Au milieu des années 1990, Philippe Vandel apparaissait chaque soir dans l’émission «Nulle Part Ailleurs». Son petit look perso: un combo veste-T-shirt, ce dernier étant généralement affublé d’un message rigolo ou d’un logo détournant à des fin lolesques celui d’une marque connue. Directement ou non, je crois que c’est à cause de Philippe Vandel si les T-shirts à messages se sont à ce point démocratisés.
T-shirts du jour avec Emilie Mazoyer. @EmilieRadioFr @Europe1 pic.twitter.com/og9OPuCcQF
— Philippe Vandel (@PhilippeVandel) 15 septembre 2017
Seize ans après l'arrêt de «Nulle Part Ailleurs», Philippe Vandel persiste.
Adolescents, nous étions nombreux à vouloir nous singulariser en faisant de notre torse un vaste panneau d’affichage à visée humoristique. Si je dis «adolescents», ce n’est pas par mépris pour l’écriture inclusive, mais parce que j’ai l’impression qu’autour de moi, seuls les garçons étaient touchés par ce phénomène. Allez savoir pourquoi, mais les filles se tenaient généralement à distance de ce genre de vêtement-galéjade.
Garçon réservé, je me suis globalement contenté des T-shirts estampillés «geek» (ce que je n’étais pas beaucoup) généralement dénichés sur le site lafraise.com, qui a fermé ses portes il y a quelques années dans la tristesse la plus totale. Je n’ai jamais osé aller plus loin et porter des T-shirts ouvertement humoristiques (à ce stade, rappelons que «humoristique» n’est pas synonyme de «drôle», cela pourra s’avérer utile).
Connecting People
En un sens, le T-shirt «Vodka–Connecting people» de mon copain Frédéric me faisait un peu envie, parce que je le trouvais chaleureux et assez bien vu (ne me jugez pas, j’avais 15 ans); et en même temps, j’avais l’impression que porter ce T-shirt revenait à crier sur les toits à quel point c’est cool d’être alcoolique. Avouez qu’on fait mieux comme philosophie de vie.
Capture via eBay
Avec le recul, je me dis que j’ai bien fait de ne pas porter un tel T-shirt, mais qu’il est tout à fait concevable que de jeunes gens puissent avoir envie d’arborer ce genre de message pour se donner une impression (certes erronée) de singularité. À l’âge adulte, cela me semble nettement plus discutable.
Oh, il n’y a certes rien de bien grave dans le slogan «Vodka–Connecting people» [pour les plus jeunes de nos lecteurs, c'est une référence au slogan «Nokia, connecting people» ndlr]. Sauf, évidemment, s’il est porté par le genre de mec dont la stratégie de séduction est de faire boire la fille qu’il aimerait ramener chez lui (sauf que dans ce cas, ce n’est pas le T-shirt qui est à mettre à la poubelle, mais son porteur). Idem pour le fameux «One vodka two vodka three vodka», que vous avez forcément déjà lu sur le T-shirt d’un camarade de fac ou d’un plagiste.
Capture via eBay
Il existe en revanche des messages nettement plus difficiles à tolérer, dont il semble impossible de trouver les inventeurs ou inventrices. Parmi les plus célèbres, le T-shirt «FBI: Female Body Inspector», qui m’a sans doute fait sourire quelques secondes la première fois que je l’ai croisé. Bien trouvé, cet acronyme, n’est-ce pas? Ensuite, j’ai réalisé à quel point le message véhiculé par le T-shirt était sale. Un T-shirt pareil, ça entraîne forcément des blagues sur la palpation, voire sur la fouille anale.
Capture via Zazzle
Prédateurs
Mais il y a aussi cette idée de chasseur de chair fraîche, prêt à sauter sur n’importe quelle femme consentante, voire sur n’importe quelle femme moins consentante. Un côté obsédé sexuel qui, là encore, est plus acceptable à 14 ans qu’à 40. Chez l’obsédé de 14 ans, qui n’en reste pas moins un danger potentiel, on peut se dire que ça va passer, que ce sont juste les hormones. Chez celui de 40 ans, il semble trop tard.
En haut du hit-parade des T-shirts à message que j’ai le plus croisés, aux côtés de certains détournements de marques (je me demande ce qu’Adidas pense du T-shirt Adihash, avec son logo retravaillé façon plante verte), on trouve le légendaire «Baisse ta culotte, c’est moi qui pilote».
Capture via Serishirts
Là, on atteint un degré supérieur par rapport au T-shirt FBI. Pour oser porter un tel T-shirt dans l’espace public, il faut soit n’avoir aucune conscience que les mots ont un sens, soit se rêver en mâle alpha, dominateur, machine à forniquer qui souhaite que personne ne puisse ignorer son formidable potentiel.
Que quelqu’un balance cette phrase à son conjoint ou sa conjointe dans le cadre privé n’est pas un problème (le niveau vaut ce qu'il vaut, mais il est difficile de pratiquer un dirty talk de qualité). Que la même personne la porte en étendard pendant une douzaine d’heures, que ce soit dans la rue ou dans le cadre professionnel (j’ai vu ça de mes propres yeux), est nettement plus effarant.
Depuis que le e-commerce est entré dans les mœurs, les boutiques de T-shirts fleurissent sur internet. Il y a celles qui proposent des sérigraphies en veux-tu en voilà, privilégiant clairement la quantité sur la qualité afin de s’assurer que la clientèle puisse trouver son bonheur en termes de thématiques. Et il y a celles qui, pour montrer leur exigence, ont choisi de proposer un catalogue plus restreint. Vous pouvez par exemple vous rendre sur le site Mister Coquin pour y découvrir quelques dizaines de modèles. Le design est sobre (pas besoin de graphiste), l’essentiel étant le message, imprimé sur fond uni. Les slogans proposés vendent du rêve, en parfaite adéquation avec le nom du site:
«Je ne suis pas gynécologue mais je peux jeter un coup d’œil»
«Je ne suis pas kinésithérapeute mais tu vas te retrouver à l’envers»
«Bouffeur de schnecks»
«La fellation, c’est la fée qui aide les papas à dormir»
«Feu vert, la chatte de l’expert»
«1+1=69»
«Sexe coach, première leçon offerte»
«Docteur point G»
«Attention, gare à tes fesses»
«Donneur d’orgasmes»
«Ne t’en fais pas, on ne fait pas d’enfants avec les doigts»
«Ton p’tit Q me laisse bouche B»
«Tu peux rester mais pas ta culotte»
«Croqueur de tétons»
«J’ai envie de te goûter»
«Je te déteste, tu me fais bander»
«J’en ai encore des frissons dans le slip»
Capture via Mister Coquin
Harcèlement visuel
De la même façon qu'aucune fille n'est jamais tombée amoureuse d'un type qui l'avait sifflée dans la rue, on voit mal comment un T-shirt «Je ne suis pas gynécologue mais je peux jeter un coup d'oeil» va pouvoir donner envie à qui que ce soit de céder au charme désopilant de son porteur.
La problématique est voisine: même si ça n'est absolument pas efficace en termes de séduction, certains continuent, en imaginant sans doute que si une femme sur cent rit en voyant leur T-shirt, alors c'est gagné. Inversement, on ne doute pas qu'une femme qui ne rirait pas aux éclats devant de tels slogans (ou qui n'attraperait pas le mec par le col pour lui proposer un quickie) serait immédiatement considérée comme une grosse coincée. Du pur harcèlement visuel.
Si les T-shirts proposés sont unisexe, certains modèles sont réservés aux femmes, comme par exemple «Range ton zizi, t’as pas le permis» ou «Remonte ton caleçon, t’as l’air d’un con».
C’est donc toute une vision de la société que nous propose Mister Coquin: l’idée est que des hommes arrogants, agressifs, sans complexe, puissent se pavaner dans l’espace public face à des femmes vues comme des proies en puissance… mais qui auront une chance de se protéger des attaques à condition d’arborer un message humoristique aussi grivois que ceux de leurs congénères masculins. C’est l’une des problématiques du harcèlement: intégrer le cercle des gens qui harcèlent, c’est accroître ses chances de ne pas devenir leur victime.
On retrouve les mêmes messages bien sales sur de nombreux sites, chacun proposant néanmoins quelques produits spécifiques, avec toujours cette idée qu’être un beauf, c’est chouette. Porter un T-shirt «Mieux vaut être bourré que moche (ça dure moins longtemps)» imprimé dans une typo agréable à l’œil, c’est comme revendiquer son amour pour l’humour de Laurent Baffie: on affiche son mépris pour les gens différents, parce que c’est tellement agréable d’être dans le camp des dominants.
Détecteur
Ce qu’il y a de pratique avec ce genre de T-shirt à message, c’est que c’est un détecteur de sales types assez fiable. Rappelons hélas qu’il existe également des sales types tirés à quatre épingles, et que l’habit ne fait pas le moine. Mais quitte à se choisir des T-shirts rigolos pour revendiquer son amour de la bonne grosse déconne, autant éviter de passer pour un agresseur sexuel en puissance.
À ce titre, un site comme le Gallodrome propose des visuels originaux accompagnés de calembours plus ou moins réussis, mais en tout cas aussi safe que singuliers. Le tout sur des thèmes très ch’ti: la bière, les frites, la mayonnaise. Rien de très intellectuel, mais rien qui soit susceptible de mettre mal à l’aise la collègue qui travaille dans le même bureau que vous, la vendeuse à laquelle vous demandez conseil ou votre nièce de 12 ans qui n’a sans doute pas très envie de lire sur votre T-shirt que vous la faites bander.