France

Quand la politique devient l'école des fans

Temps de lecture : 4 min

Ils sont plus habitués à recevoir des lettres d'insultes que d'amour, mais les politiques, eux aussi, ont leurs fervents admirateurs.

Pour rien au monde, il ne manquerait l'arrivée de son héros, Dominique de Villepin, devant la salle d'audience du tribunal de Paris. Une rose à la main. Comme à chaque fois qu'il vient depuis le début du procès Clearstream, Georges l'offrira à l'ancien Premier ministre. Lorsqu'on lui demande d'où vient cette passion, l'explication n'est pas très claire. Peu importe, la passion ne s'explique pas toujours. Il n'est pas le seul. Depuis deux mois maintenant, sur le site Villepin.com, les admirateurs de l'ancien ministre s'interrogent sur la meilleur stratégie à adopter pour le 28 janvier, date à laquelle doit être rendu le jugement dans cette affaire.

- «Faudra-t-il attendre DDV sur le trottoir du Bd du Palais devant le n°6, l'entrée publique, ou bien franchir cette porte, entrer dans la cour de la Sainte-Chapelle et aller vers la gauche», se demande miss nicopeia, une fervente activiste.
- «Il ne faut pas attendre DDV sur le trottoir, de toute façon il n'arrivera pas à pied par l'entrée principale. Il est donc plus judicieux de se retrouver dans la salle des pas perdus», lui répond-on sur le mur consacré à l'événement.

Claude Kraft n'est ni un fan de Villepin, ni un forçat de la toile. Son rendez-vous à lui, c'était le 13 janvier dernier, date des vœux de François Bayrou à la presse. «J'ai pris des vacances pour apporter mes services à François, j'ai une foi en lui», explique ce militant mulhousien pour le moins atypique. Déjà en 2007, lors de la présidentielle, ce célibataire avait posé tous ses jours de congés pour suivre Bayrou de ville en ville. «Quand je fais quelque chose, je ne le fais pas à moitié», dit-il. «François», il le trouve «honnête» et «formidable». Ce qui frappe chez Claude Kraft, ce n'est pas sa grosse moustache digne d'Astérix, mais son bracelet orange, son écharpe orange, et sa cravate orange, arborés alors qu'aucun événement ne l'exige.

Entre la joie et la foi

Claude Kraft ne veut pas dire comment, mais il a réussi à obtenir le numéro de portable du leader centriste. «Quand je l'ai au téléphone, c'est deux minutes. C'est une joie. A ce moment-là, il y a une sorte d'angoisse, je ne sais plus ce que je vais lui dire.» Avant, sur son téléphone portable, le message était le suivant: «Vous êtes bien chez Claude Kraft, je suis un grand fervent partisan de François Bayrou.» «Ah mais tu ne peux pas vivre que pour moi», lui rétorque Bayrou. «C'était un peu fort, un peu ridicule», reconnaît-il aujourd'hui. Sans doute, il y a une part d'admiration et d'identification. La mère de Claude Kraft a souffert de la même maladie que celle de Bayrou. «On a souvent échangé des points de vue là-dessus. Et puis on est gémeaux tous les deux.» Claude Kraft a un rêve: déjeuner avec le président du Modem.

Bien sûr, des militants aussi passionnés sont des exceptions. Mais maintenant que les politiques partagent avec les stars la une des journaux people, cet épiphénomène n'a pas de raisons de diminuer. «La peopolisation, ce n'est pas nouveau, mais ça s'accélère», explique Christian Delporte, historien et directeur du Centre d'histoire culturelle des sociétés contemporaines. «Il y a une personnalisation de la vie publique qui nécessite un lien personnel avec l'opinion et une recherche de popularité qui passe par l'exposition de ses compétences et par la recherche de la sympathie, de l'attachement. Il y a de plus en plus un effet d'affect, d'émotion dans la relation que l'homme politique entretient avec l'opinion.»

Le temps des meetings et des «petites gonzesses qui voulaient se faire sauter»

Et l'affect n'est jamais aussi fort que pendant les périodes de campagne présidentielle. Rien de tel pour faire naître la ferveur qu'un bon meeting à l'ambiance surchauffée. La recette n'est pas nouvelle, à en croire Jean-François Probst, ancien compagnon de route de Jacques Chirac. «Dans les meetings de Chirac, se rappelle-t-il, il y avait des petites gonzesses, des groupies qui se déchaînaient et sautillaient dans un phénomène d'hystérie et d'auto-excitation. Il y avait aussi l'“après-match”, où elles voulaient se faire sauter par des politiques.» Une attirance pour le chef, pour le pouvoir, selon Probst. Il y aussi les romantiques un peu folles. Cet ancien du RPR se souvient, au Sénat, d'une jolie femme à chapeau qui —amoureuse d'Alain Poher— assistait à toutes les séances.

Certaines admiratrices ou admirateurs franchissent un cap en envoyant de véritables déclarations d'amour. Bien sûr, le plus classique reste le courrier d'insultes ou de militants, mais pour les cadors des partis des mots doux se glissent régulièrement dans la pile, comme le confirme le porte-parole de l'UMP, Dominique Paillé. «Moi, rajoute-t-il, j'ai eu des invitations à déjeuner, des gens qui envoient des photos. Il vaut mieux ne pas répondre.» Lui dit recevoir entre 5 et 10 lettres d'admirateurs par mois. «Tous les politiques reçoivent des lettres d'amour. Par moment, il y a aussi des poèmes, de la littérature enflammée avec adresse et numéro de téléphone», témoigne Jean-François Probst qui scrutait le courrier quand il était secrétaire général du groupe RPR au Sénat. «A cette époque, une dame nous a écrit qu'elle se masturbait en pensant à Maurice Schumann

Et aujourd'hui, il y a Internet et les réseaux sociaux, un lieu où peuvent s'exprimer les admirateurs plus virtuels mais tout aussi enflammés, à en croire Dominique Paillé: «Sur Facebook, il y a des propositions insistantes et claires, de relations amicales et étroites.» «Les réseaux sociaux, ça permet à des fans de laisser libre cours à leur admiration, à leur amour, dans un rapport qui est plus de l'ordre du fan club qu'autre chose», analyse Benoît Thieulin, directeur de l'agence Web La Netscouade et créateur du récent Coopol, le réseau social du PS. «Internet ne crée pas ce phénomène, ça le révèle», nuance-t-il. Parmi les premières politiques à s'emparer de la toile, Ségolène Royal a notamment utilisé le site Désirs d'Avenir pour recueillir des propositions. Pendant la campagne, un internaute stakhanoviste nommé «Chris» y a, par exemple, laissé plusieurs milliers de messages. Et «une fois que les débats se sont terminés, il est resté une communauté plus du genre supporter de rock stars que militants», souligne Thieulin, qui s'occupait du site à l'époque. Pour le bonheur des sympathisants, le nouveau site Désirs d'avenir comporte aussi son «e-boutique». A côté d'un t-shirt blanc siglé «Fraternité», ce conseil précieux: «En attendant de le porter cet été, exposez-le chez vous!» Pas sûr que les vrais fans puissent attendre si longtemps...

Image de Une: Ségolène Royal à la fin d'un meeting à Besançon en 2007, Reuters/Jacky Naegelen

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