Elle s’appelle Giovanna. C’est une héroïne. Pas une héroïne de film, une héroïne dans la vie. Il y en a plein, des Giovanna, même si pas assez. Mais on les voit moins souvent au cinéma que Superwoman ou les X-Men.
Pourtant, elle aussi à des superpouvoirs: la patience, le sang-froid, la fermeté. Et elle aussi se bat contre des super-vilains bien pires que Lex Luthor, Magnéto ou le Joker: la Camorra, la routine, le cynisme.
Ses aventures ont lieu dans un monde qui ressemble au nôtre en plus extrême, comme Gotham ressemble à New York: les cours et les HLM d’une banlieue, ici près de Naples.
L’Intrusa n’est pas un film d’effets spéciaux et de gadgets. Son seul fantastique nait de la collision entre la planète sombre de la misère des grandes villes contemporaines et l’énergie d’individus qui s’obstinent à bricoler le monde autrement.
Le combat est dur, il n'est pas triste
Voilà l’aventure que raconte Leonardo Di Costanzo. Giovanna dirige La Masseria, un centre qui accueille les enfants d’un quartier dit «défavorisé» (quel mot bizarre). C’est-à-dire qu’elle est, avec les armes de la parole, de l’exemple, de la sensibilité et de la rigueur, une guerrière sans cesse en première ligne.
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Ce combat est dur, épuisant, il n’est pas triste. Il est même plein de moments joyeux, inattendus, festifs ou foufous.
Il devient terrible lorsque l’épouse d’un chef mafieux s’installe dans un bâtiment abandonné de La Masseria, et y envoie sa fille.
Jusque-là tenue tant bien que mal à distance, la Camorra est dès lors dans la place –la famille du mari veut récupérer les gamins– et pire encore peut-être, dans les esprits –les autres parents ne veulent pas de cette proximité pour leurs enfants. Les «autres parents», ce sont presqu'uniquement les mères, dans ce film presqu'entièrement habité par des femmes.
Entre le principe de l’hospitalité et la mise en danger de la communauté, on passe du drame épique à la tragédie –sans quitter le bitume et les terrains vagues.
Un cinéma situé
Leonardo fait un cinéma situé. Inscrit dans un environnement précis, des lieux, une langue (le napolitain), des rapports humains –c’est ainsi qu’on l’avait découvert, avec son remarquable premier long métrage de fiction, L’Intervallo, il y a cinq ans.
Sa longue pratique du documentaire y est très perceptible, elle ne cesse d’enrichir la puissance romanesque, et la valeur d’interrogation universelle de son film.
La fabrication collective d’un robot comique et l’attaque en règle par la police d’un repaire de gangsters y trouvent naturellement place.
Le réseau des relations (avec l’administration, avec les flics, entre les générations) irrigue une situation qui semblait pouvoir être circonscrite à une scène étroite. La présence surplombante d’un hélicoptère rappelle l’existence de puissances «supérieures», menaçantes, invisibles.
Les plans larges inscrivent les péripéties qui surviennent dans La Masseria et les blocs d’immeubles qui l’entourent au sein des paysages urbains infiniment plus vastes.
Di Costanzo ne «charge pas la barque», n’en rajoute ni sur la misère ni sur la violence, évite le folklore racoleur où se complaisent si volontiers nombre de ses collègues comme Garrone ou Sorrentino.
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Le spectacle –s’en est un– naît de l’attention aux détails, de la mobilité des corps, notamment ceux des enfants. Ces changements d'échelle, ces détails et mobilités sont remarquablement mis en valeurs par la caméra d'Hélène Louvart.
Il nait aussi, de manière décisive, de l’étonnante présence de l’interprète principale, Raffaella Giordano.
On songe par instants à Anna Magnani, tant impressionne cette vibration intérieure, physique, émotionnelle, qui habite l’écran d’un mélange de rage et d’amour, de détermination et de fierté, jusqu’à des états et des choix limites, jusqu’à des gouffres.
L'Intrusa
de Leonardo Di Costanzo,
avec Raffaella Giordano, Valentina Nannino, Martina Abbate, Anna Patierno.
Durée: 1h35.
Sortie le 13 décembre 2017