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Le Liban fera-t-il de Macron un grand de ce monde?

Temps de lecture : 6 min

Après un premier succès diplomatique dans l’affaire Hariri, la France cherche, en se servant du Liban comme base et caisse de résonance des tensions interrégionales, à s’imposer comme médiatrice entre l’Arabie saoudite et l’Iran. Un pari loin d’être garanti.

PHILIPPE WOJAZER / POOL / AFP
PHILIPPE WOJAZER / POOL / AFP

Beyrouth

Alors que la Russie s’est imposée comme maître incontestable du jeu militaire et diplomatique en Syrie, face à une politique étrangère américaine oscillant entre volonté de retrait et ambiguïté depuis l’ère Obama, la France, quasi-absente des pourparlers d’Astana et de Genève sur le conflit syrien, tente de revenir sur l’échiquier moyen-oriental via la porte libanaise.

Son intervention chirurgicale début novembre pour «exfiltrer» le Premier ministre Saad Hariri, plus ou moins assigné à résidence en Arabie saoudite, a marqué, selon les observateurs, un tournant et révélé une volonté claire de jouer un plus grand rôle dans la région, en capitalisant sur une position de niche: celle d’intermédiaire entre les principaux belligérants dans la région, l’Arabie saoudite et l’Iran en tête, avec en filigrane leurs parrains américain et russe.

«Emmanuel Macron souhaite remettre la France au centre des règlements des conflits et au cœur de la baisse des tensions au Moyen-Orient, en privilégiant la diplomatie de la “médiation” et de l’“empathie”», explique Emmanuel Dupuy, spécialiste des relations internationales.

«Un moment crucial»

Outre la récente médiation réussie entre Beyrouth et Riyad, plusieurs autres exemples confirment cette nouvelle tendance, «à l’instar du soutien à la médiation de l’émir du Koweït dans la crise opposant le Qatar aux autres pays du Golfe, ou la proposition française de servir de “facilitateur” entre le gouvernement irakien et le gouvernement régional kurde, dans la foulée du référendum du 25 septembre dernier», ajoute l’expert.

Mais le Liban reste «le pays vecteur de cette nouvelle ambition levantine et moyen-orientale de la France, comme le fut l’Arabie saoudite pour François Hollande, le Qatar pour Nicolas Sarkozy ou déjà le Liban et la Syrie sous Jacques Chirac», poursuit Emmanuel Dupuy.

Hollande en Arabie saoudite I STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Beyrouth sera d’ailleurs au cœur d’une tournée du chef d’État français au printemps prochain, qui comprendra également la Jordanie, la Palestine et Israël, tandis qu’une conférence internationale de «soutien au Liban» a lieu aujourd’hui à Paris. Cette réunion comptera des représentants des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU, dont le chef de la diplomatie américaine Rex Tillerson, ainsi que de l'Allemagne, de l'Italie et de l'Egypte. Selon le Quai d’Orsay, il s’agit de soutenir «un processus politique dans un moment crucial» et d’envoyer un double message «à la fois aux acteurs libanais et aux pays de la région».

Les atouts de la diplomatie française

Car contrairement aux autres pays voisins très majoritairement sunnites, l’«avantage» du Liban, au vu du rôle que cherche Paris à s’attribuer, est qu’il abrite deux grandes communautés sunnite et chiite, à pied d’égalité sur le double plan démographique et politique, ainsi que le «QG» du Hezbollah. Il fait, en outre, davantage office de caisse de résonnance des tensions entre les deux poids lourds régionaux depuis l’«affaire Hariri».

Or, c’est justement au niveau de ce bras de fer que l’action française pourrait s’avérer efficace, d’autant que Paris entretient toujours de bonnes relations avec Riyad et multiplie les signes d’ouverture envers Téhéran depuis quelque temps. À cet effet, «la France n’entend pas suivre la posture rigide de Washington à l’égard du Hezbollah et veille scrupuleusement à ne pas apparaître comme soutenant la position américaine visant à désertifier l’accord sur le nucléaire iranien», explique Emmanuel Dupuy.

La visite historique d’Emmanuel Macron à Téhéran, prévue en début d’année prochaine, constitue une étape de plus dans ce processus de dégel progressif avec l’Iran et de démarcation de la position occidentale. Un déplacement qui confirme, selon le spécialiste, «une forme de Realpolitik macédonienne, somme toute en conformité avec les déclarations d’ouverture de Macron envers Bachar Al-Assad pendant sa campagne électorale».

Le «coup» d’Obama

Autre atout, certes moins primordial, mais sur lequel la France a toujours joué et qui reste d’actualité dans cette nouvelle offensive de charme: son rôle historique de protectrice des chrétiens d’Orient, qu’elle dispute néanmoins avec la Russie. Moscou exploite également cette carte, en tant que grande puissance orthodoxe dans un monde arabo-musulman où les minorités chrétiennes sont davantage de rite oriental (grecs-orthodoxes, coptes, etc.).

En cherchant à jouer le rôle de médiateur, Emmanuel Macron vise en tous cas à redonner à la France une influence et une légitimité qu’elle n’a cessé de perdre dans la région depuis le fameux «tournant» de septembre 2013. Durant les deux premières années du conflit syrien, Paris était aux avant-postes diplomatiques, voire même quasi-militaires, avant de perdre largement son lustre au lendemain du «coup» Obama.

Martin BUREAU / AFP

Alors qu’elle s’apprêtait à lancer à l’époque, de concert avec Washington, une offensive contre le régime de Bachar el-Assad, à l’instar de celle menée en Libye contre Mouammar Kadhafi, son lâchage de dernière minute par les États-Unis avait fait vaciller sa diplomatie, voire même sonné le glas d’un certain rôle prépondérant dans la région. Le discours va-t-en-guerre de François Hollande et la capacité ainsi que l’autonomie du decision-making français ont été largement décrédibilisés par cette affaire. La France est apparue encore une fois comme une puissance moyenne qui dépend des États-Unis et dont le verbe et l’action ne sont pas toujours en phase.

«Après cette rhétorique dure de Paris sur le dossier syrien sans que les actions ne suivent les paroles, la France s’est faite écarter du jeu syrien par les Russes avec l’accord de l’administration Obama. Elle s’est retrouvée dans une position purement déclarative, là où ce qui compte est la maîtrise des territoires et des moyens de coercition», souligne Julien Théron enseignant en géopolitique des conflits à Sciences Po.

Diplomatie et intérêts économiques

Derrière le changement de cap actuel se cachent, par ailleurs, des intérêts économiques aussi bien avec l’Arabie qu’avec l’Iran. Alors que Mohammed ben Salmane vient d’investir 500 milliards de dollars dans un projet de cité économique du futur, Paris compte bien avoir sa part du gâteau. L’Arabie saoudite est «le premier client de la France en matière d’armement, avec une part de 15% à 20% de la totalité des contrats d’exportation, soit 9 milliards d’euros entre 2010 et 2016», précise Emmanuel Dupuy.

Mohammed ben Salmane I Fayez Nureldine / AFP

Mais les investissements français se multiplient également en Iran, un marché prometteur de 80 millions d’habitants, depuis la levée progressive des sanctions économiques, dans le sillage de l’accord sur le dossier nucléaire.

Le groupe PSA, qui représente déjà 35% du marché automobile du pays, a signé, début octobre 2016, des accords avec les deux principaux constructeurs, Iran Khodro, pour fabriquer des Peugeot à Téhéran, et Saipa pour produire des Citroën à Kashan. Quant au groupe Renault, il est désormais en cours de création d’une coentreprise avec le conglomérat d’Etat Idro, bras économique du régime iranien.

Outre le secteur automobile, Total, présent en Iran depuis 1954, a signé en juillet dernier un contrat de 2 milliards de dollars pour la première phase de développement d’un important champ gazier offshore.

Se rapprocher de l'Iran?

Mais les conditions ne sont pas encore réunies, estiment les experts, pour que la France puisse jouir pleinement du rôle de médiatrice dans la région, encore moins d’une position de premier rang.

«La France a été très proche de Riyad au cours des quinze dernières années. Ces liens privilégiés ont été davantage consolidés sous le mandat Hollande, jusqu’à épouser, sans nuance, les théories saoudiennes. (…) Or, si Paris veut s’imposer comme intermédiaire, des gestes supplémentaires sont à fournir envers l’Iran», souligne Karim Bitar, directeur de recherche à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS).

Cette condition d’équidistance, totalement absente durant les trois derniers mandats présidentiels, n’est toujours pas satisfaite, malgré la volonté et les efforts menés par Emmanuel Macron pour rectifier le tir. Durant la récente crise libanaise, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves le Drian, a ainsi dû annuler une visite à Téhéran et hausser le ton contre l’ingérence iranienne dans les affaires libanaises.

Pas de rôle de premier rang

Par ailleurs, la France ne pourra pas jouer le rôle de premier rang dans la région –dont elle jouissait jusqu’à la moitié du siècle dernier– ou du moins avoir le même impact sur le terrain que Moscou, impliqué militairement en Syrie depuis septembre 2015, estiment les spécialistes, tandis qu’elle devra composer avec une alliance naissante entre Washington, Riyad et Tel-Aviv visant à contrer l’hégémonie de l’Iran dans la région.

En parallèle, et en guise de crédibilité, Paris devra se démarquer de certaines prises de position américaines dans la région, dont la plus récente est la reconnaissance par Washington de Jérusalem comme capitale d’Israël. Pour Emmanuel Dupuy, la France devra, enfin, «tenter d'apaiser les tensions nées avec Moscou, sur fond d’annexion de la Crimée en octobre 2014, si elle veut garder du crédit dans ses velléités de redécouverte de sa profondeur historique dans la région».

Le «come back» français est donc amorcé. Mais il n’est qu’à ses débuts, tandis que le pari d’une œuvre complète paraît, du moins pour l’instant, assez risqué.

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