Le caviar (les œufs d’esturgeon femelle) a connu dans les années 1990 une évolution culturelle et agricole, passant du caviar sauvage pêché dans la Caspienne au caviar d’élevage issu d’esturgeons soignés, bichonnés dans des bassins d’eau douce.
Il faut sept à dix ans pour qu’un esturgeon femelle livre des poches d’œufs (la rogne), qui seront ensuite travaillés, salés, mis en boîte. C’est de la haute couture.
Introduit en France dans les années 1920
Il s’agit de sublimer la matière et de sélectionner le caviar de provenance connue: la Chine, l'Italie, la Bulgarie, les États-Unis et même la France, avec notamment la Maison Nordique, en Sologne. Le caviar n’a pas de terroir: les esturgeons croissent où l’on veut, contrôle scientifique nécessaire.
Les boîtes mères de 1,8 kilo sont le premier contenant après la récolte des grains noirs ou gris, plus ou moins éclatants à l’œil. Ceux-ci sont testés en permanence, car le caviar évolue avec le temps. Les caviarologues, selon le mot d’Armen Petrossian, détectent d'abord les parfums au nez, puis l’œil observe la brillance et la couleur. Au toucher, la texture se révèle plus ou moins ferme et ronde.
Grâce aux papilles du palais, les caviarologues goûtent les œufs placés sur la main, près du pouce; les grains en bouche roulent dans la cavité buccale. Ainsi se détectent les arômes, les parfums, la complexité, la longueur en bouche –l’extase. Est-ce le produit alimentaire le plus délicat, le plus fin, le plus emballant du monde –ce qui justifierait son prix d’exception?
Depuis les années 1920, la famille Petrossian fait connaître les œufs d’esturgeon à la France des gourmets et des bonnes tables. L’ancêtre Lazare Maïloff, la branche maternelle, détenait dès 1815 des concessions de pêche sur la Caspienne. Un siècle plus tard, les deux frères d’origine arménienne, Melkoum et Mouchegh Petrossian, ont fait pénétrer les grains dans les plus fameux établissements de la capitale.
Chez Maxim’s, le 24 décembre 1912, le réveillon débute par du caviar, avant la soupe oxtail (à la queue de bœuf), le homard Newburg, le tournedos Rossini, les pommes Maxim’s, la poularde rôtie et la bûche en baisser de rideau. Le 24 décembre 1914, en pleine guerre, on sert rue Royale le caviar aux huîtres, les filets de sole Murat et le soufflé à l’orange. Le 31 décembre 1937, enfin, on débute par le caviar Volga suivi du homard à la Fine Champagne, les noisettes d’agneau de Bretagne Édouard VII, l’éternelle poularde en chaud-froid à la royale et la bombe Saint-Sylvestre.
Au XXIe siècle, au restaurant Maxim’s de Pierre Cardin, le caviar est toujours là, en prélude au dîner de gala, la seule soirée de l’année où l’on sert des caviars d’élevage: Beluga, Osciètre ou Baïka®, Daurenki® et Alverta® –les marques de Petrossian. Y a-t-il des différences de goût, d’élégance avec le caviar sauvage d’auguste mémoire? Le Beluga de la Caspienne a-t-il été une splendeur unique?
Il a fallu du temps, des travaux de recherche, des expérimentations pour que les caviars d’élevage se débarrassent des goûts terreux, désagréables et peu engageants –rien de magique en 1998. Aujourd’hui, il existe dans le monde une centaine de fermes marines réparties sur tous les continents –jusqu’en Israël.
Mikaël et Armen Petrossian | Roméo Balancourt
Sur les 27 espèces d’esturgeons, seules cinq figurent dans la plupart des élevages. C’est la qualité des soins, les observations régulières par des vétérinaires qui sont capitales pour la préparation de la matière première, ensuite triée par des caviarologues aux sens aiguisés. Tout le travail méticuleux de sélection des grains a été mis au point par les Petrossian (Armen, le père, et Mikaël, le fils) dans leur laboratoire de la périphérie parisienne.
Armen Petrossian reste l’Hermès du caviar: il vient de mettre au point un nouveau caviar, le Baïka®, à partir d’esturgeons sibériens aux grains noirs plus gros que la moyenne, en vente cet hiver. Aussi l’élixir 100 % caviar liquide Talisman servant à parfumer les sauces, les œufs: un pur raffinement (150 euros le flacon).
Le caviar liquide Talisman | Via Petrossian
Petrossian, le maître incontesté
Dégustation
• Caviar Beluga Spécial Réserve®. Le plus gros des esturgeons, très rare, grains ronds et moelleux. Des arômes délicats, soyeux, goût de noisette dans un bouquet de saveurs inoubliables. 384 euros les 30 grammes.
• Caviar Ossetra Spécial Réserve®. Couleur ambre clair, miel et or, les œufs roulent sur le palais. Saveur marine iodée, tout en finesse. 180 euros les 30 grammes.
• Caviar Baïka® Royal. Notes de fruits secs, texture fondante, puissance et longueur. 60 euros les 30 grammes.
• Caviar Daurenki® Tsar Imperial®. Élevé dans la région de Shanghai, des grains dorés au goût très doux, presque beurré. 72 euros les 30 grammes.
• Caviar Alverta® Spécial Réserve. Esturgeon russe, goût marin aux notes d’amandes douces, texture roulante, long et délicieux. 138 euros les 30 grammes.
Restaurant Petrossian Le 144
• L'œuf au caviar au restaurant Petrossian Le 144 | Via Petrossian
• 144 rue de l’Université 75007 Paris. Tél.: 01 44 11 32 32. Menus à 39 euros (déjeuner), 135 et 170 euros avec 30 grammes de caviar ou quatre caviars différents, la louche de caviar à 27 euros. Fermé dimanche.
Kaviari, le chouchou de grands chefs
Cette marque française spécialisée dans les caviars et les saumons depuis quarante ans a acquis un remarquable savoir-faire d’expert dans la sélection d’œufs d’esturgeon, à toutes les étapes de production. Kaviari a noué des partenariats qualitatifs avec des éleveurs d’esturgeons qui doivent respecter un cahier des charges précis.
Jacques Nebot, le créateur de Kaviari, Raphaël Bouchez, le PDG, et Bruno Higos (master en caviar) réceptionnent les œufs, placés ensuite en chambre froide pour le travail de maturation –trois mois d’affinage pour que les grains révèlent des arômes de beurre, de noisette, de sel marin. Des goûts uniques, différents selon les types d’esturgeon –Baeri, Osciètre, Transmontanus, Acipenser Schrenki–, dont les œufs sont conditionnés en boîtes de 1,8 kilo. À quel moment les grains doivent-ils être dégustés? C’est le secret de ces caviarologues d’une extrême rigueur: le temps joue sur les grains.
Via Kaviari
De très grands chefs étoilés, parmi les plus célèbres de France et d’ailleurs, se fournissent chez Kaviari. À commencer par Alain Ducasse, qui commande les caviars de Chine dont la marque française Kaviari est devenue une spécialiste reconnue. Les bassins d’eau douce chinois où sont élevés les esturgeons locaux donnent des caviars d’exception, dont l’admirable Kristal, le préféré des stars de la poêle, le plus cher aussi.
Dégustation
• Caviar Transmontanus. Beaux grains noirs aux saveurs de sous-bois, fondants, iodés et bonne longueur. Idéal sur des pommes de terre à peine chauffées. On en redemande. 48 euros les 30 grammes.
• Caviar Osciètre Prestige. Beaux grains brillants de couleur ambre, saveurs subtiles et marines, goût de noisette, à peine salés, d’une vraie séduction en bouche. 75 euros les 30 grammes.
• Caviar Kristal®. Gros grains dorés bien détachés, saveurs riches et complexes, longs en bouche, admirable ensemble proche du chef-d’œuvre, inoubliable. 90 euros les 30 grammes.
Quatre espèces d'esturgeon, quatre types de grains différents
Kaviari commercialise ses caviars toute l’année: seulement 25% de la production est proposée à Noël. La demande des grands cuisiniers pour des plats au caviar (tartare de bœuf au caviar, cresson de fontaine au caviar, sole au caviar au Grand Véfour) est constante du 1er janvier au 31 décembre.
Les ateliers caviar à la Manufacture Kaviari
Via Kaviari
Karin Nebot, la fille du propriétaire historique, a créé des cours d’initiation ludiques et conviviaux aux secrets des caviars –90 euros pour 1h30, 30 grammes de grains, deux coupes de champagne, saumon fumé et blinis. Aussi: la Trilogie à 150 euros et le Master à 250 euros, pour une soirée unique à Paris. Privatisation possible.
• 13 rue de l’Arsenal 75004 Paris. Tél. : 01 44 78 90 52. Petit déjeuner: caviar, saumon fumé, thé ou café à 90 euros. Déjeuner: 50 grammes de caviar, saumon fumé, saumon gravlax, tarama, blinis et deux coupes de champagne à 180 euros. Dîner: le menu d’un chef autour du caviar. De 6 à 8 personnes. Devis sur demande.
Prix compétitifs pour le caviar Latian
En plein XVIe arrondissement, l’Iranien Shahriar Latian a installé une boutique de spécialités nordiques: des cœurs de saumon, des saumons marinés ou sauvages, des taramas (aux truffes) et des caviars à des prix compétitifs –le Beluga Prestige, le Baeri Imperial, le Schrenki Impérial et l’Osciètre Royal–, plus cinquante vodkas, dont une polonaise puissante et longue.
Via Caviar Latian
Pour l’heure, 30 grammes de Baeri à 39 euros, 30 grammes de Schrenki de Chine à 45 euros, 30 grammes d’Osciètre Royal délicieux à 65 euros. Dégustation à midi de saumon à 15 euros. Une adresse à noter.
• 36 rue de l’Annonciation 75016 Paris. Tél. : 01 42 24 19 38. Une épicerie fine de la mer. Fermé dimanche après-midi et lundi matin.
Goûts bien différenciés chez Prunier
C’est en 1921 qu’Émile Prunier, grand restaurateur spécialisé dans les produits de la mer, se lance dans la production de caviars français en Gironde –il est l’un des pionniers de la culture des esturgeons avec la famille Petrossian, bien introduit dans les pêcheries de la Caspienne.
En 1990, la Manufacture Prunier est relancée par Pierre Bergé, propriétaire de Prunier, un des plus fameux restaurants de France au décor classé –admirables céramiques. L’homme d’affaires a dynamisé la marque à l’export grâce à sa Caviar House d’excellente réputation.
Via Prunier
Prunier élabore et commercialise quatre types de caviars d’élevage aux caractères bien différenciés.
• Caviar Tradition. Archétype du style Prunier, d’une étonnante finesse, arômes de noix et d’amandes, long en bouche. 72 euros les 30 grammes.
• Caviar Saint-James. Produit depuis 1932, un caviar racé aux grains clairs, iodés, attaque ferme et beau prolongement en bouche. 119 euros les 30 grammes.
• Caviar Héritage. Disponible en période de pêche, gros grains clairs, préparé selon les principes perses, goût subtil inimitable, un arc-en-ciel de saveurs. Rare et très cher. 288 euros les 30 grammes.
• Caviar Paris. Selon arrivage, gros grains ambrés peu salés, crémeux, complexe, pour vrais connaisseurs. 135 euros les 30 grammes.
Via Prunier
Chez Prunier, le chef Éric Coisel, formé par Alain Senderens, offre un ensemble de plats au caviar: l’œuf coque au caviar (33 euros), les pommes de terre écrasées au caviar (39 ou 69 euros), le carpaccio de Saint-Jacques au caviar (69 euros) et les pappardelles (pâtes) à la quenelle de caviar, 45 grammes (69 euros), un must.
Tartare de bar et huître au caviar Tradition au restaurant Prunier | Via Prunier
• 16 avenue Victor Hugo 75016 Paris. Tél.: 01 44 17 35 85. Menu au déjeuner à 49 euros. Carte de 90 à 150 euros. Fermé samedi midi et dimanche. Boutique: 15 place de la Madeleine 75008 Paris. Tél.: 01 47 42 98 98.
Accords mets et vins parfaits au Taillevent
Le plus beau repas de l’année signé du chef Alain Solivérès au Taillevent. Les vins ont été choisis par l’acteur Pierre Arditi, grand dégustateur et collectionneur de grands crus:
• Tourteau de casier au naturel et aux deux caviars. Champagne Clos des Goisses 2005, Philipponnat, le meilleur des bulles champenoises.
• Aiguillettes de Saint-Pierre nacrées, algue, huître et salicornes. Blanc fumé de Pouilly 2013, cuvée Silex de Didier Dagueneau, un vrai chef-d’œuvre de l’appellation.
• Côte de veau du Limousin en tranche épaisse, saveurs automnales. Saumur Champigny 2007, Clos Rougeard, une merveille.
• Filet de chevreuil rôti, noisettes, coings, cassis et potiron. Côte Rôtie 2009, Domaine Jamet, une pure réussite.
• Croustillant mangue-passion, sorbet citron-vanille, Sauternes Crème de Tête 1983, Château Gilette, un vin inoubliable.
• 15 rue Lamennais 75008 Paris. Tél. : 01 44 95 15 01. Prix de ce repas: 285 euros, 395 euros avec le mariage mets et vins. Fermé samedi et dimanche.