Tech & internet

Comment internet est devenu un outil majeur de la conquête du pouvoir

Temps de lecture : 7 min

Aux États-Unis, lors de la primaire démocrate de 2004, Howard Dean et son conseiller Joe Trippi firent du web un outil majeur de leur campagne. Avant d'être imités partout dans le monde.

Joe Trippi, directeur de campagne du démocrate Howard Dean, lors d'un discours de son candidat, le 27 décembre 2003 à Waterloo (Iowa). | Shaun Heasley / Getty Images North America / AFP
Joe Trippi, directeur de campagne du démocrate Howard Dean, lors d'un discours de son candidat, le 27 décembre 2003 à Waterloo (Iowa). | Shaun Heasley / Getty Images North America / AFP

1960: tournant dans le marketing politique. Ce n'est plus la radio mais la télé qui devient le média roi dans la conquête du pouvoir. Après une quarantaine d'années à régner en maître, elle cède du terrain à internet. Bien employé, le réseau peut devenir un vrai faiseur de roi. Retour en trois volets sur une révolution numérique qui change la politique.

Au début des années 2000, internet révolutionne les campagnes électorales et c’est ce «nouvel» outil qui va permettre la percée d’un candidat marqué à gauche à la primaire du parti démocrate. Dès lors, plus aucun acteur politique ne négligera le web.

Au commencement était le blog

La préhistoire de l’Internet politique passe par les blogs… Il s’agissait alors de développer les messages «premiers». Analyses, projets, études, critiques... devaient bénéficier de supports efficacement relayés et d’auteurs identifiés. La «blogosphère» est essentielle dans le combat culturel. Elle peut s’articuler avec les pureplayer, nouveaux venus dans le monde de la presse, mais dont l’économie et le temps de réactivité sont au cœur de toute dynamique de combat idéologique.

Le 5 décembre 2002, lors du départ en retraite du sénateur américain Strom Thurmond, ancien candidat à la présidence des États-Unis, le chef de la majorité républicaine au Sénat, Trent Lott, affirma dans un discours que son État –le Mississippi– était fier d’avoir voté pour lui lors de cette élection et que, s’il avait été élu à l'époque, beaucoup de problèmes auraient été épargnés aux États-Unis.

«Je veux dire ceci à propos de mon État: quand Strom Thurmond s'est présenté à la présidentielle, nous avons voté pour lui. Nous en sommes fiers. Et si le reste du pays nous avait suivi, nous n'aurions pas eu tous ces problèmes depuis tant d'années, d'ailleurs.» Trent Lott, le 5 décembre 2002.

Le détail que personne ne releva d'abord dans les médias traditionnels était que Thurmond avait à l'époque fait campagne pour le maintien de la ségrégation raciale.

Mais sur internet, plusieurs blogueurs lièrent les déclarations de Lott à la réalité du combat politique de Thurmond. Puis un pureplayer, Slate, reprit l’info. Et finalement Trent Lott fut obligé de renoncer à sa fonction de chef de la majorité le 20 décembre suivant. Sans internet, il est très probable que ses propos ne l’eurent jamais mis en danger. L’anecdote, relevée par le stratège Joe Trippi dans son ouvrage The Revolution Will Not Be Televised (ed. Harper Collins, 2008), permet de comprendre que nous avions changé d’époque.

Le président américain George W. Bush (à gauche) et le sénateur Lent Trott (au centre) au centième anniversaire de Strom Thurmond (au premier plan), le 6 décembre 2002 | Stephen Jaffe / AFP

Le prophète Joe Trippi

Vue de 2017, la campagne des primaires démocrates de 2004 face à celle de 2016, c’est un peu «Pac-Man» contre «GTA». Et pourtant, les fondamentaux sont posés.

La première vraie campagne 2.0 fut en effet celle du démocrate Howard Dean. Joe Trippi, son directeur de campagne, fit le pari du numérique en utilisant une plateforme qui permit une ascension rapide dans les sondages. Articulant online et offline, c’est-à-dire l’usage massif d’internet corrélé à des événements «réels», il donna à Dean une impulsion décisive qui propulsa sa candidature aux accents contestataires suffisamment haut pour ébranler le parti démocrate (Dean devint ensuite président du Democratic National Committee) mais également la manière de faire campagne… Trippi constate qu’Internet peut permettre de faire mentir quelques idées couramment répandues sur le désengagement civique, le déclin de la culture politique, la corruption ou les effets des publicités politiques télévisuelles (courantes aux États-Unis).

Le web 2.0 a alors déjà contribué à révolutionner la production et la vente des biens culturels. C’est vrai dès 1999 avec Napster dans le sens d’une «prise du pouvoir» par le public et d'une fragilisation des majors du disque. C’est aussi une dimension évidente avec l’impact qu’Amazon a eu sur les librairies (surtout dans les pays à prix unique du livre où Amazon a pratiqué la gratuité des envois). Il a été l’objet de toutes les attentions des professionnels du marketing et le demeurera encore longtemps. Même la vie sexuelle et sentimentale a été révolutionnée par les sites de rencontres et les applications géolocalisées!

À partir de 2004, aux États-Unis puis en Europe, en France ou en Autriche par exemple, les campagnes électorales offrent une place toujours plus importante à internet, bien que la télévision reste un média de poids.

Notre-Dame de Ségolène

Après la campagne de Ségolène Royal de 2007, fortement appuyée sur la «Ségosphère», le PS avait, par exemple, lancé la «Coopol» (pour «coopérative politique»), sorte de Facebook socialiste, dont le succès fut mitigé, comme pour son homologue de droite.

La découverte d’Internet permit d’adopter un discours vantant de nouvelles méthodes de consultation de la base sympathisante et militante. Fini la formation politique! Le parti socialiste qui, jadis, prenait des non socialistes pour en faire des socialistes, devenait un vaste forum dans lequel s’ébrouaient des passants «meilleurs experts de leurs propres vies». Les emprunts à la campagne d’Howard Dean sont évident. Comme Barack Obama empruntera lui-même à Howard Dean et à Joe Trippi, Ségolène Royal pourra déclarer: «J’ai inspiré Obama et ses équipes nous ont copiés», ce qui n’est pas totalement absurde.


QG du Parti socialiste au sein du jeu de réalité virtuelle «Second Life», en 2007. | Capture écran AFP.

La résurrection du FPÖ autrichien

En Autriche, au milieu des années 2000, le parti d’extrême droite FPÖ subit revers électoraux et déchirements à grand spectacle. Il se dote alors d’une nouvelle direction, plus radicale et soucieuse de rebâtir un outil efficace. Dans la difficulté, l’équipe de Heinz-Christian Strache misa sur les nouvelles technologies et abandonna l’idée de calquer l’organisation du FPÖ sur celle des grands «Volksparteien» –le parti populaire (ÖVP) et le parti social-démocrate (SPÖ)– qui pouvaient compter sur de multiples organisations professionnelles de masse.

Pendant dix ans, le FPÖ a donc réduit ses frais de fonctionnement au bénéfice d’une intense politique de communication: l’usage massif du 2.0 et de sa web-télé est l'un des exemples de contournement d'un système médiatique autrichien saturé.

Reportages, mini-documentaires, interviews, chansons et clips de rap se partagent parfois des centaines de milliers de fois dans un pays qui ne comptent qu’environ 6,3 millions d’électeurs inscrits.

Des logiciels miraculeux

Aujourd’hui, les responsables politiques s’en remettent, par exemple, à Nation Builder. Ce logiciel qui permet de croiser de multiples données et «d’organiser une campagne électorale» est adopté par un nombre croissant de partis et de personnalités, de la droite à la gauche de l’échiquier politique. Le «porte-à-porte» organisé par logiciel fait aussi partie de l’arsenal convoité par les équipes de campagne, qui y voient une sorte de remède miracle à la désaffection civique, sans que cet outil leur garantisse d’ailleurs le succès.

La technophilie se transforme parfois en technolâtrie et révèle, de la part de certains responsables politiques, une croyance en la puissance de faiseurs de pluie des community managers, additionnée à une vision de la politique comme un marché.

Pourtant, le 2.0 offre de larges potentialités encore peu exploitées en France. La collaboration, la coopération, la participation sont inhérentes au développement du web. Le 2.0 amène à redéfinir la place du militant, non seulement dans les temps électoraux, mais au-delà lorsqu’il s’agit d’agir sur le sens commun. Cela implique évidemment une mutation de la géométrie militante en lien avec la révolution numérique. Le lien hiérarchique est bouleversé. Le «militant» ou «volontaire» est plus autonome. Le web 2.0 apparaît comme une chance nouvelle de réfréner les penchants «bureaucratiques» des partis.

Obama, messie des réseaux sociaux

La campagne électorale de Barack Obama en 2008 reste dans toutes les têtes comme un chef-d’œuvre du genre. Après la campagne de 2004 d'Howard Dean, c’est en effet Obama qui s’est emparé des réseaux sociaux. Certaines analyses indiquent que c’est encore la télévision qui a fait la différence en 2008, néanmoins cette année électorale a consacré internet comme terrain et outil de première importance. Barack Obama a très efficacement utilisé le 2.0 dans ses différentes campagnes électorales mais également en devenant un «social media president», en utilisant la puissance additionnée d’Internet et de l’organisation grassroots («à la base»).

En plus de son site «MyBO» (My.BarackObama.Com), il fit un usage de Twitter qui ne contribua pas seulement à faire de lui un candidat de son temps, technophile et relié directement à ses volontaires et à ses électeurs, mais lui donna aussi des outils très efficaces d’organisation et de financement de sa campagne.

Chris Hugues, l’un des fondateurs de Facebook, fit partie de l’équipe de campagne d’Obama et œuvra à la création de MyBO. Twitter fut abondamment utilisé et on misa tout particulièrement sur les utilisateurs de smartphones [1]. On peut remarquer que la campagne Obama développa des usages multiples mais rigoureux de la plateforme de microblogging:

  • La distinction: il s’agit de choisir le sujet qui permet de cliver et d’engager celui qui le lit à associer une idée à une représentation du monde plus globale. Le choix du mot dièse (#) est essentiel.
  • L’annonce d’événement offline: il s’agit d’annoncer les événements et de se localiser en temps réel pour créer un lien entre la démarche 2.0 et la rencontre physique avec les citoyens. Ainsi, l’annonce et la localisation d’un stand-up peut s’avérer efficace et utile…
  • L’annonce de la diffusion en ligne d’événements/de live tweets : il s’agit de permettre à des citoyens éloignés géographiquement des événements de les suivre et de développer des interactions avec eux.
  • La promotion d’autres outils: promotion du site «amiral» ou de vidéos, collectes de micro-dons, jeux en ligne, etc.

Outil de campagne sans cesse plus important, internet laisse entrevoir la relégation de la télévision. C'est l’acquis de cette première décennie d’expansion politique de la toile. Mais internet n’est pas qu’un outil, il est aussi un projet et reflète assez bien l’autonomisation croissante des individus…

[1] Frederic I. Solop, «RT @BarackObama We Just Made History: Twitter and the 2008 Presidential Election», in John Allen Hendricks and Robert E. Denton, Communicator-in-Chief: A Look at How Barack Obama used New Media Technology to Win the White House (Lexington Books, 2009).

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