France / Culture

Électrisons l'Académie française!

Temps de lecture : 6 min

L'Académie française a élu ce 14 décembre le médiéviste Michel Zink pour occuper le «fauteuil» laissé vacant par la mort de René Girard. Un choix très classique.

Séance publique de l'Académie française, le 1er décembre 2016 à Paris | Éric Feferberg / AFP.
Séance publique de l'Académie française, le 1er décembre 2016 à Paris | Éric Feferberg / AFP.

Mauvaise blague que vous feraient vos amis s’ils se mettaient en tête, pour le fun, pour se réjouir ensuite de votre mine déconfite, de déposer une candidature à votre nom à l’Académie française.

Pour que la plaisanterie ait une chance de prendre, il faudrait bien sûr que vous soyez vous-même une écrivain de quelque renom, un critique redouté, une scientifique de réputation internationale, douée d’une œuvre ou à défaut d’une surface mondaine assez attirante pour décider deux Immortels à porter votre candidature et à faciliter votre campagne électorale –riche en apéros et petits fours– auprès de chacun des académiciens, comme le veut la tradition.

Ceux qui ont refusé l'honneur

Ne nous étonnons pas: ils sont nombreux à avoir réellement redouté pareille perspective. À en avoir fait des cauchemars, même. Et à s’être précipités dans la rue pour faire savoir aux salons littéraires de leur temps, au pouvoir, à leurs rivaux, débiteurs ou alliés, qu’ils refuseraient l’honneur d’«entrer à l’Académie».

Ils renonçaient d’avance au bâton de maréchal qu’on allait forcément leur tendre un jour ou l’autre, car ils connaissaient bien leur monde, et Paris. Ainsi Baudelaire, Stendhal, Flaubert et Gide. Molière, Rousseau, Beaumarchais et Balzac. Peut-être aussi Apollinaire, Proust, Péguy, mais ils sont morts trop tôt, laissant leur postérité sans avis précis sur la question.

Plus près de nous, on est sûr des refus, ou des prises de distance de principe, de Jean Echenoz, Pascal Quignard, Milan Kundera, Tonino Benacquista. Nos deux prix Nobel en exercice, Jean-Marie Le Clezio et Patrick Modiano: non merci. Tous peu ou prou persuadés qu’au-delà de la fonction première de l’Académie, l’uniformatisation de la langue française, l’estimable assemblée n’avait d’autre raison d’être que de prolonger, corps et songes au chaud, des destinées de notables.

«Nous voyons souvent ceux que l’âge, les disgrâces, ou le dégout des grandeurs forcent à y renoncer, venir parmi nous se consoler ou se désabuser», écrivait déjà l’académicien Charles Pinot-Duclos dans les années 1750.

L’Académie française suscite l’ironie, vieille histoire. «Les personnalités marquantes de la vie culturelle», peuplade dans laquelle les Immortels aiment à recruter, ne s’approchent pas de l'Académie quand elles sont jeunes, femmes, francophones, simplement rebelles au conventionnel, révolutionnaires ou même, banalement, plutôt de gauche –à commencer par le pape du genre, Louis Aragon.

Entre deux longues périodes d’études, consacrées au dictionnaire, que les mauvaises langues disent d’assoupissement, reviennent des critiques sur le conservatisme-maison, de langue et plus largement de rayonnement.

Trop rares Immortelles

La dernière en date remonte au 26 octobre et à un communiqué de presse, par lequel l’Académie expliquait rejeter, à l’unanimité, l’écriture «inclusive», en des termes assez vifs.

Et en ce 14 décembre, jour de l’élection du successeur du «fauteuil» du philosophe René Girard, la querelle dure toujours, portée pour l’essentiel par les milieux féministes. Au-delà du débat sur la féminisation de la langue française vient de naître une campagne contre l’une des Bastilles masculines les plus en vue du pays –et ce, au moment où la disparition de Jean d’Ormesson, archétype de l’académicien courtois, lisse… et finalement macho, replace l’institution dans l’actualité.

En 1945, les quelques femmes membres ou sympathisantes du Comité national des écrivains (CNE), autour d’Elsa Triolet, reprochaient déjà aux Immortels d’ignorer les candidatures féminines. L’Académie avait finalement accepté d’exclure de leurs rangées de fauteuils les auteurs coupables d’inclinaisons collaborationnistes, comme Pétain et Abel Bonnard. Mais sur la question des femmes, elle était restée sourde, quoiqu’avec esprit, comme il se doit.

Il a fallu attendre 1980 et l’élection de Marguerite Yourcenar pour que le Quai Conti fasse un peu de place au deuxième sexe. Les académiciennes, depuis, ont été jusqu’à 8. Après la disparition de Simone Veil, elles ne sont plus que 4: Danielle Sallenave, Florence Delay, Dominique Bona, derrière «la figure matriarcale», Hélène Carrère d’Encausse, dont l’élection au poste de secrétaire perpétuelle sert toujours d’alibi et de ligne de défense à la majorité masculine de l’assemblée.

Les Immortelles ont résolument approuvé le communiqué rendant compte de «la solennelle mise en garde» de l’Académie française sur l’écriture inclusive, porte ouverte, selon elle, «à une langue désunie, disparate dans son expression, créant une confusion qui confine à l’illisibilité».

Pour le groupuscule féminin de l’assemblée, la bataille pour les femmes ne passe pas par la langue. Celle-ci, dans ses états successifs, n’est que l’une des conséquences sociales, culturelles et sociétales de l’évolution de la collectivité, et le dictionnaire, comme les pratiques grammaticales, se contentent d’en avaliser l’usage dans la langue.

Il est en revanche rappelé, même dans «la bande des 4», que les femmes sont peu nombreuses à se porter candidates à l’élection. Deux, semble-t-il, sur les six dernières années. Ces messieurs, les parrains des futurs candidats, évidement, ne se bousculent pas, en tout cas pas tous, pour promouvoir l’entrée de femmes. Ou pas assez.

Institution percluse de rhumatismes

L’Académie dort sur ses habitudes de lenteur. Un an au moins, parfois deux, entre la mort d’un Immortel et l’élection de son successeur. Et ils sont sept «fauteuils» actuellement déclarés vacants, après les disparitions rapprochées d’un groupe d’académiciens, dont celles de Max Gallo, Simone Veil, Michel Déon et Jean d’Ormesson. Au rythme adopté, la septième élection n’aura lieu qu’au début des années 2020.

L’académie s’ouvre, s’entrouvre, mais à un train de sénateur. Les murs du Quai Conti sont épais et les chocs du monde n’y sont pas toujours perceptibles. Ainsi a-t-on fait aussi à l’assemblée le procès du manque, dans ses rangs, de francophones. Inexact, désormais. Ils sont deux, le Libanais Amin Maalouf et le Canadien d’origine haïtienne Dany Laferrière. D’autres viendront. Patience.

Percluse de rhumatismes, l’institution évolue plus posément que l’époque médiatico-culturelle. Le décalage s’aggrave et l’actuelle campagne, disons d’ironie, ferait passer à tort l’Académie pour une officine de la réaction, rivée à ses conservatismes de manières et de fond.

Ils ne sont que 33, cette année, à occuper leurs rangs clairsemés, mais composent néanmoins une collectivité assez riche de figures originales. François Weyergans, par exemple, autrefois l’écrivain le plus remuant de l’écurie Grasset. Du talent, d’un «fauteuil» l’autre. Pierre Nora, fondateur de la revue Le Débat. Le philosophe Jean-Luc Marion. Les romanciers Dominique Fernandez et Andreï Makine. Ceux qui sortent dehors, pour se mêler de nos débats publics, Michel Serres, ou les plus «jeunes», Jean-Christophe Rufin, Erik Orsenna et Alain Finkielkraut.

Pas si mal, à se retourner sur leurs œuvres ou leurs carrières dans le siècle. Leur dictionnaire est de grande qualité, et les séries de blogs «Dire, ne pas dire», sur les confusions et difficultés de langage connaissent un vif succès. On trouve moins qu’autrefois de ces figures de parrainage du pouvoir politique, les Maurice Druon, Alain Peyrefitte, Michel Debré, sentencieux et moralisateurs. Les académiciens sont à peu près normaux, et il serait injuste de les discriminer.

Simplement, trouver le moyen de les associer plus étroitement à la marche du temps, même dans ce qu’il a d’agité, ne serait pas de trop. Née en 1635, par la volonté du cardinal de Richelieu, l’Académie française a survécu jusqu’ici, ce qui constitue déjà une performance. Électrisons-la. Ne la laissons pas à ses engourdissements d’automne.

Gardiens du temple

D’ailleurs, ses membres ne sont pas aussi âgés qu’on le croit: 68 ans de moyenne d’âge d’entrée pour les 19 Immortels élus depuis 2005. Il y a parmi eux pas mal de fous charmants, avec qui faire affaire. Jean d’Ormesson, tiens: écrivain juvénile, jusqu’au soir venu.

Éxigeons un dépoussiérage. L’évolution de rites qui paraissent de secte aux non familiers. Gardons les discours de réception, souvent remarquables, mais reprenons leurs épées et bicornes qui les font passer, avec les uniformes verts brodés de feuilles d’olivier, pour les participants un peu chancelants d’une fête costumée –coût de l’uniforme complet: autour de 40.000 €, à la charge des amis du récipiendaire.

Toutefois, pour mettre en avant de telles demandes à l’égard des occupants à vie de la vielle maison, encore convient-il de nous intéresser nous-mêmes aux mots. D’aimer la langue dont ils sont les protecteurs, et d’apprécier la pratiquer à leur manière. C’est à dire avec l’ambition, déjà, d’user de plus de 150 mots.

Car ces Immortels jouent, avec tristesse et nostalgie, pour un monde perdu de lettrés, avec l’idée que les temps actuels malmènent la langue française –ce qui n’est pas faux. Ils sont les premiers accusateurs de l’Éducation nationale, pour ses abandons. Gardiens du temple, dans une époque d’illettrisme revenu, telle est leur fierté conservée. C’est sur ce terrain d’exigence, au prix des mots, qu’une chance existe de les amadouer.

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