Les attentats terroristes des années 2015 et 2016 ont généré une grave récession parmi les adresses légendaires de la capitale. Au Plaza Athénée, des étages sur l’avenue Montaigne ont été partiellement fermés. L’année 2015 a été la pire de son histoire. La fréquentation a chuté de 30% à l’heure où le Ritz de Mohamed Al-Fayed réouvrait en partie, après quatre années de travaux pharaoniques et un foudroyant incendie en janvier 2016 dans l’aile Cambon, en face de Chanel –c’est par ce côté du palace cher à Barbara Hutton et au Cheikh Yamani, longtemps ministre du Pétrole de l'Arabie Saoudite, que Coco Chanel gagnait sa chambre sur la place Vendôme. Plus tard, ce sera une suite de prestige.
Le Ritz © Vincent Leroux
En fait, la crise de confiance provoquée par la peur et le rejet brutal de Paris a touché en priorité les quatre palaces mythiques: le Ritz, le Plaza Athénée, le Four Seasons George V et le Bristol. Leur clientèle est principalement constituée d'habitués réguliers qui veulent profiter de la douce vie dans la capitale. Ce sont des oisifs, des privilégiés en perpétuelles vacances, qui vont de Saint-Barth à Gstaad en passant par l’île Maurice, la Californie, Saint-Tropez ou le carnaval de Rio. Alors, s'il y a maintenant des terroristes dans les rues de Paris, capitale des plaisirs chics, de la mode, du shopping, des restaurants étoilés et des galeries de tableaux... fuyons!
Le 13 novembre 2015, le soir de la tuerie du Bataclan, le restaurant Alain Ducasse au Plaza, trois étoiles, s’est vidé à 22h15 en un clin d’œil. Les clients ont quitté leur table pour Bruxelles, Genève, Biarritz, ou pour retourner chez eux.
Restaurant Alain Ducasse au Plaza Athénée © Pierre Monetta
François Delahaye, directeur général du Plaza Athénée, encore affecté par ces souvenirs ô combien douloureux, se souvient:
«Les images télévisées de Paris en guerre diffusées partout ont été dramatiques pour l’hôtellerie parisienne. Que pouvions-nous faire pour maintenir notre réputation de palace de la mode, de l’art de vivre à Paris? La peur est un poison violent pour le tourisme. Mais nous avons fait le gros dos et je n’ai licencié personne.»
Aujourd’hui, en ce début d’année 2018, François Delahaye, directeur général depuis plus de dix ans du Dorchester Group, une singulière collection de beaux hôtels en Europe et ailleurs (l’Eden à Rome, le Dorchester à Londres, le Principe di Savoia à Milan, le Richemond à Genève, le Beverley Hills Hotel à Los Angeles…), homme de confiance des têtes pensantes du sultan de Brunei, propriétaire de l’ensemble, affiche un optimisme raisonnable pour 2018.
Les touristes reviennent
Les chiffres sont là: 7% de progression, mais 23% de retard sur les performances des années 2010 à 2015, ce qui n’a pas empêché le manager du groupe d’agrandir le Plaza de l’avenue Montaigne d’une vingtaine de suites, qui rapportent le plus de profit –la chambre de base est à 1.300 euros. Ainsi, toute la façade aux stores rouges appartient désormais au Dorchester Group: c’est de l’immobilier de luxe à Paris, ce qui réjouit le sultan car avec ce capital «pierres», on ne perd jamais d’argent, on en gagne avec le temps.
L’avisé François Delahaye, qui a réussi a faire venir Alain Ducasse du Parc Trocadero Hotel de l’avenue Raymond Poincaré au Plaza, est probablement l’un des meilleurs experts en hôtellerie de luxe d’Europe. Concernant la reconquête de la clientèle, il avance des arguments de poids, d’abord sur la situation politique en France.
Le Brexit en Grande-Bretagne est favorable à notre pays –un regain d’activités a été constaté à la fin 2017– de même que le mauvais climat en Allemagne, la fragilité d’Angela Merkel et l’effondrement financier de la Catalogne. Oui, la France est à nouveau au premier plan. L’Hexagone est reconnu, salué, admiré, grâce aussi à un effet Macron inespéré.
Tout cela joue sur le tourisme haut de gamme, comme l’avait bien vu Laurent Fabius, le seul ministre d’État qui se soit soucié de l’attractivité de la France hors des frontières, à commencer par la Chine (cinq millions de touristes attendus en 2020).
Reste un point noir révoltant pour Delahaye: les avantages injustifiés dont jouit Airbnb, la société américaine qui loue des appartements, des hôtels particuliers, des villas, des chambres ou des studios dont la taxe quotidienne est de 0,7%, alors que celle des beaux hôtels est de 4%.
Au Bristol, propriété du groupe allemand Oetker (l’Hôtel du Cap-Eden-Roc à Antibes, le Château Saint-Martin à Vence, le Lanesborough, ancien hôpital métamorphosé à Londres…), on n’est pas loin de l’euphorie avec 16% de progression en 2017, un sommet inespéré.
Le Jardin Français au Bristol
Dans ce palace du Faubourg Saint-Honoré cher à Céline Dion qui adorait la vie au Bristol (elle a depuis émigré dans un appartement privé du Royal Monceau), mais aussi à Robert de Niro, Martin Scorsese ou Nicolas Sarkozy (qui a remis la Croix de la Légion d’honneur au chef trois étoiles Éric Fréchon), le directeur général Luca Allegri, ancien numéro 1 de l’Hôtel de Paris à Monte-Carlo, est parvenu avec ses cadres à internationaliser la clientèle. Il y a désormais 52% d’Américains, ainsi que des Russes et des Japonais heureux de flâner le long des boutiques de joaillerie ou de haute couture.
Piloté par des cadres français, le Bristol a su diversifier ses prestations: à la belle saison, le jardin, les repas sous les parasols, la piscine couverte sous le toit, le spa, le 114, la brasserie limitrophe en sous-sol (fish & chips à 28 euros) qui propose des soirées œnologiques très courues et des dîners animés par le Wine Business Club où se mêlent de bons leveurs de coude et des businessmen dans le vent, ce palace est un concentré divertissant de la belle vie à Paris.
La guerre des palaces
Cela dit, Luca Allegri pointe la guerre des grands hôtels à venir, un souci récurrent pour tous les patrons de ce métier si fluctuant. Place de la Concorde, le Crillon (à 1.200 euros la nuit) est ouvert depuis l’été. On attend la naissance du Cheval Blanc à la Samaritaine, la réouverture du Lutetia rive gauche, la recréation du Lotti par Jean-Louis Costes, cent chambres et plus à côté de l’Hôtel Costes dont le restaurant dans le patio accueille la clientèle la plus branchée. Fera-t-il un tabac avec sa seconde adresse hôtelière dans les beaux quartiers, à deux pas de la place Vendôme?
Vue sur Paris depuis Le Crillon
La cartographie de la grande hôtellerie parisienne est en pleine évolution –on va compter plus de 2.000 chambres de 750 à 1.200 euros. En dehors des périodes de pointe –le Salon de l’Auto, de l’Aviation, Roland-Garros, les défilés de mode et les grandes ventes de collections d’art, l’ouverture de la FIAC– comment ces hôtels de luxe trouveront-ils des clients sachant que d’ici 2022, on prévoit l’ouverture de quatre-vingts nouveaux hôtels à Paris de quatre à cinq étoiles?
Les enseignes Sofitel, de 300 et 500 euros la nuit pour des gens d’affaires stressés, ont peu ou pas de problèmes de taux d’occupation...
Au cœur de Paris...
Mais les grands palaces gardent un avantage majeur, comme l'explique Laurece Bloch, directrice du Plaza:
«L’emplacement. La localisation avenue Montaigne pour le Plaza en a fait l’adresse haute couture de la capitale. En fait, l’hôtel est comme une maison particulière facile d’accès où tout est ramassé, les restaurants, la galerie, le bar, le spa en bas et le Relais Plaza où l’on peut accéder par l’hôtel en toute discrétion.»
Combien de curieux s’attardent devant le somptueux restaurant Alain Ducasse en espérant voir ou apercevoir le chef, neuf fois trois étoiles dans sa vie?
Quand le Plaza était en travaux, voici cinq ans, la direction de l’hébergement a offert à certains résidents de les transférer au Meurice, le plus ancien hôtel de Paris (1836), face aux Tuileries. La plupart ont refusé –jamais loin de l’avenue Montaigne. En revanche, les Japonais qui adorent l’Opéra et les grands magasins sont très heureux à l’hôtel InterContinental Paris Le Grand et au Scribe.
Et puis, un grand hôtel mythique à Paris, tant qu'à faire, c’est une suite de 450 mètres carrés au Plaza à 27.000 euros par jour. Une habituée du Plaza, une veuve coréenne de New York, passe 300 jours par an hors de chez elle: en faisant son entrée au lobby, elle veut être saluée et reconnue par le chef concierge Jérôme, par Denis Courtiade, l’excellent directeur du restaurant, par Werner Küchler au Relais et par les maîtres d’hôtel de son étage, le cinquième sur l’avenue, parfaitement rénové. L’argent à profusion n’efface pas les affres de la solitude...
En province
En province, la chaîne des Relais & Châteaux (520 établissements dans le monde, 140 en France) se porte mieux, surtout dans les régions ouvertes au grand tourisme comme le Domaine de Rochevilaine dans le Morbihan, complet tous les weekends et aux vacances scolaires, et les Crayères, l’ex-Château des Polignac à Reims, propriété de la famille Gardinier (le Taillevent à Paris et Londres).
Les Crayères à Reims
Hervé Fort, directeur général du groupe, souligne les résultats excellents de 2017 avec 74% de taux d’occupation aux Crayères, deux étoiles pour le chef Philippe Mille. À la belle saison, voilà une étape de choix dans la ville des sacres royaux et du champagne, le vin de l’amour et du savoir-vivre –800 références de bruts en cave, à des prix remarquables: 70 euros la bouteille.
«La situation géographique au nord de l’Île-de-France pour les gens qui descendent vers le Sud, la Côte d’Azur et l’Italie ajoute à l’attractivité du vin blond aux bulles pétillantes, et puis le vignoble de 32.000 hectares, les caves de craie, ainsi que les maisons ancestrales comme Ruinart, Pommery, Krug, Moët et Chandon ou Clicquot qui ont été classées au patrimoine de l’UNESCO... tout cela nous a grandement favorisé, disons-le. C’est l’Âge d’or de notre région viticole.»
À la tête de Châteaux & Hôtels Collection, une chaîne de 585 adresses dans 17 pays (390 destinations en France), Alain Ducasse a de son côté fait évoluer le concept des Collectionneurs, une communauté réunissant des restaurants (244), des hôteliers (89) et des voyageurs partageant une certaine vision des voyages et des valeurs. Le grand chef et homme d’affaires a déniché vingt-trois adresses nouvelles en France et trente en Italie, le pays préféré des Français. Dans le guide 2018, l’Hôtel Salute Palace à Venise, la Villa Excelsior Park à Capri, cinq points de chute en Sicile: de véritables découvertes pour les arpenteurs de la botte.
Oui, les nuages noirs de la récession se sont estompés dans le ciel de l’hôtellerie de prestige. La restauration étoilée ou non a regagné des parts de marché, les bonnes tables ont conservé leur aura, et certains grand hôtels ont trouvé là une nouvelle piste de développement: il y a maintenant quatre restaurants au Four Seasons George V à Paris, il n'y en avait qu'un seul en 2010.
Nombre d’établissements dans les beaux quartiers atteignent des chiffres de fréquentation rarement observés. Mathieu Pacaud, fils unique de Bernard Pacaud, chef triple étoilé de l’Ambroisie, place des Vosges, est à la tête de quatre tables élégantes, très fréquentées par les gourmets. Il vient de racheter Apicius, le grand restaurant de Jean-Pierre Vigato, au bas des Champs-Élysées, après Le Divellec aux Invalides.
Apicius © Gourmets&Co
Quand la restauration marche bien à Paris, l’hôtellerie suit car les voyageurs, comme dit Alain Ducasse, sont mis au parfum par les concierges et les Clés d’Or, à l’affût des bons plans. L’Ami Louis, fameux bistrot pour mangeurs gargantuesques, a retrouvé ses Américains abonnés au foie gras et aux frites. Quand l’appétit va…
Carnet d’adresses des restaurants
Le Plaza Athénée
• 25 avenue Montaigne 75008 Paris. Tél: 01 53 67 66 65. Restaurant Alain Ducasse, menu à 210 euros. Carte de 245 à 300 euros. Relais Plaza, menus à 54 et 84 euros. Carte de 80 à 120 euros.
Le Bristol
• 112 rue du Faubourg Saint-Honoré 75008 Paris. Tél: 01 53 43 43 00. Restaurant Épicure, trois étoiles, menu au déjeuner à 145 euros. carte de 170 à 350 euros. Le 114 Faubourg, menu au déjeuner à 56 euros et 114 euros. Carte de 80 à 150 euros.
Le Four Seasons George V
• 31 avenue George V 75008 Paris. Tél: 01 49 52 70 00. Restaurant le Cinq, trois étoiles, menu à 145 euros. Carte de 160 à 250 euros. L’Orangerie et la Galerie gourmande. Tél: 01 49 52 72 24. Menus à 95 et 125 euros. Le George, restaurant italien. Tél: 01 49 52 72 09. Menu à 65 euros. Carte de 110 à 140 euros.
Apicius
• 20 rue d’Artois 75008 Paris. Tél: 01 43 80 19 66. Menu à 140 euros. Nouvelle carte en février signée Mathieu Pacaud et Jean-Pierre Vigato.
Costes
• 239-241 rue Saint-Honoré 75001 Paris. Tél: 01 42 44 50 00. À deux pas de la place Vendôme, dans l’hôtel très chic décoré par Jacques Garcia, le restaurant huppé du Tout Paris. 100 euros et bien plus.
Les Crayères
• 64 boulevard Henry Vasnier 51100 Reims. Tél: 03 26 24 90 00. Dans un parc de sept hectares, un admirable Relais & Châteaux 1900, et la cuisine élaborée de Philippe Mille, deux étoiles, embellie par le vin des rois, une parenthèse de bien-être et de raffinement. Menu au déjeuner à 69 euros. Carte de 130 à 190 euros. Brasserie le Jardin, menus à 31 et 47 euros. Chambres à partir de 380 euros.
Domaine de Rochevilaine
• La Pointe de Lan 56190 Billiers. Tél: 02 97 41 61 61. Par le train, gare de Vannes et taxi. Face à la mer, un Relais & Châteaux constitué de maisons de granit: la Bretagne historique. Bon confort, vue panoramique sur les flots. Soins de balnéothérapie, pierres chaudes et piscine couverte. Table étoilée de Maxime Nouail, menu au déjeuner à 42 euros, menu «Tout Homard» à 107 euros. Carte de 70 à 110 euros. Chambres à partir de 190 euros.