Si l’on en croit une étude Ipsos-La Maison du Whisky, 70% des Français sont prêts à offrir un spiritueux à Noël, et de préférence plutôt du whisky (à 39%). Je pourrais donc rendre hommage chapeau bas à notre insigne et collectif manque d’imagination, bien que ce motif d’achat ne figure pas dans le sondage. Mais en même temps, comme le dit souvent je ne sais plus qui, il n’est pas de cadeau plus original qu’une bouteille quand on la choisit bien.
Besoin d’aide pour le repérage? Voici une liste à épingler sur le Père Noël. Une sélection dont chaque flacon habillera le pied du sapin le plus synthétique, et fera clignoter les yeux plus sûrement que les guirlandes, sans pour autant vous coller les boules.
Du whisky
Moult options s’offrent à vous pour combler l’amateur de malt. On attaque sur un drôle de zébu, le 100% pur malt de la distillerie jurassienne Rouget de Lisle (65 euros), vieilli en tonneaux de vin de paille. Sa robe trouble vous indique qu’il n’a pas été filtré à froid et qu’il a gardé tout son gras. On craque sur son profil atypique de noix, confiture de tomates vertes, figues, olives noires percutant les poires sous une taloche de poivre. Un peu court en bouche, mais ce n’est pas un défaut, tout juste un appel à la gorgée suivante.
Cap vers la Bourgogne, où Michel Couvreur fait vieillir ses scotches. Fleeting O (17 ans, 100 euros) a été élevé en anciens fûts de xérès et de vieux porto blanc. Je pourrais vous parler de son nez dément de fraîcheur, de sa bouche onctueuse qui taquine les fruits à coque, la tomate séchée, le cuir, avec la volute torréfiée presque fumée des vieux Longmorn. Mais ne perdons pas de temps: si vous apercevez la quille chez un caviste, ne vous posez même pas de question. Tendez la main, saisissez, et demi-tour vers la caisse.
Un peu de tourbe? Glissez dans la hotte le Lagavulin 12 ans (114 euros), et c’est parti pour 50 nuances de fumée cendrée. Oui, il coûte deux fois plus cher que le 16 ans (parfait, lui aussi), pour deux raisons: c’est une série limitée millésimée, et il se livre brut de fût (56,5%).
Un peu plus de tourbe? Hé, hé, je connais vos faiblesses… Un nouvel Ardbeg, cela vous donnerait (presque) envie de siffloter Jingle Bells. An Oa (60 euros) se glisse entre Uigeadail et le Ten (pour ceux qui savent): moins gourmand que le premier, mais moins sec que le second. Très bien ficelé dans le genre.
Beaucoup plus de tourbe? On peut toujours compter sur Octomore, le whisky no limit, pour affoler le compteur de ppm (l’unité qui mesure le taux de phénols, et donc le niveau de tourbe). La version 8.3 (229 euros), élaborée à partir d’une orge de l’île écossaise d’Islay, dégoupille 309 ppm (contre 50 pour Ardbeg et 35 pour Lagavulin, à titre d’exemple). Mais sous la fumée percent un fruité exotique sensuel, des baies sauvages mutines et une coulée de chocolat addictive.
Ce n’est pas du malt, ce n’est pas du scotch, ce n’est même pas du bourbon, c’est du Jack, une catégorie de whisky à lui seul. Le nouveau Barrel Proof (80 euros) n’a pas subi l’outrage de la réduction à l’eau: livré brut de fonderie, il envoie les basses et souffle les copeaux. Un Jack Daniel’s qui se serait collé les doigts dans la prise. Allez, vas-y, guitare!
Un rapide crochet dans le grand nord: Box est la nouvelle distillerie suédoise qui monte. Son Quercus Robur (95 euros), une édition limitée affinée sous chêne neuf, expédie une déflagration d’épices sur un fruité serré. Un style très personnel, particulièrement réussi.
Des rhums
Si vous tombez sur une quille du Criterion (65 euros) de la distillerie barbadienne Foursquare, foncez, que votre main ne tremble pas. Mais la bête a du succès, elle se fait très rare.
Pour le prix de la hotte, des rennes et du traineau, et en laissant le père Noël à poil, craquez pour la cuvée L’Essentiel de Saint James (170 euros). Un martiniquais agricole d’exception, qui convoque les notes d’orange, de cerise, de cacao, de tabac fondues sur les épices effleurées de bois (Entre nous, les 7, 12 et 15 ans de la même maison suffisent à allumer les étoiles sur le sapin sans défroquer Santa. Ho! Ho! Ho!).
Envie de vous risquer sur le bizarre ? Le nouveau clairin d’Haïti, Le Rocher (48 euros), élaboré à partir de sirop de canne, louche vers le mezcal avec ses notes fumées et son tranchant acide. Un rhum blanc qui vous fera reconsidérer la notion même de mojito.
De la bière
Officiellement, Beery Christmas (59,90 euros) est un calendrier de l’Avent, imaginé par saveur-biere.com, à savoir un carton dont on soulève chaque jour, du 1er décembre à Noël, un opercule en façade pour révéler une bière. Mais comme rien ne l’indique sur le coffret, on fait comme on veut, et rien n’empêche de démarrer l’éphéméride un 25/12 pour en faire un calendrier de l’Après. Perso, j’ai massacré la boîte à peine reçue pour changer l’ordre de départ vers le décapsuleur, et le ciel ne m’est pas tombé sur les couettes. La sélection des bières est originale, le carton pèse un âne mort (15kg), mais on se le fait livrer gratuitement en 48h, alors… Oubliez le kit de l’apprenti brasseur qui finira dans l’évier.
Du gins, de la vodka, etc
La folie du gin commence à retomber, et tant mieux: seuls les meilleurs vont surnager. Coup de chapeau au breton H2B (38 euros), émoustillé d’algues et de plantes du littoral. Grassouillet en bouche, maritime, mentholé, il embarque les Gin-To vers le large. Pour l’heure distillé par Bercloux, près de Cognac, il sera bientôt fabriqué dans la Distillerie du Golfe, à Plougoumelen (ce n’est pas sur la carte, ne cherchez pas).
Christian Drouin s’est taillé une réputation méritée avec ses calvados d’excellence. Mais avec ses pommes, le bougre mitonne également Le Gin. La cuvée affinée en fûts de calva (49 euros) rafraîchit les verres en laissant fuser un aromatique épicé que les glaçons ne calmeront pas.
Oubliez les céréales, cette vodka est élaborée à base de… lait. Dans le Gers, en terres d’Armagnac. Selon une tradition venue de Mongolie. Et distillée dans des alambics charentais. Impossible de dénicher plus cornu que Lactalium (65 euros) dans l’univers pourtant baroque des spiritueux. Oui, mais le goût? Dense, veloutée, riche en umami, avec des notes fumées d’artichaut qui électrisent le Bloody Mary. Mais cette vodka gastronomique se marie également à merveille avec les poissons fumés.
Restons en Armagnac, la région qui produit en France le plus grand nombre au mètre carré de merveilles liquides à plus de 40°. Je vous ai choisi pour les fêtes un Château de Lacquy 17 ans (84 euros, le prix d’un whisky de 5 ans aujourd’hui, misère!), assemblage de 3 cépages (baco, colombard, ugni-blanc), tendu comme une arbalète sur ses notes florales et ses arômes de fruits séchés et à coque percutés d’épices chocolatés. Si l’on considère sa longueur en bouche, c’est sans doute le plus rentable des plaisirs.
Des livres
Après les travaux pratiques, passons à la théorie. Trois ouvrages hautement recommandés convertissent avec talent le liquide en papier (ou le contraire). Mezcal, l’esprit du Mexique (Hachette, 19,95 euros) se penche avec pédagogie sur le destin, la culture, la fabrication et les secrets de la plus méconnue des eaux-de-vie d’agave, devenue l’alcool favori de Hipsterland en un sifflement de godet.
Bières, le Guide ultime (Dunod, 24,90 euros) vous fera réaliser qu’en fait vous ne connaissiez rien à la mousse. Ce bouquin très complet prend un malin plaisir à tordre le cou des légendes et à éviter les facilités: on applaudit des deux moufles.
Enfin, Iconic Whisky (La Martinière, 24,90 euros) fait l’objet d’une réédition très largement actualisée. Le sonar du malt, capable de détecter quelque 1.000 whiskies pour les désosser en pictogrammes. Vertige. Ivresse. Soufflez dans l’éthylotest après lecture avant de prendre la route.