Il y a deux semaines, un kamikaze s'est fait exploser et a tué sept employés et sous-traitants de la CIA sur une base militaire d'Afghanistan. La CIA a parlé d'«attentat terroriste». Associated Press en a fait autant dans un rapport publié par des dizaines de médias. Les autres journalistes, analystes, commentateurs et présentateurs télé leur ont emboîté le pas. Dans un article d'opinion publié le 10 décembre, le directeur de la CIA, Leon Panetta, a dit à propos des employés décédés: «Quand vous vous battez contre des terroristes, il y a nécessairement des risques.»
Des terroristes? Non monsieur! L'explosion qui a eu lieu sur cette base de la CIA est un acte de guerre, au même titre que le massacre de la base militaire de Fort Hood (Texas). Nous pouvons également parler d'espionnage ici. Mais en tout état de cause, ce n'était pas un acte terroriste. Les terroristes visent des civils. Or ni les employés de la CIA sur cette base afghane, ni les soldats tués à Fort Hood, n'étaient des civils. Ils menaient une guerre.
Conformément au Code des Etats-Unis, «le terme "terrorisme" désigne la violence préméditée et politiquement motivée perpétrée contre des non-combattants par des groupes subnationaux ou des agents clandestins». C'est la définition que les Etats-Unis utilisent quand ils accusent d'autres pays d'être un Etat qui soutient le terrorisme.
Les attentats du 11 septembre 2001, par lesquels des avions remplis de passagers civils se sont écrasés contre le World Trade Center, correspondent à cette définition. De même que la tentative de faire exploser le vol 253 de la compagnie Northwest, le 25 décembre dernier. Ainsi que l'explosion dans un hôtel d'Islamabad (Pakistan) organisée en 2008 par les talibans.
Mais l'explosion qui a eu lieu sur la base afghane n'entre pas dans ce cadre-là. Les personnels de la CIA qui ont perdu la vie dans cet attentat étaient des combattants. Dans des interviews accordées à plusieurs journaux et agences de presse, par exemple dans le Wall Street Journal à deux reprises, dans le New York Times, et dans le Washingon Post également de manière répétée, des responsables du renseignement américain ont confirmé que les personnes travaillant sur la base afghane étaient très impliquées dans la sélection de cibles pour les drones au Pakistan et dans l'organisation d'attaques spéciales contre le réseau Haqqani, allié des talibans.
La CIA est une agence paramilitaire
Dans ce cas, la CIA équivaut à une agence paramilitaire. Elle gère les attaques de drones au Pakistan. Et la base afghane frappée le 30 décembre est «un centre de ciblage pour des attaques de Predator et d'autres opérations au Pakistan».
C'est pourquoi le kamikaze Humam Khalil Abu Mulal al-Balawi les a visés. Vous pouvez consulter son testament et sa vidéo d'adieu. «Voici notre message aux ennemis [de la nation islamique], au renseignement jordanien et à la CIA», dit-il dans la vidéo. «Nous n'oublierons jamais le sang de notre émir Baïtullah Mehsud.» Il fait le vœu d'user de «représailles» pour la mort de Mehsud, le chef taliban pakistanais qui a été tué en août par une frappe de drone de la CIA. Dans son testament, dit-on, Al-Balawi nommerait d'autres militants qui ont été tués dans les explosions provoquées par les appareils non habités de l'agence de renseignement. Il veut tuer les «maîtres des drones».
Et c'est parce que les employés de la base afghane guidaient les drones qu'ils l'ont laissé entrer. Il leur fournissait des informations fraîches sur Ayman Al-Zawahiri, le numéro deux d'al Qaida. Ils espéraient que ces renseignements les mèneraient à Al-Zawahiri. Ils allaient faire à Al-Zawahiri la même chose qu'aux autres commandants d'al Qaida: l'éliminer de la face de la terre. S'ils avaient été des analystes de renseignement, ils n'auraient jamais fait venir Al-Balawi dans leur base pour une réunion urgente. Ils l'ont fait, et ils sont morts parce qu'ils livraient une guerre.
Al-Balawi était un djihadiste. Il a écrit des horreurs et d'autres choses extravagantes à propos du martyre et du fait de tuer des Américains. Mais il ne s'agissait que de paroles. Il était, pour reprendre les propos d'un spécialiste du terrorisme : «un cyber-activiste». C'est probablement pour cette raison que la CIA a tenté d'obtenir de lui des informations cruciales; en fait, il n'avait jamais tenté de tuer qui que ce soit.
Eh bien maintenant, c'est fait. Mais ses victimes n'étaient pas des civils. Celles du major Nidal Hasan, le tireur de Fort Hood, ne l'étaient pas non plus. Voici les grades des victimes de Fort Hood: major, sergent, capitaine, spécialiste, spécialiste, sergent, soldat, soldat, capitaine, soldat, lieutenant, soldat. Visionnez maintenant la vidéo d'Hasan achetant calmement du café dans un supermarché avant la tuerie. Il n'a pas visé des civils, mais des soldats.
A peine le massacre de Fort Hood perpétré, tout le monde traitait Hasan de terroriste, y compris son frère. Comme Juliet Lapidos de Slate.com l'a fait remarquer, même le sénateur Joe Lieberman et l'ancien attorney général (ministre de la Justice), Michael Mukasey, qui devraient faire preuve de plus de précision, ont parlé de terrorisme. Lieberman a cité des preuves «selon lesquelles le docteur Hasan était devenu un intégriste islamiste et que, par conséquent, c'était un acte terroriste.»
Ah bon? Donc quiconque tue quelqu'un au nom de l'intégrisme islamique est un terroriste?! Si le terrorisme se résume à cela, alors nos ennemis ont raison: ce n'est qu'un code pour désigner ceux dont nous n'aimons pas la religion.
La guerre nous fait oublier nos principes
Ce n'est pas le terrorisme contre lequel nous sommes entrés en guerre. Mais l'un des dangers de la guerre nous fait oublier nos principes. On torture, on ment, on change le sens de nos engagements. On gagne la guerre, mais en perdant nos valeurs.
Le père d'Al-Balawi sait ce que signifie le terrorisme. Il y a trois jours, il a dit à propos de son défunt fils: «S'il avait tué des civils innocents, je l'aurais dénoncé.» Mais ce n'est pas ce qu'a fait son fils. Il a tué des agents de renseignement. Et la guerre en Afghanistan et au Pakistan, explique le père d'Hasan, était «une guerre des agences de renseignement».
Il a raison sur ce point. Les agents américains ont les moyens de pulvériser les maîtres d'Al-Balawi depuis les airs, au-dessus du Pakistan. Et j'espère qu'ils y arriveront.
Mais imaginez un instant le scénario inverse: une armée de drones afghans frappant des chefs de milices américaines aux Etats-Unis. Si c'était à vous de décider, vos représailles consisteraient-elles à massacrer des civils afghans? Ou chercheriez-vous à identifier ceux qui dirigent les drones, à infiltrer leur réseau de renseignement et à les tuer? La solution que vous choisissez importe-t-elle?
Bien sûr que oui. Mais si les Américains ne voient plus la différence, s'ils ont des leçons à recevoir sur la signification du mot terrorisme par le père d'un kamikaze, il est temps qu'ils se rappellent au nom de quoi les Etats-Unis font la guerre.
William Saletan
Traduit par Micha Cziffra
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