«L'ambassade des États-Unis en Israël devra être établie à Jérusalem au plus tard le 31 mai 1999.»
C'est ce qu'indiquait la troisième section du Jerusalem Embassy Act, voté par le Congrès des États-Unis en octobre 1995, soit vingt-deux ans avant que Donald Trump ne reconnaisse, ce mercredi 6 décembre 2017, Jérusalem comme capitale de l'État israélien et n'annonce le déménagement de l'ambassade des États-Unis dans la ville sainte.
Votée peu après le deuxième volet des accords de paix d'Oslo, cette loi n'avait donc jamais été appliquée depuis alors qu'elle avait fait l'objet d'un assez large consensus entre les Démocrates, alors à la Maison-Blanche, et les Républicains, qui dominaient le Congrès: le Sénat avait voté le texte par 93 voix contre 5 et la Chambre des représentants l'avait approuvé par 374 voix contre 37.
Mais une clause dérogatoire y avait été ajoutée, permettant au président d'en suspendre l'application pour six mois dans le cas où cela lui semblerait nécessaire afin de «protéger les intérêts de la sécurité nationale des États-Unis». De l'administration Clinton à l'administration Trump, qui avait décidé d'un nouveau sursis en juin, en passant par celles de Bush Jr. et d'Obama, l'application du Jerusalem Embassy Act avait ainsi été repoussée de six mois en six mois. Le motif principal étant de ne pas mettre en péril le processus de paix israélo-palestinien en témoignant une préférence pour Israël, les deux pays revendiquant Jérusalem comme capitale.
Un large soutien de la communauté juive
En 1995, l'American Israel Public Affairs Committee (AIPAC), la principale organisation américaine de défense des intérêts israéliens, avait salué cette loi en adressant une lettre de soutien à plusieurs sénateurs parmi lesquels le leader des Républicains au Sénat Bob Dole, qui avait été son principal instigateur. La lettre, lue devant le Sénat le 24 octobre 1995, soulignait alors le principal argument en faveur de la relocalisation de l'ambassade:
«Notre ambassade a sa place dans la capitale de l'État d'Israël, tout comme c'est le cas dans les capitales désignées de chaque autre pays avec lequel nous avons des relations diplomatiques.»
L'année d'après, Bob Dole se présentait à l'élection présidentielle face à Bill Clinton. Le timing de ces deux événements n'était évidemment pas une coïncidence, ce que la communauté juive comme les Démocrates ne manquèrent pas de relever. Dès l'annonce de la proposition de loi, le 8 mai 1995, l'AIPAC offrait à Dole une standing ovation lors de sa convention annuelle. «Cette initiative ne fera peut-être pas gagner à M. Dole les votes de juifs qu'il n'aurait pas obtenus autrement, mais elle peut l'aider à se vacciner contre les accusations passées selon lesquelles il avait été insensible à l'endroit d'Israël», écrivait à ce moment le New York Times. Dole avait finalement largement été battu par Clinton.
Un texte récurrent des agendas électoraux américains
C'est sensiblement le même cas de figure qui se rejoue aujourd'hui, dans lequel les enjeux politiques américains sont mis en balance avec ceux en jeu dans le conflit israélo-palestinien et, plus largement, dans les relations diplomatiques du Proche et Moyen-Orient. Comme le rappelle Piotr Smolar, du Monde, la volonté témoignée par Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d'Israël ce mercredi est liée à une promesse de campagne mais contredit «l'initiative de paix que son équipe prétend porter depuis un an». Aux États-Unis, le vote de la communauté juive penche largement en faveur des Démocrates, et Trump n'y avait recueilli que 23% des voix en 2016 selon un sondage sorti des urnes.
En 1995, Lee H. Hamilton, élu de l'Indiana à la Chambre des représentants, opposé au Jerusalem Embassy Act, mettait le Congrès en garde:
«Chaque bord devrait chercher à éviter les actes de provocation, et ceci est un acte de provocation.»
Aujourd'hui, le roi Salmane d'Arabie saoudite qualifie cette décision de «pas dangereux», résumant les inquiétudes et colères exprimées du côté des acteurs musulmans.