On ne les connaît pas, mais on les reconnaît. On ne connaît pas ces lieux, cette langue, ce contexte politique, ces acteurs. On reconnaît ce rapport d’un homme au paysage, cette situation d’une famille en butte à la communauté hostile, ce processus d’un conflit moral traduit en affrontement physique.
Un genre, le western, s’est en grande partie construit sur ces ressorts, souvent pour le meilleur –le meilleur du cinéma. Un homme intègre est un western, un western iranien d’aujourd’hui.
Il raconte le combat de son héros, Reza, avec et contre ce qui l’entoure: sa femme, son fils, ses voisins, son passé, la société de son pays.
Reza essaie de gagner sa vie avec son élevage de poissons, en butte à l’hostilité des autorités locales, à l’avidité d’un puissant de la région. On songe bien vite que l'acteur, Reza Akhlaghirad, a cette flamme sombre et déterminée qu'on a connu naguère chez Henri Fonda ou Kirk Douglas.
Pour affronter une situation où la corruption occupe une place importante, mais est en fait un des rouages d'une machine à broyer plus complexe et plus mystérieuse, le film mobilisera aussi les énergies et les ruses du thriller, sans perdre ce rapport à l'espace, et au mythe, qui définissent le western.
Un ressort tendu à l'extrême
Les ressorts du drame sont tendus à l’extrême non seulement par les rebondissements de l'intrigue, mais par l’intensité des plans, la présence corporelle des acteurs, le sens d’un rythme où la suspension d’un geste est une menace ou une promesse, où un silence est une meilleure manière de dire.
On y trouve la puissance de la mise en scène de précédents films du même cinéaste, en particulier La Vie sur l’eau (2005) et Au revoir (2011), tous deux déjà remarqués à Cannes avant cet Homme intègre salué cette année par le Grand Prix de la section Un certain regard.
Entre affrontement violent et inégal, tentation de recourir aux procédés qu’on réprouve et vertige de la soumission à un ordre injuste, Reza travaille obstinément à frayer son chemin. Rasoulof l’accompagne en ménageant aussi des moments de sensualité rêveuse, des instants d’étrangeté aux franges de l’hallucination, des instants de comédie attentive aux gestes du quotidien.
Fable universelle empruntant pour partie au meilleur d’une longue histoire du cinéma, Un homme intègre est aussi ancré dans un univers très précis, et très présent, l’Iran actuel.
Des questions sulfureuses en Iran
Son réalisateur, qui partagea avec Jafar Panahi arrestations et condamnations après le soulèvement populaire contre les élections truquées de 2009, est aussi le signataire en 2013 du film iranien ayant dénoncé le plus ouvertement les pratiques liberticides du régime, Les Manuscrits ne brûlent pas.
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Dans Un homme intègre, sans être aussi explicites, surtout pour un public non-iranien, plusieurs situations font écho à des thèmes ultrasensibles dans le pays. Ainsi de l’exclusion de l’école que dirige la femme de Reza d’une élève à cause de la confession –très probablement baha’ie, religion persécutée par la République islamique– de ses parents, avec des conséquences tragiques.
Ainsi, surtout, du faisceau d’allusions au long passé, pratiquement ininterrompu, de résistance active au régime en place, ici sans doute plus spécifiquement le mouvement de juillet 1999 et la brutale répression qui s'en est suivi. Ce faisceau d’allusions irrigue notamment toute la partie où Reza quitte sa campagne du Nord du pays et se rend à Téhéran pour chercher de l’aide.
Ces aspects, qui donnent aux tribulation du héros et de sa famille une dimension très concrète, ne sont probablement pas étrangers aux nouvelles mesures qui ont frappé le cinéaste à son retour dans son pays après avoir présenté son film dans plusieurs festivals internationaux.
Confrontation au pouvoir
La privation de son passeport et des convocations répétées et lourdes de menaces devant les services de sécurité ont suscité une mobilisation du monde du cinéma, tandis qu’il était mis en accusation pour «activités contre la sécurité nationale» et «propagande contre le régime iranien».
Ce n’est pas le fait qu’un réalisateur soit harcelé par les autorités de son pays qui rend ses films meilleurs. Mais dans le cas de Rasoulof et en particulier d’Un homme intègre, les beautés et les forces intrinsèques de l’œuvre entrent à l’évidence en confrontation avec un pouvoir répressif bien réel, au point de susciter des échos entre le sort du personnage et celui du cinéaste.
Les brimades et les accusations constituent, si on veut, une forme de reconnaissance de la justesse du film –même si tout le monde à commencer par Rasoulof lui-même s’en serait volontiers passé.
Un homme intègre
de Mohammad Rasoulof
avec Reza Akhlaghirad, Soudabeh Beizaee.
Durée: 1h58.
Sortie le 6 décembre 2017