Pour qui s'intéresse à la fausse monnaie, il y a deux adages à connaître. Le premier est que quand il y a monnaie, il y a fausse monnaie. La fausse monnaie est aussi ancienne que la monnaie officielle, émise sous l'autorité du prince ou de la République. Au temps des pièces, on «rognait les flans» (on limait les pièces) ou on «sauçait l'alliage» (en remplaçant le métal précieux qui donnait la valeur à la pièce par un métal vil). Au temps des billets, on copie, en dessinant, en imprimant, en scannant. Les procédés évoluent avec les billets et les technologies du moment.
Le deuxième adage est que plus une monnaie circule, plus elle est contrefaite. Toutes les grandes monnaies, ont été, sont, et seront contrefaites. Il ne faut donc pas s'étonner que l'euro, l'euro fiduciaire, en pièces et en billets (par opposition à la monnaie scripturale qui s'échange par chèques, cartes bancaires, virements etc... ) utilisé dans une zone de 325 millions d'habitants, soit à son tour victime de contrefaçons.
Des contrefaçons de plus en plus nombreuses
L'indicateur usuel pour suivre les faux euros est le nombre de billets retirés de la circulation. Cet indicateur est établi périodiquement par la Banque centrale européenne (BCE). Les derniers résultats publiés ne sont pas bons plus de 860.000 fausses coupures en 2009, soit une augmentation de 53% en deux ans ! En revanche, la répartition par coupure est pratiquement stable puisque les fausses coupures sur 20 et 50€ représentent toujours entre 80 et 85% des faux billets en raison de leur facilité à être écoulée.
Nombre de fausses coupures retirées de la circulation (en milliers)
2003 |
2004 |
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
542.000 |
594.000 |
579.000 |
565.000 |
561.000 |
666.000 |
860.000 |
Source : finances-europe.com/ Banque centrale européenne.
Mais il ne s'agit que d'un indicateur partiel. Car la Banque centrale ne comptabilise que le nombre de coupures retirés de la circulation, ce qui exclut donc le nombre de prises opérées par les services de police avant la mise en circulation des billets, révélées épisodiquement par Europol après quelques prises spectaculaires (stocks saisis ou ateliers de fausse monnaie démantelés en France, en Colombie, en Espagne...).
Ainsi, le nombre de faux billets ne peut être évalué qu'après application d'un correctif. Selon les professionnels, un coefficient de 2,5 doit être appliqué au nombre des saisies. Le nombre de fausses coupures dépasserait donc 2 millions. Ce qui fait 2 millions sur 13 milliards de billets en circulation soit une fausse coupure sur 6.500 billets mais presque deux fois plus, soit 1 faux billet sur 3 ou 4 000, pour les 20 et 50 euros...
Les deux sources, bancaire et policière, se complètent. La banque centrale recense les fausses coupures et Europol analyse les types -c'est-à-dire les séries de fausses coupures ayant une origine commune- et l'origine géographique des contrefaçons.
Il y a en vérité trois types de contrefaçons: la contrefaçon domestique artisanale, réalisée par scannage sur ordinateur, la production intermédiaire sur quelques milliers de billets, et la contrefaçon industrielle qui suppose d'être équipé en machines à imprimer les signes les plus sophistiqués de prévention de fausse monnaie telle que les hologrammes. Il existe environ un millier de types de fausse monnaie même si le papier, craquant et sonore, reste le plus difficile à imiter. Tellement difficile que les officines de faux monnayage les plus outillées utilisent du vrai papier, volé, utilisé dans d'autres pays! La valeur de revente d'un faux billet est entre 10 et 30% de sa valeur faciale.
Faut-il s'inquiéter de cette fausse monnaie?
Malgré les discours officiels rassurants, les professionnels ont des raisons d'être préoccupés. L'ampleur du phénomène surprend. La progression inquiète. La proportion de faux billets est en fait comparable à celle qui existait du temps de franc. Les signes de sécurité ont été impuissants à limiter le faux monnayage. Mais surtout, tandis que la fausse monnaie était concentrée sur certains pays qui ont une tradition ancestrale de faux monnayage, les faux euros se diffusent plus largement y compris auprès de pays qui n'avaient pas de fausse monnaie au temps de leur monnaie nationale.
L'analyse du risque suppose de distinguer les parties concernées. Pour le consommateur (qui manipule de la fausse monnaie sans le savoir), le risque est quasi nul: tant que la fausse monnaie est acceptée comme une vraie, un faux euro a autant de pouvoir d'achat qu'un vrai. C'est sur le commerçant que repose le risque car un faux billet apporté à la banque, n'est pas crédité. Ce risque joue surtout pour les grands commerces qui manipulent beaucoup d'espèces apportées par la clientèle étrangère (Galeries Lafayette, Hermes...).
Mais le risque le plus important est le risque politique car la monnaie est un test de crédibilité des institutions: les institutions européennes sont elles capables de garantir la monnaie? Lorsque le doute survient, les dommages politiques sont considérables. Le faux monnayage est d'ailleurs sévèrement réprimé parmi les crimes contre l'Etat. Une nouvelle série de billets, encore plus sophistiquée que l'actuelle, devrait d'ailleurs circuler en 2012. De quoi donner un peu de répit... avant les nouvelles contrefaçons.
Nicolas-Jean Brehon
Image de Une: Un faux billet de 200 euros fabriqué en Bulgarie Stoyan Nenov / Reuters