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Faute de pouvoir enrayer la vague de fake news qui pollue l’information mondiale, la pop culture apprend à s’en moquer. «La loi de la gravitation est une fake news inventée par Newton», soutenait il y a quinze jours l’actrice Melissa McCarthy dans un sketch chez Jimmy Kimmel. Une enclume accrochée au pied, elle faisait «voler» Jennifer Aniston pour dénoncer le hoax de la pesanteur.
Vous trouvez ça trop caricatural? Le 10 novembre dernier pourtant, un demi-millier de personnes se sont réunies en Caroline du Nord pour faire éclater la vérité à propos d’un autre mensonge de taille: la Terre n’est pas ronde comme essaient de nous le faire croire les agences spatiales, mais plate.
On vous voit esquisser un sourire moqueur. Pourtant, rien ne dit que vous n’avez pas vous-même avalé votre lot de fausses informations.
Fake news alimentaires
S’il vous est déjà arrivé de vous dire qu’il fallait y aller mollo sur le fromage pour ne pas faire exploser votre taux de cholestérol, il se peut que vous soyez tombée dans le panneau d’une des plus belles fake news du siècle dernier: la diabolisation du cholestérol, affirment désormais de nombreux chercheurs, a été lancée par un physiologiste américain et a conduit plus de 200 millions de patients à se bourrer de statines sur la base d’approximations scientifiques.
Vous pensez que le lait écrémé est moins nutritif que le lait entier, qu’il ne faut absolument pas mettre un plat chaud au frigo, qu’un shot de jus d’orange après 17h va vous tenir éveillé toute la nuit ou qu’une cuillère sauvera les bulles de votre champagne? Faux.
Parce que nous aussi, comme Facebook, on veut débusquer les fake news jusqu’en Russie, on vous a dressé un petit menu de Noël des infos incorrectes alimentaires pas faciles à digérer.
1. Buddha n'était pas gros
Ce que vous croyiez savoir: double menton, man boobs et ventre imposant, on ne pouvait pas accuser Buddha d’avoir abusé de Photoshop.
Grottes de Feilai Feng (Hangzhou, Chine) | Via Wikimedia Commons
Les dessous de l’arnaque: les représentations de Buddha ventru ne sont pas celles du vrai Buddha. L’historique fondateur du bouddhisme, Siddhartha Gautama, était un prince blindé aux as qui a tout quitté pour devenir ermite dans une grotte et dont les données historiques laissent à penser qu’il était maigrichon. C’est celui que l’on voit notamment représenté en Asie du sud-est. Rien à voir avec sa version obèse, Butai ou Budai, un vieux moine bouddhiste chinois, à qui caresser le ventre porte bonheur.
Certains expliquent la confusion par la proximité phonétique des deux noms. D’autres, plus branchés ésotérisme, considèrent que «Buddha» voulant dire «éveillé», n’importe qui peut l’être et le gros Buddha est donc l’une des phases d’éveil du Buddha maigre.
2. Il n'y a pas de pomme dans la Bible
Ce que vous croyiez savoir: cette conne d’Ève nous avait niqué la vie au Paradis pour un croc dans une Pink Lady (et vous ne parlez même pas de votre grand-mère qui a voté Chirac parce qu’elle aimait la Golden Smith).
Les dessous de l’arnaque: le fameux fruit défendu est, en réalité, non identifié. «Dans les textes hébreux avant notre ère, on ne parle pas de pomme car ce récit n’existe même pas», souligne Jean-Marie Husser, professeur d’histoire des religions à la faculté des sciences historiques de Strasbourg.
«C’est au IIe siècle, alors que le christianisme est en pleine expansion, que la traduction latine va l’identifier comme une pomme, alors que longtemps, on imaginait que le fruit défendu était une figue, car Adam et Eve sont “vêtus” de feuilles de figuier.»
Pour ceux qui n’ont pas fait latin au collège, l’arbre de la connaissance du bien et du mal se dit «lignum scientiae boni et mali». «Mali» étant le pluriel de «mala», signifiant à la fois le mal et la pomme, tandis que «fruit/arbre fruitier» se dit «pomum». C’est sûr, y a de quoi en perdre son latin.
3. Le bonbec banane n'a pas le goût de banane
Ce que vous croyiez savoir: que quand c’est jaune et courbé, ça a forcément le goût de banane.
Les dessous de l’arnaque: en réalité, le bonbon banane a le goût d’une variété de banane qui n’existe plus, le Gros Michel, à partir de laquelle a été créé l’arôme artificiel de banane.
Ce bon vieux Gros Michel a tiré sa révérence en 1960 en raison d’une maladie fongique due à un champignon (fusariose du bananier, dite maladie de Panama) et s’est fait supplanter par la banane Cavendish, variété prétendue plus résistante à la souche pathogène. Sauf que depuis une dizaine d’années, celle-ci est menacée de connaître le même sort que le Gros Michel, à cause d’une mutation de la maladie de Panama.
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4. Marco Polo n'a pas introduit les pâtes en Italie
Ce que vous croyiez savoir: après un long voyage en Asie, le navigateur Marco Polo a rapporté des pâtes venues de Chine dans ses valises, avant de les introduire dans son pays natal (qui en a fait le plat national), via Venise.
Les dessous de l’arnaque: le mythe Polo serait parti à la fin des années 1920 du Macaroni Journal, sorte de newsletter de la National Association of Macaroni and Noodle Manufacturers of America créée en 1904.
Sur l’une des éditions, une publicité digne du Gorafi racontant l’histoire d’un certain Macaroni, membre de l’équipage de Marco Polo, qui aurait croisé, en Chine, des femmes en train de fabriquer des sortes de spaghettis.
Sauf que, la blague se retrouve dix ans plus tard dans le film Les Aventures de Marco Polo avec Gary Cooper, mais aussi dans l’autobiographie de Carl Crow, connu pour avoir ouvert la première agence de pub occidentale à Shanghai.
Les pâtes auraient déjà été présentes en Italie quand Marco Polo est revenu de son petit road trip, introduites plus probablement par les Arabes lors de la conquête de la Sicile.
5. Il n'y avait pas de dinde lors du premier Thanksgiving
Ce que vous croyiez savoir: que les Pères pèlerins, tout juste débarqués à Plymouth, ont remercié la petite centaine d’Amérindiens locaux autour d’une dinde en 1621.
Les dessous de l’arnaque: à part que les Wampanoag ont apporté cinq cerfs en guise de victuailles, rien ne prouve que la dinde était le centre du repas de fête. Ni les tartes (puisqu’ils n’avaient ni beurre, ni four).
En fait, si la dinde sauvage était effectivement très présente dans cette région à cette époque, les experts s’accordent plutôt pour dire que le repas était composé de volaille sauvage comme des oies ou des canards.
Pour preuve, The Buckeye Cookerie (1877), l’un des livres de cuisine les plus populaires des États-Unis, ne mentionne absolument pas de dinde dans sa liste des plats à servir lors de Thanksgiving.
Selon Andrew Bearhs, auteur de Twain’s Feast: Searching for America’s Lost Foods in the Footsteps of Samuel Clemens (Penguin, 2010), un subtil lobbying des industries de la dinde et de la canneberge expliquerait comment, au moment où Abraham Lincoln fait de Thanksgiving une fête nationale, ces aliments sont devenus les restas de la soirée préférée des Américains.
6. L’OMS s'en fiche que vous fassiez 10.000 pas par jour
Ce que vous croyiez savoir: il est nécessaire de faire dix allers-retours par jour au petit coin pour respecter l’objectif de 10.000 pas quotidiens que vous (et l’OMS) vous êtes fixés (depuis que vous venez au boulot en voiture, votre courbe d’activité fait la gueule).
Les dessous de l’arnaque: le chiffre vient d’un délire marketing autour du podomètre japonais appelé Manpo-kei, comme l’a révélé le New York Magazine.
Au moment des J.O. de 1964, les premiers organisés au Japon, la Yamasa Corporation lance le Manpo-kei, dont le slogan rappelle qu’il faut marcher 10.000 pas par jour. Un chiffre qui aurait été validé par un scientifique japonais, Yoshiro Hatano, qui considérait que ce chiffre permettait de brûler 300 calories et donc de maintenir un bon poids.
Sauf que, deuxième arnaque, ce résultat est basé sur des recherches menées sur l’homme japonais, dont l’alimentation et le rythme de vie n’ont rien à voir avec celui des Européens ou des Américains.
Attention, ce n’est pas non plus une raison de mollir, car l’OMS recommande tout de même aux adultes de pratiquer cent cinquante minutes d’activité d’intensité modérée par semaine.
7. Les épinards ne sont pas bourrés de fer
Ce que vous croyiez savoir: vous enfiler une conserve d’épinard avant votre prochaine prise de sang suffirait à noyer le poisson.
Les dessous de l’arnaque: la réputation de super-concentration en fer des épinards viendrait en fait d’une bourde apparue au XIXe siècle.
Alors qu’il est mandaté pour évaluer la composition de certains aliments, le chimiste allemand E. von Wolf trouve que les épinards contiennent 2,7mg de fer par 100g. Sauf que la personne chargée de mettre tout ça au propre sur un document se trompe et inscrit la valeur de 27 mg (oui, ça change tout).
Une erreur, bien que corrigée quelques années plus tard, qui se trouve confirmée par une autre erreur, celle d’un autre scientifique allemand, Gustav von Bunge, qui confond le taux de fer dans les épinards frais et séchés.
Manque de pot, ce petit dérapage historique serait lui-même un mythe. Popularisée dans le British Medical Journal au début des années 1980, la légende de la légende (aka, la faute de frappe) commence à se propager dans de nombreux articles scientifiques. Bref, si vous êtes perdus (et anémiés), misez sur la viande rouge ou sur le tofu.
8. La tartiflette n'est pas un plat traditionnel
Ce que vous croyiez savoir: la tartiflette sans le reblochon, c’était un peu David sans Jonathan («est-ce que tu viens pour les vacances aux sports d’hiver en Savoie?»)
Les dessous de l’arnaque: c’est une invention finement rodée par le syndicat interprofessionnel du reblochon dans les années 1980 pour booster la vente de ce fromage savoyard. Un secret de polichinelle qui se partageait entre chefs.
«La première fois que j’en ai entendu parler, c’était autour d’une table avec Christian Millau [feu chef et fondateur du Gault & Millau, ndlr], il y a une dizaine d’années. C’est aussi le premier à l’avoir publiquement révélé dans son Dictionnaire amoureux de la gastronomie sorti en 2008», souligne Sébastien Ripari, fondateur du Bureau d’étude gastronomique.
Mais de quoi découle la tartiflette? De la pélâ des Aravis, bien plus traditionnelle et rustique, consistant en une fricassée de pommes de terre avec des restes de fromage (miam les bonnes croûtes), cuite dans une poêle à long manche («pélâ» signifiant «pelle» en arpitan savoyard).
Suffisait de changer le nom dérivé de «tartiflâ» (pour pomme de terre) et d’imposer le reblochon comme l’ingrédient ultime de cette recette pour créer un «classique» de la cuisine montagnarde.
Certains chefs, comme le Savoyard Marc Veyrat, utilisent l’appellation de pélâ des Aravis pour signifier une tartiflette au reblochon, et ainsi jouer la carte du terroir. Y'a de quoi en faire tout un fromage.
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9. Le fortune cookie n'est pas chinois
Ce que vous croyiez savoir: ce petit biscuit qu’on vous sert après votre canard laqué était l’équivalent du porte-clefs Tour Eiffel des touristes à Paris.
Les dessous de l’arnaque: le fortune cookie est japonais, plus précisément originaire de Fukakusa, dans la région de Kyoto. De son vrai nom «omikuji senbei» (biscuits de la chance), sa forme reprend celle des cloches des sanctuaires nippons (d’où le fait qu’il renferme aussi une prédiction).
Mais c’est son passage aux États-Unis qui l’a rendu aussi populaire. Dans le livre Fortune Cookie Chronicles de l’auteure Jennifer 8. Lee, on apprend que c’est à San Francisco en 1906 que son rêve américain débute, grâce à un certain Harigawa, qui fonde le Japanese Tea Garden, fourni en fortune cookies par la boulangerie japonaise locale, Benkyodo.
Mais en 1942, avec l’affrontement dans le Pacifique, la majorité des Japonais installés aux États-Unis sont envoyés dans des camps d’internement. Les immigrés chinois en profitent pour racheter ladite boulangerie et ainsi rincer en masse les restos asiatiques en fortune cookies… BitchStoleMyCookie!