La secrétaire d'Etat chargée de la Politique de la ville vient de déclarer à nos confrères lyonnais (Le Progrès) qu'il fallait «nettoyer au Kärcher cette violence urbaine qui tue nos enfants dans les cités». Depuis l'assassinat du petit Amar, en décembre, on pouvait se demander de quel ministre cela allait venir. Ça ne venait pas et l'on commençait à espérer que les réflexes avaient enfin changé, qu'un fait divers sur le thème de la sécurité à l'approche d'une campagne électorale ne serait donc pas utilisé.
Pour l'instant, pour commenter cette affaire, comme pour commenter celle du lycéen du Kremlin-Bicêtre poignardé par un camarade de classe, tous le monde avait été dans le rôle convenu de sa position: les élus locaux, plutôt de gauche, réclament plus d'effectifs de police, les responsables de l'UMP plus d'autorité. Sociologues, acteurs sociaux, rivalisent d'analyses sur le thème de la déstructuration de la jeunesse, de la perte de repères et l'on rejoue l'éternel et lancinant dialogue autour de la responsabilité individuelle et de la responsabilité de la collectivité. Viennent ensuite les considérations sur la montée de la barbarie dans nos sociétés.
Ces débats et interrogations sont légitimes et compréhensibles même si, c'est vrai, on commence à connaître par cœur ces arguments qui ont tous leur part de vérité et aussi d'opportunisme. Et puis la dernière phase, visiblement inévitable: la déclaration volontairement tapageuse. La phrase stratégique, la tactique du pied dans le plat, la provocation sécuritaire de base. Un ministre doit prononcer quelques mots bien sentis censés montrer que le choc est pris en compte au plus haut niveau. «Kärcher», le mot avait bien marché il y a 5 ans dans la bouche du ministre de l'Intérieur de l'époque. (Quand je dis «avait bien marché», entendez, il avait fait scandale... ça ne veut pas dire qu'il avait contribué à régler le problème).
Donc voici Kärcher 2. Cette phrase de Fadela Amara devrait, en toute logique et selon le processus que je tente de vous décrire mais que vous connaissez tous, ce mot magique, un peu guerrier, à consonance germanique, hygiénique et intimidante, devrait donc déclencher, chez les belles âmes de gauche, le réflexe outré, les «comment peut-on?!», les «au secours le fascisme revient». C'est fait pour ça. Nous en sommes là. Victor Hugo disait de Napoléon III: «Ne pouvant créer, il décrète. «On pourrait adapter la formule: «Ne pouvant créer, il qualifie».
Quand en 2005 Nicolas Sarkozy prononce le mot «Kärcher», il y a effectivement de quoi être choquer par le style de mesure qu'on imagine découler d'un tel discours... Mais rien ne s'est passé. Le mot «Kärcher» n'est donc plus choquant en lui-même puisqu'il ne veut rien dire et qu'il ne repose sur aucune politique. Formuler comme ça: «nettoyer la violence au Kärcher», ça n'a pas de sens, bien sûr... Le mot a d'ailleurs été prononcé, il y a cinq ans, et vous le voyez bien, la situation d'aujourd'hui provoque le même mot. Ce qui est problématique, ce n'est pas le mot en lui-même, ce serait plutôt qu'en prononçant ce mot, le ministre de l'Intérieur de 2005 suggérait qu'il allait régler la question. Et vite, et efficacement.
Un kärcher, c'est rapide et efficace. La formule du Kärcher n'est d'ailleurs pas faite pour décrire une action future, elle est faite pour provoquer une réaction indignée de ces fameuses belles âmes dont le Président fait assez régulièrement ses «idiots utiles». Kärcher, en soi, n'est donc pas scandaleux. Pas plus que «Plan Marshall pour les banlieues» n'est miraculeux. Ce sont deux versants, durs et doux, de l'énoncé d'une politique qui, on le constate, n'a aucun effet sur la réalité concrète, puisqu'on attend toujours, et le coup de Kärcher, et le plan Marshall pour les banlieues.
Thomas Legrand
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Image de Une: Fadela Amara Charles Platiau / Reuters