Il y a une semaine, une bombe a explosé devant l'entrée du tribunal de Reggio Calabria. Il n'y a pas eu de revendication mais ce n'était pas nécessaire: tout ce qui se passe d'illégal en Calabre dérive de la Ndrangheta, la mafia locale, obscure et très puissante. On a parlé d'avertissement et compris qu'une nouvelle phase s'ouvrait dans la guerre entre l'Etat et la criminalité organisée en Italie.
Jeudi 7 janvier dans la nuit, non loin de Reggio Calabria, à Rosarno, la révolte des immigrés clandestins a éclaté. L'agression de deux jeunes africains blessés à la carabine à plomb par deux jeunes calabrais qui leur ont tiré dessus par jeu ou par provocation a mis le feu aux poudres. La communauté des immigrés africains s'est rebellée, envahissant les rues de la petite ville. C'est ainsi que les Italiens ont découvert une réalité que beaucoup ignoraient: l'existence de communautés africaines vivant à la périphérie des centres urbains de l'Italie du Sud dans des conditions inhumaines et qui constituent la majeure partie de la main d'œuvre agricole.
Les centaines d'africains qui ont donné corps et vie à la révolte de Rosarno récoltent en cette saison les mandarines dans les plantations d'agrumes. Plus tard ils se rendront en Sicile pour la récolte des pommes de terre, ensuite dans les Pouilles et en Campanie pour les tomates, puis de nouveau en Calabre, en Sicile, et ainsi de suite. Sans eux qui acceptent des conditions de travail dégradantes, sans aucune garantie syndicale, pour un salaire quotidien d'environ 20 euros pour douze heures de travail, le modèle agricole du sud de l'Italie serait probablement en crise. Pas un italien pour accepter de travailler dans de pareilles conditions. Des années que cela fonctionne ainsi pourtant, même si tous faisaient semblant de l'ignorer. Pour l'heure, il ne semble pas y avoir de rapport entre la bombe posée par les mafieux au Parquet de Reggio pour intimider les juges et la révolte de Rosarno: mais tous savent bien que les déplacements des immigrés et leur exploitation sont contrôlés par la mafia. Il est donc possible, comme le suspecte le préfet de Reggio, que leur révolte ait été elle aussi pilotée par les «boss».
La révolte a déclenché une dure confrontation, sans pitié, incontrôlable, entre les habitants de Rosarno et les immigrés africains. Bagarres, violences, pillages, guet-apens et coups de feu: au moins trois immigrés ont été blessés par des coups de fusil tirés par les habitants. La guerre silencieuse entre les deux communautés qui durait depuis des mois, voire des années, a éclatée au grand jour. Les africains étaient relégués aux confins de la ville, dans une vieille usine abandonnée à la périphérie du centre habité. Sans services, sans hygiène, dans la promiscuité et la précarité la plus totale.
Le ministre de l'Intérieur Maroni a envoyé des contingents de policiers et de carabiniers pour rétablir l'ordre public, et environ 48 heures plus tard un calme relatif est revenu. Trois cents immigrés ont été immédiatement transférés à Crotone, dans une autre partie de la Calabre où se trouve un centre d'accueil. Trois cents autres seront transférés dans les prochaines heures. Maroni, qui est membre de la Ligue du Nord, le parti qui s'est distingué par des expressions et des politiques souvent à la limite du racisme, s'est placé sans nuance du côté des citadins de Rosarno en dénonçant la trop grande liberté dont auraient bénéficié les clandestins. La phrase a provoqué une forte polémique dans l'opposition et aussi au Vatican qui, à propos des migrants, invite toujours le gouvernement comme les chrétiens à l'accueil et à la solidarité.
Mais à la vérité, concernant la question de l'immigration, que ce soit la droite, actuellement au gouvernement, ou la gauche, leurs politiques ont toujours été indécises. La masse des migrants qui se presse sur les côtes du sud (en Calabre et en Sicile principalement) déverse de toute façon des milliers de personnes chaque année en Italie. Très nombreux sont ceux qui s'arrêtent là pour accomplir des travaux saisonniers dans le secteur agricole, comme les rebelles de Rosarno.
Dépourvus de structures et de quelque type d'accueil que ce soit, ils se rassemblent en communautés précaires qui finissent inévitablement par entrer en conflit avec la population locale. Comment affronter cette situation? Pour le moment, aucune véritable solution n'a été avancée. Les partis politiques se sont opposés dans une polémique stérile et plutôt répugnante, vu la gravité de la situation. Chacun cherche à en tirer avantage: le gouvernement accuse la gauche d' « angélisme » envers les immigrés quand la gauche accuse le gouvernement de racisme et d'insensibilité. L'aspect le plus inquiétant et nouveau qui ressort de cet évènement est la simultanéité avec l'attaque à la dynamite de la Ndrangheta. Une nouvelle stratégie de lutte contre l'Etat se serait-elle ouverte qui, à côté des bombes, se sert aussi de la révolte sociale? Pour l'instant il n'y a pas de réponse. La seule constatation amère est que le Sud de l'Italie, et en premier lieu la Calabre, sont bien loin d'être délivrés de leur tragique subordination au reste du pays. L'Italie fêtera les cent-cinquante ans de son unité en 2011, mais par certains aspects elle semble en être encore restée à des temps où l'armée du Nord s'en allait combattre les «brigands» du Sud.
Cesare Martinetti, directeur adjoint de la Stampa
Traduit de l'italien par Florence Boulin
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Image de Une: La révolte des immigrés africains à Rosarno Reuters