2018 s'annonce cruciale pour la Colombie. Les attentes sont fortes du côté de l'évolution du processus de paix avec les FARC signé en novembre 2016, tandis qu'en mai prochain se tiendra l'élection présidentielle.
L'avenir de la politique des drogues, qui a souvent croisé le destin de la classe politique du pays, n'est pas en reste: alors que diverses stratégies ont été mises en place depuis les années 1990 pour lutter contre les drogues, le pays envisage depuis quelques années des solutions alternatives au modèle répressif, jusque-là dominant, et inefficace. 2018 devrait voir s'esquisser les premiers effets de ces changements de perspective, que Felipe Sánchez Villarreal récapitule pour Vice.
De même que le Portugal avait pris un tournant idéologique en mettant fin au système prohibitionniste en 2001, la Colombie est en train de repenser sa politique des drogues illicites. Pour Rodrigo Uprimmy, juriste membre du Comité sur les droits économiques, sociaux et culturels de l'ONU, il s'agirait de les considérer avant toute chose comme relevant d'«une question de santé publique et de droits».
Une longue histoire de violences
La circulation des drogues en Colombie reste marquée par une longue histoire de violences, relatives aussi bien au narcotrafic qu'à la répression étatique. L'an dernier, l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC) enregistrait une augmentation de 52% de la culture de coca entre 2015 et 2016, voyant les zones cultivées s'étendre de 96.000 hectares à 146.000, et le prix de la feuille de coca être majoré de 43% entre 2013 et 2016. Le même rapport se réjouissait cependant d'une hausse de 49% des saisies de cocaïne, représentant jusqu'à 378 tonnes en 2016.
Cette évolution parallèle, qui n'est pas spécifique à la Colombie, bien que le phénomène y trouve une ampleur colossale, est symptomatique de l'absence d'une politique cohérente et efficace pour endiguer l'usage et le trafic des drogues.
De la guérilla des FARC à celle contre les drogues
La lutte contre les drogues en Colombie est héritière à ses débuts de la «guerre» contre les drogues déclarée par Richard Nixon dans son célèbre discours de 1971. Envisagée sous un angle militaire, cette guerre s'est très vite superposée au conflit armé opposant l'État aux FARC, ces derniers étant impliqués dans le circuit de la drogue.
Après de timides débuts législatifs à la fin des années 1980 (en 1986, l'usage du cannabis à des fins thérapeutiques est autorisé, puis en 1994 la possession de doses personnelles n'excédant pas vingt grammes de marijuana et un gramme de cocaïne), la Colombie conclut un accord bilatéral avec les États-Unis en 1999. C'est le Plan Colombie, censé réduire la production de drogues et rétablir la sécurité dans le pays.
«En Colombie, dans le cadre du conflit armé, la guérilla et les cartels sont mis sur le même plan, alors qu’il ne s’agit pas de la même chose. [...] Il y a une asymétrie de l’information. En effet, alors que Washington croyait combattre des flux de drogue, Bogota cherchait à résoudre le problème des FARC», explique Juan Camilo Macias dans son article «Plan Colombie et Plan Mérida: Chronique d’un échec».
Entre substitution et éradication
Cette association des enjeux liés à la lutte armée et à la lutte contre les drogues se poursuit alors que se développe aujourd'hui le processus de paix. C'est en effet dans un communiqué conjoint que le gouvernement et la guérilla des FARC ont présenté en janvier 2017 le Programme national intégral de substitution des cultures d’usage illicite (PNIS), partie intégrante de l'accord de paix. Celui-là vise à remplacer la culture de coca, marijuana et pavot par des économies légales.
Pourtant, l'éradication des cultures de coca par fumigation aérienne d'herbicides se poursuit dans certaines régions, suscitant des grèves, fortement réprimées, parmi les paysans –en octobre, six manifestants ont trouvé la mort à Tumaco. La mise en place du PNIS est lente (l'objectif annoncé par le gouvernement de remplacer 50.000 hectares en 2017 n'a pas été tenu), et la contradiction entre les deux modèles participe d'une violence qui ne tarit pas. «Deux stratégies en tension», qui reprennent l'idée de la carotte et du bâton, selon l'expression de Vice.
Le développement du cannabis thérapeutique
Pendant ce temps, l'usage médicinal du cannabis s'étend. En novembre, le quotidien El Tiempo rapportait la délivrance de quatorze licences pour la fabrication de produits dérivés par le ministère de la Santé, et de neuf autres par le ministère de la Justice, concernant la culture de plantes psychoactives et non-psychoactives.
Les entreprises qui cherchent à produire de la marijuana (Cannavida S.A.S., Pharmacielo Colombia Holdings S.A.S., Khiron Life Sciences Corp., FCM Global.S.A.S, Canmecol.S.A.S, Medcann S.A.S. et Pharmacielo Colombia Holdings S.A.S.) n'ont ainsi «plus que deux étapes à franchir pour que leurs plantes arrivent sur le marché: les registres de l'Institut Colombien de l'Agriculture sur les espèces à cultiver, et les certificats de l'Invima».
Alors que cette tendance pourrait permettre un accès plus simple à certains médicaments, c'est surtout une façon pour la Colombie de s'insérer dans le marché mondial du cannabis. Il Tiempo rapporte ainsi que le ministre de la Santé, Alejandro Gaviria, aurait déclaré que le cannabis pourrait devenir un nouveau «produit» pour la Colombie. Une question qui risque de marquer l'agenda électoral, estime Vice:
«Là, nous verrons si le saut de la Colombie vers la création d'une industrie légale de cannabis pourrait changer d'autres politiques des drogues ou signifier le premier aperçu de la légalisation de la marijuana récréative; ou si, avec la victoire d'un candidat de droite et selon ce que disait Ivan Duque lui-même, au lieu de réglementer, “la Colombie va se battre frontalement contre la drogue”.»
De nouvelles formes de consommation
Si la consommation de drogues illicites continue d'augmenter en Colombie, les variétés de marijuana deviennent de plus en plus puissantes, avec des concentrations de THC allant de dix à quinze pour cent, quant la moyenne ne dépassait pas les huit pour cent en 2010.
Entre 2009 et 2016, la consommation de LSD ou de substances similaires comme les NBOMe a été multipliée par quatre. L'introduction sur le marché de drogues dérivées, dont les effets sont semblables à ceux du LSD, mais qui ne sont pas contrôlées comme telles, «permet aux trafiquants d'échapper plus facilement aux systèmes de contrôle des substances psychoactives». La lutte contre ces nouvelles substances apparaît donc comme l'un des enjeux prioritaires pour le gouvernement, qui l'a intégré à son Plan décennal de santé jusqu'en 2021, et à la Loi statutaire sur la santé.
Si le cas de la Californie, qui a légalisé le cannabis le 1er janvier 2018, pourrait influencer la politique colombienne qui a longtemps suivi les orientations des États-Unis en matière de politique des drogues, il s'agirait surtout de ne plus envisager la drogue comme simple constituant des enjeux politiques, mais comme enjeu politique à part entière. Comme l'écrit Juan Camilo Macias, «la Colombie n'a pas seulement besoin d’une lutte militaire contre le crime organisé. Ce pays requiert un traitement social, politique, économique et aussi culturel du problème».