup humiliant: lors de la présentation de l'équipe gouvernementale à l'assemblée, le second Vice-président a effrontément menti en déclarant que le prétendant au portefeuille de Commerce et de l'Industrie était en route pour l'assemblée, mais deux jours plus tard ce même candidat déclinait l'offre présidentielle depuis le Canada où il vit depuis longtemps. Autre exemple de la légèreté avec laquelle la formation du cabinet a été envisagée par le président: alors que la lutte contre les narcotiques est un élément central de la nouvelle politique annoncée, le candidat proposé à ce poste est un ancien ministre de l'intérieur écarté pour insuffisance il y a un peu plus d'un an, embarrassant du même coup le Premier Ministre canadien.

La conférence de Londres qui doit se tenir à la fin du mois pour faire un point de la situation risque d'être une occasion manquée de plus, car l'Afghanistan s'y sera représenté par un gouvernement faible, manquant de cohérence et n'ayant pas la confiance du pays. Le président aura-t-il le courage de dire clairement ce qu'il attend de ses partenaires et ce qu'il peut raisonnablement leur offrir en échange, et rester crédible? Il est permis d'en douter.

Nadjib Manalaï, écrivain et analyste politique afghan.

Image de une: conférence de presse du président Karzaï à Kaboul en avril 2008. REUTERS/Ahmad Masood

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