Sciences / Sports

C'est prouvé: les sportifs sont de gros tricheurs

Temps de lecture : 4 min

Quand la science démonte définitivement les belles valeurs et les grands idéaux de la compétition et du sport de haut niveau.

Le dopage trace sa route | Zrilic via Flickr CC License by
Le dopage trace sa route | Zrilic via Flickr CC License by

C'est simple: tous les sportifs, ou presque, se doperaient. C'est en tout cas ce que les Français ont tendance à penser. Un sondage réalisé au cours des années 2000 montrait que 95% des sondés estimaient que les sportifs se dopaient. C'est grave, docteur? Apparemment, non. Pour 85% des sondés, il serait vain de vouloir supprimer cette pratique. D'après cette enquête, la quête d'un sport propre et sans artifices chimiques serait inutile et absurde. 81% des personnes interrogées jugeaient, par exemple, que le dopage avait sa place dans le cyclisme et 95% dans l'athlétisme. Mais pourquoi? Pour rendre le spectacle plus attrayant et sensationnel, pardi!

«Il y aura toujours des tricheurs»

Doit-on vraiment se résoudre à des compétitions où tout le monde se dope? C'est la question que posent les économistes Jean-François Bourg et Jean-Jacques Gouguet. Dans leur livre La société dopée, ils estiment que «le dopage est pérennisé par la main invisible des institutions étatiques, sportives, médicales et médiatique». Ils citent le célèbre Lance Armstrong, septuple vainqueur du tour de France et reconnu coupable de dopage en 2012.

«Je n'ai pas inventé le dopage et il ne s'est pas arrêté avec moi. Il y aura toujours des tricheurs.»

Lance Armstrong

Pour l'Américain, les sportifs, ancrés dans la société capitaliste seraient consubstantiellement amenés à tricher, sans remords ni regrets. Pris par l'intérêt du jeu, du spectacle, de la performance et de ses retombées financières, ils tendraient naturellement à enfreindre les lois et à agir de manière «déviante».

L'économie néoclassique pour les nuls

Avec l'aide de la théorie économique, on peut expliquer ce phénomène. Les spécialistes citent souvent deux théories: la théorie du choix rationnel et la théorie des jeux.

La première part du principe (tiré des thèses de l'économiste américain Gary Becker, prix Nobel d'économie en 1992) que les individus prendraient toutes leurs décisions de la manière la plus rationnelle possible, grâce à un calcul coût-avantage. Face à un choix, ils compareraient le gain apporté par un acte face au coût de son renoncement. Tant que ce dernier reste inférieur à l'utilité, un individu parfaitement rationnel opterait naturellement pour ce choix. Imaginons un sportif qui comparerait l'acte de se doper ou de ne pas le faire. Le gain de la tricherie serait une victoire plus certaine et les avantages qui en découlent (mettez-vous à la place de Lance Armstrong qui gagnait 23 millions de dollars par an au début des années 2000) et le coût serait le risque de se faire prendre et ses conséquences: perte des titres, perte des contrats sponsoring, lynchage public et médiatique, etc.

Si les technologies dopantes sont en avance sur les techniques de pistage, que le taux de détection est très faible et que les sanctions financières et sportives ne sont finalement pas si terribles (un sportif comme Justin Gatlin, suspendu pour dopage, n'a été sanctionné que 4 ans et est revenu à la compétition, en 2010, encore meilleur), n'importe quel sportif, selon la théorie du choix rationnel, serait incité à tricher. Bah oui: entre gagner beaucoup d'argent, remporter des titres et connaître la gloire, avec un risque plutôt faible d'être condamné, ou rester dans l'ombre, dans le peloton, et conserver son anonymat, n'importe qui tenterait le diable, non?

La majorité des sportifs accepte la triche

Entre 1992 et 1995, des médecins américains ont suivi 198 sportifs de niveau mondial, de façon anonyme, à travers une enquête bisannuelle. Ils leur ont soumis le choix suivant:

1) Vous ne vous dopez pas et vous ne gagnez aucune compétition.

2) On vous fournit des substances dopantes avec la garantie de ne pas être contrôlé positif et de gagner toutes les compétitions pendant les cinq prochaines années. Mais, après cette période, des effets secondaires se feront sentir et vous risquerez une mort prématurée.

52% du panel a opté pour le choix numéro 2. Et si l'on retire la perspective d'une mort prématurée pour ne garder que les effets secondaires et de possibles victoires, 99% des sportifs accepteraient ce choix de bon coeur. Et au-revoir les belles valeurs du sport. En allant plus loin dans la démonstration, ce même dilemme a été posé à une population non-sportive. Les chercheurs James Connor et Jason Mazanov ont demandé à 250 personnes, en Australie, si elles préféreraient le choix 1 ou le choix 2. Contrairement aux sportifs, seule personne a opté pour le second choix (0,4%)!

Plus rationnels... et plus individualistes

Ce phénomène rejoint la démonstration faite par la théorie des jeux, deuxième conception économique pour expliquer le dopage. Celle-ci, fondée dans les années 1940 par le scientifique américano-autrichien John von Neumann, considère que les choix des individus sont pris en fonction de leurs intérêt et des actes d'autrui.

Autrement dit, un sportif se doperait aujourd'hui tout simplement parce qu'il estime que ses principaux adverses le feraient aussi. Si tout le monde se dope, ou si tout le monde se soupçonne, personne n'adopte un comportement vertueux ou agit de façon acceptable. Parce que les sportifs auraient plus intégré l'idéal rationnel de l'homo-economicus, ils penseraient d'abord à leur intérêt particulier et ne feraient pas confiance à autrui, ne feraient aucune preuve d'altruisme ou de solidarité. Ainsi, le phénomène «tout le monde triche» se généraliserait naturellement dans le sport professionnel.

Les économistes Nicolas Eber et Marc Willinger, spécialistes en psychologie économique, ont d'ailleurs montré, à partir de tests et d'expériences de terrain, que les sportifs étaient plus rationnels et plus compétitifs que les non-sportifs. Les premiers sont davantage guidés par leur raison que par leurs émotions contrairement aux derniers, focalisés sur des sentiments altruistes et moraux. Eber et Willinger répètent:

«Une telle interprétation renvoie à l’idée parfois avancée selon laquelle la pratique sportive apprend aux jeunes à maîtriser leurs émotions et à prendre très rapidement les décisions jugées meilleures dans des contextes émotionnels difficiles (stress, pression, etc.).»

Cela renvoie à l'idée, malheureusement défendue par Bourg et Gouguet, que «le dopage est inéluctable dans la pratique sportive de haut-niveau». Parce que l'apprentissage sociologique du sport ferait la part belle à la compétition et au «chacun-pour-soi», parce que les sportifs, plus rationnels et individualistes, développeraient une tendance naturelle à se doper, rien ne pourrait être fait.

Alors, ne serait-il pas temps de changer de paradigme et, plutôt que de se focaliser sur les sanctions, les détections ou les peines, ne pourrions-nous pas nous tourner vers une société plus altruiste, participative et solidaire?

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