Dans Memento, le personnage de Leonard Shelby se retrouvait au centre d'un imbroglio mémoriel terrible, où meurtres et souvenirs troubles s'entremêlaient jusqu'à ne plus pouvoir distinguer le vrai du faux. Le principe n'était pas si loin d'une affaire judiciaire, elle avérée, qui a secoué le monde de la recherche cognitive dans les années 1990.
On se souvient peut-être de cette sordide histoire du viol et du meurtre de Susan Nason, qu'Eileen Franklin-Lipsker avait dénoncés vingt ans plus tard, accusant son père après avoir supposément recouvré la mémoire des événements lors d'une thérapie. C'est à partir de ce moment que la chercheuse Elizabeth F. Loftus, qui avait déjà travaillé sur les principes de malléabilité de la mémoire, s'est concentrée sur la possibilité d'implanter de faux souvenirs chez les individus, rapporte Science Alert.
Un grand écho dans les affaires criminelles
Les conclusions étaient aussi probantes qu'effrayantes: il est tout à fait possible de faire en sorte que quelqu'un se rappelle avoir commis un acte (fût-ce un crime) ou vécu une situation, qui ne lui est, dans les faits, jamais arrivée.
«Il est assez facile de déformer les souvenirs à partir de détails qu'une personne a vraiment vus en les remplaçant avec une information évocatrice», racontait Loftus au Business Insider.
Cette idée avait été émise dès 1906 par le psychologue Hugo Münsterberg, travaillant alors aux États-Unis. Ses recherches avaient également été poussées par le témoignage d'un homme accusé de meurtre, qui avait fini par confesser le crime, ajoutant toujours plus de détails dans ses déclarations alors que la police l'interrogeait, raconte Science Alert. Mais plus les détails s'accumulaient, plus l'histoire apparaissait incohérente: Münsterberg y vit un cas «d'élaboration involontaire à partir d'une suggestion», liée à l'interrogatoire.
Le cerveau en témoin
Les progrès effectués dans le domaine de la neuroscience ont depuis permis une analyse plus fine et plus technique de ce phénomène, notamment à partir d'une étude des zones du cerveau. En 2007, deux chercheurs avaient demandé à onze personnes de lire une liste présentant des mots d'une même catégorie, puis de les restituer de mémoire.
Cette étude a révélé que les zones sollicitées par le cerveau n'étaient pas les mêmes selon que la personne répondait avec confiance et justesse, ou avec confiance mais en se trompant. Autrement dit alors même qu'une personne est persuadée d'avoir raison, l'activité de son cerveau peut pointer une réalité contraire, au-delà de toute conscience. Dans le premier cas, le flux sanguin augmente dans l'hippocampe, région du cerveau la plus importante pour la mémoire, et dans le second, dans le lobe pariétal, que Science Alert décrit comme lié à une «sensation de familiarité».
La «théorie de la trace floue»
Les faux souvenirs ont bientôt été interprétés à partir d'une théorie dite «de la trace floue»:
«C'est un phénomène psychologique très puissant. Une différence de réalité. Ce n'est pas dire: “je n'arrive pas à me souvenir”, ce qui correspond à l'oubli, mais “je me souviens vivement de quelque chose qui n'est pas arrivé”.»
Cette théorie suppose deux types distincts de mémoire: le mot à mot («verbatim»), et le sens général («gist»). Le sens général est celui dont nous sommes plus enclins à nous souvenir en vieillissant, alors même que la mémoire du mot à mot s'améliore entre l'enfance et l'âge adulte –double phénomène qui a été décrit comme «l'effet de renversement du développement». Cela ne signifie donc pas que notre mémoire s'empire en vieillissant, mais que nos cerveaux s'appuient de plus en plus sur un type de mémoire davantage malléable, ouvrant la brèche à la constitution de faux souvenirs tellement plausibles qu'ils peuvent paraître vrais.
Envisager la flexibilité plutôt que les lacunes
Selon Reyna, celle-ci permet de prendre de meilleures décisions lorsque nous sommes confrontés à des choix dans une situation à risques. Plus prosaïquement, c'est aussi ce type de mémoire qui s'avère le plus utile aux étudiants, qui doivent solliciter un large ensemble de connaissances sur un temps long.
Plutôt que de concevoir cette mémoire générale comme portant les failles du souvenir, il s'agirait donc d'envisager la capacité d'adaptation à un environnement donné qu'elle permet, en colmatant les brèches. L'idéal d'une mémoire «parfaite» qui serait en tout point infaillible, est illusoire: concentrons-nous davantage sur les possibilités offertes par la malléabilité de l'esprit.