Ce n'est pas vraiment de l'ennui pas plus que cette tristesse qui parfois sans raison endeuille le cœur non, non c'est encore autre chose comme un engourdissement de l'âme, une sorte de langueur indéfinissable, d'indicible fatigue, de mélancolie oiseuse qui, venue des profondeurs de l'être, colore le ciel, le monde alentour, d'un parfum d'immense lassitude.
Rien alors ne trouve grâce à vos yeux, tout semble être lourd, pesant, figé; on se réveille le matin sans envie, sans entrain, sans allant et tout au long de la journée qui s'ensuit on traîne comme un fardeau ce sentiment de vide, de renoncement, de non envie absolue que rien ne saurait distraire.
On s'empare d'un livre pour le reposer aussitôt, un morceau de musique qui hier encore vous donnait comme une palpitation à l'âme ne provoque en vous qu'un morne bâillement; la rumeur du monde glisse sur vous, atone; la couleur du ciel vous indiffère; les glissades du chat vous font à peine sourire; vous n'aspirez qu'à dormir, à enjamber le cours de cette journée pour retrouver le chemin de la joie et de l'espérance.
Rien ne vous atteint vraiment, vous voilà ni triste, ni vraiment accablé, juste absent, retiré d'un monde dont la marche en avant vous importe peu; vous avez l'humeur chagrine sans en ressentir l'amertume habituelle, ce serait plutôt comme un agacement intérieur qui n'arrive point à se fixer et vous rend aussi désœuvré qu'un oiseau à qui on aurait interdit de chanter.
Vous ne rêvez à rien, vous n'avez envie de rien, vous allez d'une pièce à l'autre de l'appartement sans que rien ne parvienne à attirer votre attention, vous restez à la fenêtre à contempler la vie au dehors impuissant à éprouver un quelconque intérêt au spectacle sans cesse changeant de la rue, vous avez le regard vague, l'allure un peu pataude, les nerfs languides, vous soupirez, vous fermez les yeux ; quand vous les rouvrez rien n'a changé, vos pensées sont toujours aussi empesées, il vous tarde d'être ce soir et si jamais vous parvenez à trouver la force de vous dégourdir les jambes, vous rentrez bien vite tant il vous coûte d'affronter le regard des autres.
Il faudrait peut-être s'enivrer pour réanimer ce cœur qui se morfond mais cette ivresse à venir ne vous dit rien qui vaille; les liqueurs respirées les unes après les autres ont ce parfum capiteux des outrances à éviter et vous les laissez à leur solitude sans même y goûter; c'est à peine si vous prenez le temps de manger; par moment un soupir vous échappe sans que vous puissiez en dire la nature tant le mouvement de la pensée est chargée d'une pesanteur sans nom.
Rien ne vous dégoûte mais tout vous ennuie et dans cette humeur propice à l'endormissement des sens, vous voilà bientôt fatigué de n'avoir rien accompli.
C'est comme une éclipse de la vie intérieure qui se prolongerait tant et plus qu'elle semblerait être destinée à durer pour l'éternité, dans ce clair-obscur de l'existence qui ne serait ni un atermoiement du sentiment ni une exaltation de la pensée mais plutôt un affadissement généralisé d'où rien ne décisif ne pourrait jamais advenir.
En fait, la vie vous emmerde.
Royalement, triomphalement, intensément.
Et comme cet emmerdement ne saurait être que passager, vous écrivez un billet emmerdant au possible histoire de bien emmerder votre monde.
Voilà c'est fait.