Émilie(1) avait l’habitude d’avoir des cycles irréguliers. Mais, au bout de deux semaines de retard de règles, elle a commencé à trouver ça suspect. La jeune femme de 22 ans finit par faire un test de grossesse. «Quand j’ai vu le signe + s’afficher, ça a été assez traumatique, raconte-elle. Je ne m’y attendais pas du tout.»
Et pour cause: Émilie s’est fait poser un dispositif intra-utérin (DIU, stérilet au cuivre dans le langage courant) deux ans et demi plus tôt. «Tout est allé très vite. Mon gynéco et mon généraliste n’étaient pas dispos, alors j’ai fait des recherches sur Google. J’ai trouvé un spécialiste et je prenais la première pilule pour avorter dès le lendemain.»
Émilie, qui finit alors son master II de philosophie, se donne quatre jours pour gérer son IVG. «Puis je me suis remise au travail. Je n’ai pas voulu me laisser sombrer». Même si, pendant deux jours, elle perd des «bouts d’embryons». Pour elle, sa grossesse est avant tout une histoire de «malchance».
Le stérilet, «une fausse sécurité»
Il y a l’histoire d’Émilie. Celles de Céline et de Claire, qui ont accouché d’«un bébé stérilet». De Lucie, qui a avorté, ou de Clarisse, qui a «perdu» l’embryon au bout de quelques semaines de grossesse. Sur internet aussi, les témoignages foisonnent. Comme celui d’Amélie, qui raconte la découverte de sa grossesse et son IVG dans une vidéo YouTube. Ou de Marie, qui partage ses doutes par écrit au sujet de cette grossesse inattendue sur le blog La Mariée en colère.
Témoignage d’Amélie, une des neuf femmes à avoir témoigné dans le cadre du projet de la journaliste Marine Périn «IVG: l’accès au droit»
«Il est crapuleux de la part des médecins de dire qu’il n’y a aucun risque, mais il est naïf de la part des patientes de penser qu’il existe des méthodes de contraception efficaces à 100%», indique Martin Winckler, ancien médecin généraliste et grand défenseur du DIU au cuivre. Car les femmes, souvent, tombent de haut à l’annonce de leur grossesse, pensant les grossesses sous contraception réservées à la pilule ou au préservatif.
«Autant pilule et préservatif, t’as le contrôle, c’est toi qui gères. Tu sais que, si tu l’as mal prise, tu passes à la capote, détaille Lucie. Tandis qu’avec un stérilet t’y penses pas et puis voilà... C’est une fausse sécurité. On pensait qu’on était protégées sur toute la ligne, en fait, il fallait aussi prendre ses précautions.»
Amélie renchérit: «Personne ne m’a dit “il y a quand même un risque de tomber enceinte” [...] C’est là que pour moi ça a été le plus dur: ça a été de me dire “ah ouais, en fait, ça peut arriver”.»
Autant de récits mis bout à bout qui nous ont poussées à nous questionner. «Ma sœur, qui a un stérilet au cuivre, est super stressée, pointe Claire. J’ai convaincu plein de copines [d’opter pour cette contraception], et maintenant elles flippent à cause de ma grossesse.» «Moi, on m’avait mis le stérilet et on m’avait dit “c’est bon”. Ça enlève de la charge mentale, mais finalement tu tombes de plus haut», ajoute Lucie.
«Tomber enceinte sous stérilet, c’est une situation qui est, je pense, assez traumatisante pour les femmes car elles ne s’y attendaient pas du tout.»
Claire
Ça valait la peine de jeter un coup d’œil. De vérifier les chiffres. Pour savoir si ces femmes, au vu de leurs expériences, n’étaient qu’un «biais de perception» (on parle davantage de ce qui a le moins marché) ou si leurs expériences montraient qu’il était temps de réévaluer l’efficacité de cette méthode contraceptive.
Sauf que ça n’a pas été aussi simple. Après près de 500 mails envoyés, des dizaines d’études décortiquées et de très nombreux coups de téléphone et interviews, on ne peut pas affirmer que, en 2017, le taux d’échec du DIU au cuivre est, dans les faits, de moins de 1%, comme l’indique l’OMS. Mais ce que révèle notre enquête, c’est que, à moins d’une défaillance monumentale des DIU au cuivre, une moindre efficacité de ce moyen de contraception ne serait notée par aucun organisme. Aucun.
Or 8 grossesses par an pour 1.000 femmes comme l’indique le site choisirsacontraception.fr, ce n’est pas pareil que 11 ou 15.
«Le stérilet, on se dit: “C’est tellement fiable.” La pilule, on sait qu’il peut y avoir des ratés, on sait que c’est pas du 100%, ça n’étonne personne. Mais tomber enceinte sous stérilet, c’est une situation qui est, je pense, assez traumatisante pour les femmes car elles ne s’y attendaient pas du tout», explique Claire, qui vient de donner naissance à un «bébé stérilet».
«Jamais de la vie je pensais pouvoir avoir recours à l'IVG», indique Keya sur un forum. «Mon mec a été totalement choqué, abonde Clarisse. Il n’osait plus me faire l’amour ensuite parce qu’il avait peur que je tombe enceinte.» Et Émilie n’arrive plus à être aussi insouciante qu’avant, même si elle a choisi de se faire reposer un stérilet: «Je ne fais plus complètement confiance à ma contraception. J’ai beaucoup plus conscience qu’il peut y avoir un problème.»
Un report de la pilule sur le stérilet
Loin d’une cabale contre le DIU au cuivre, il nous a donc semblé important de faire le point. D’autant plus dans un contexte où ce dispositif est de plus en plus présenté, dans les médias comme dans la littérature médicale, comme «LA» méthode contraceptive: pas chère, sans hormones(2), et donc sans trop d’effets indésirables pour le corps ni pour la planète. Et surtout, comme une méthode «très efficace».
À titre de comparaison, pour la pilule, on passe de 99,7% d’efficacité théorique à 91% en pratique. Si le stérilet fonctionne si bien, c’est entre autres parce qu’il n’y a pas besoin d’y penser. Ce n’est pas pour rien que Bayer a intitulé son site d’information sur les DIU jenypenseplus.com.
Un changement de paradigme qui conduit de plus en plus de femmes à faire le choix de ce contraceptif. Le scandale de la pilule de troisième et quatrième générations est aussi passé par là. En atteste Amélie, sur YouTube:
«J’ai demandé à avoir un stérilet six mois avant de tomber enceinte pour tout un tas de raisons complètement personnelles (j’ai pris la pilule pendant plusieurs années), pour la libido, pour les contraintes également que ça sous-entendait. C’était aussi la période des scandales avec la pilule de 3e et 4e générations et moi je me suis dit: “Je ne veux plus de ça.”
Le stérilet au cuivre, c’est le plus… pas naturel, c’est pas le bon terme, mais c’est le plus simple et c’est le plus efficace aussi pour moi, parce que clairement j’avais une vie d’étudiante, je ne dormais jamais chez moi, j’étais tout le temps à droite à gauche, pas une vie suffisamment stable pour prendre la pilule également et pour y penser tous les jours.»
Les premiers résultats du Baromètre Santé 2016 montrent en effet que la désaffection pour la pilule profite au DIU de manière générale (+6,9 points entre 2010 et 2016). L’évolution du nombre de remboursements de DIU au cuivre par la Sécurité sociale est aussi éclairante: on passe de 237.652 DIU au cuivre remboursés en 2006 à 305.398 en 2015 (+28%). Et l’on peut supposer, surtout après la médiatisation des effets indésirables du DIU hormonal, que cette tendance pro-cuivre va se poursuivre.
Une question d’âge
Les femmes qui optent pour le stérilet au cuivre sont plus nombreuses, mais aussi plus jeunes. À cause de la «crise de la pilule», mais aussi parce que la HAS recommande depuis 2004 de poser des DIU y compris chez les femmes n’ayant pas encore eu d’enfant, «aucun risque de stérilité tubaire n’a[yant] été démontré, y compris chez les nullipares», c’est-à-dire les femmes n’ayant pas accouché. Et les soignants s’y mettent tout doucement. Or la proportion de nullipares est plus importante chez les femmes jeunes, l’âge moyen au premier enfant étant de 28,5 ans.
Si, aux débuts du stérilet, dans les années 1960, puis dans les décennies qui ont suivi, le DIU au cuivre était surtout utilisé par les femmes qui avaient déjà eu des enfants, le schéma contraceptif n’est plus tout à fait le même. «Je pose énormément de stérilets ces dernières années, surtout à des jeunes femmes nullipares, confirme la médecin Marie Msika Razon, qui exerce au Planning familial de Paris et à la maternité des Bluets, dans le XIIe arrondissement. Je dirais que j’en pose une quinzaine par semaine, rien qu’en cabinet.» Comme le montrent le Baromètre Santé 2016 et le graphique ci-dessous, 4,7% des 20-24 ans optaient pour le DIU en 2016, 19% des 25-29 ans et 34,7% des 30-44 ans, contre respectivement 1,6%, 6,9% et 25,6% en 2010. Soit des augmentations de 194%, 175% et 35%.
En outre, comme le met en évidence le graphique ci-dessous, les jeunes femmes adeptes du stérilet en 2016 préfèrent le cuivre à l’hormonal: à 62,1% chez les 20-24 ans, 62% pour les 25-29 ans et 54,7% pour les 30-34 ans.
Toutes les femmes que nous avons interrogées avaient d’ailleurs moins de 32 ans lorsqu’elles sont tombées enceintes. «J’étais super fière d’avoir un stérilet. Je trouvais que c’était un geste très féministe, raconte Clarisse, qui avait 27 ans quand elle a découvert sa grossesse. Après, j’avais un peu honte que ça n’ait pas marché.»
Un rajeunissement des utilisatrices qui change tout. Parce que la fertilité, surtout chez la femme, est aussi une question d’âge. Et l’efficacité d’un moyen de contraception, on oublie souvent de le dire, augmente par conséquent avec l’âge. «Toutes les méthodes contraceptives étudiées sont sujettes à la même apparente hausse de l’efficacité, associée au vieillissement du groupe étudié», peut-on lire dans cet article publié en 1991.
Le DIU au cuivre n’échappe pas à la règle. «L’âge est associé à l’échec du DIU, avec une diminution significative du risque de défaillance chez les femmes de plus de 35 ans», observe-t-on dans cette étude publiée en 2006. «Oui, vous êtes fertile», a d’ailleurs justifié la gynécologue de Clarisse, 27 ans, quand celle-ci lui a fait part de sa surprise quant à sa grossesse non désirée.
Des études datées
Or, les chiffres officiels mentionnés sont loin d’être récents. Pour dire que le DIU au cuivre a une efficacité pour prévenir les grossesses supérieure à 99%, l’OMS s’appuie sur un rapport de 1987. D’il y a trente ans donc.
Il existe toutefois une étude qui date de 2015 –connue de l’OMS mais qui n’est pas utilisée comme référence des chiffres officiels. Menée entre 2006 et 2012 dans six pays (Allemagne, Autriche, Finlande, Grande-Bretagne, Pologne et Suède), elle a suivi 17.323 femmes avec un DIU au cuivre. Seules 92 sont tombées enceintes malgré ce moyen de contraception dans l’année qui a suivi sa pose, soit un indice de Pearl de 0,52(3) (pourcentage de grossesses «accidentelles» sur un an d'utilisation optimale de la méthode contraceptive, ndlr).
À ceci près que les auteurs mentionnent eux-mêmes une éventuelle sous-estimation du risque: «L’utilisation d’un autre contraceptif est probablement plus importante chez les jeunes femmes, qui ne vivent pas dans une relation stable.» Sans compter que les résultats ne sont pas forcément applicables à la France: les femmes suivies avaient en moyenne 33 ans (24% d’entre elles avaient plus de 40 ans) et seules 12% d’entre elles étaient nullipares.
Qui plus est, en France, personne n’a eu vent de cette étude. Le site choisirsacontraception.fr mentionne une efficacité théorique de 99,4% et une efficacité pratique de 99,2%. Sa référence: un document de la Haute Autorité de santé (HAS) datant d’avril 2013. Sauf que la source de la HAS est une étude américaine qui renvoie pour ce taux d’échec de 0,8% à «la plus grande étude menée sur cette méthode» (dans ce cas précis, le «Copper T 380 A»). Laquelle a été publiée en... 1979. Sur son site, la HAS mentionne un autre pourcentage, de 1,1%, mais qui confond DIU au cuivre et hormonal.
Ces études de référence permettent d’affirmer que, dans les années 1970 et 1980, le DIU au cuivre avait un très bon taux d’efficacité –dans la classification de l’OMS, une méthode est jugée «très efficace» si elle a un taux d’échec inférieur à 1%, et seulement «efficace» si ce taux est entre 1 et 9%.
«Les stérilets qu’on a aujourd’hui sont les mêmes que quand j’ai commencé la médecine, il y a trente-cinq ans»
Professeur von Theobald, chef du service Gynécologie et Obstétrique du CHU de Saint-Denis, à la Réunion
L’ennui, c’est qu’elles servent aussi de référence aux laboratoires qui commercialisent des stérilets sur le territoire français. Ceux d’aujourd’hui. Qui ne sont certes guère différents de ceux d’hier: «Les stérilets qu’on a aujourd’hui sont les mêmes que quand j’ai commencé la médecine, il y a trente-cinq ans, relève le professeur von Theobald, chef du service Gynécologie et Obstétrique du CHU de Saint-Denis, à la Réunion. Il y a des modèles plus petits pour les jeunes et les petits utérus, mais les standards sont les mêmes.» Ce qui signifie que les DIU qui arrivent dans nos utérus s'appuient certes sur des études sérieuses, mais que l’on ne tient à aucun moment compte des changements populationnels et de l'évolution de l'âge des femmes en France.
Comme les laboratoires qui commercialisent les stérilets au cuivre(4) n’ont pas donné suite à nos demandes, nous avons contacté l’organisme auquel ils ont dû fournir les documents attestant de la sûreté et de l’efficacité du dispositif. En France, l’organisme de référence habilité par l’ANSM pour effectuer le marquage CE, indispensable à la mise sur le marché, est le Laboratoire national de métrologie et d’essais, le LNE/G-MED.
Le LNE nous a fourni le dossier technique DM (pour dispositif médical) qui précise la liste des éléments à fournir par le fabricant. À la page 8, on peut lire que «l’évaluation clinique du dispositif doit être fournie sous la forme d’un rapport de synthèse», lequel peut être constitué «d’une évaluation critique des données issues de la compilation de la littérature scientifique pertinente». En gros, il n’y a aucun problème pour que les études sur lesquelles s’appuient les laboratoires pour commercialiser les DIU actuellement en vente soient datées des années 1980 puisqu’il s’agit d’études de référence.
On s’est dit que, une fois franchie l’étape du marquage CE, il devait bien y avoir quelque chose permettant d’évaluer régulièrement l’efficacité pratique des DIU. Histoire d’avoir des chiffres d’efficacité à jour plutôt que reposant seulement sur des études datant d’il y a trente ans. Alors on a trouvé, disponibles en ligne, des avis de la Commission d’évaluation des produits et prestations(5). Cette commission détermine si le service médical rendu par ce dispositif est suffisant pour qu’il soit pris en charge, c'est-à-dire remboursé, par la Sécurité sociale. Et elle refait le point tous les cinq ans.
Et, là, on a eu, encore une fois, l’impression de tourner en rond. Car on a découvert que la demande d’inscription d’un stérilet à la liste des produits remboursés avait été acceptée avec la seule mention des «données cliniques présentées [....] issues du rapport 753 de l’OMS de 1988: “mode d’action, innocuité et efficacité des dispositifs intra-utérins”». Celui qui reprend toutes les études sur les DIU dont on vous parlait plus haut (dont la version anglaise date de 1987). En gros, les stérilets qu’on nous prescrit et qu’on nous pose sont commercialisés et remboursés sur la base d’une étude qui compile des études antérieures à 1987. Soit parfois avant même la naissance de celles qui l’utilisent aujourd'hui.
Des avis empiriques unanimes
Des études de plus de trente ans, une nouvelle population d'utilisatrices et ces nombreux témoignages de femmes tombées enceintes malgré leur stérilet. On a donc décidé de chercher des remontées du terrain et d’aller interroger le personnel soignant, pour savoir s’il observait plus de grossesses sous DIU au cuivre que de raison.
Nous avons ainsi pris contact avec des centres d’orthogénie et différentes antennes du Planning familial sur le territoire français. La réponse est unanime.
«Les grossesses sur DIU sont extrêmement rares, j'en vois peut-être une par an... alors que sous pilule, c'est tous les jours.»
Laurence Wittke, coordinatrice médicale au Planning familial d'Orléans
En Île-de-France, on nous confirme que «les grossesses sous stérilet au cuivre sont assez anecdotiques». Idem du côté du Planning familial de Valence, de Maubeuge ou encore d’Orléans: «Les grossesses sur DIU sont extrêmement rares, j'en vois peut-être une par an... alors que sous pilule, c'est tous les jours», détaille Laurence Wittke, sa coordinatrice médicale. Rien que de très normal: en 2007, les femmes sous stérilet (hormones ou cuivre) ou implant représentaient 1,7% des femmes qui venaient avorter, contre 26,7% pour la pilule.
Il en va de même pour les grossesses menées à terme. À titre d’exemple, le professeur Peter von Theobald dit constater «une grossesse ou deux maximum par an sur les 2.500 accouchements dans [son] service». Pour Bernard Hédon, ancien président du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) et responsable du département Gynécologie-obstétrique du CHU de Montpellier, «les chiffres de grossesses non désirées sont admis par la communauté, ils ne paraissent pas aberrants et correspondent avec l’expérience qu’on peut avoir».
En résumé, tous les personnels soignants que nous avons interrogés affirment qu’ils n’ont aucune raison de mettre en doute l’efficacité des stérilets dans leur pratique quotidienne, que les grossesses aboutissent à une naissance ou qu’elles donnent suite à une IVG. C’est rassurant mais pas suffisant. Déjà, ce sont des impressions tirées de petits échantillons. Or il faut de grandes cohortes –la loi des grands nombres l’exige– pour que les chiffres obtenus soient représentatifs de la population générale.
En outre, au vu de la taille de la population concernée, un passage du statut «très efficace» à «efficace» ne peut être remarqué par les praticiens. Si l’on reprend par exemple le nombre le plus récent (2015) de DIU au cuivre remboursés, soit 305.398, 0,8% de grossesses correspond à 2443 femmes et 1,1% à 3359 femmes. Comment voulez-vous que cette différence de 916 femmes soit remarquée au niveau national, qui plus est sur les 203.463 IVG réalisées cette même année et les 800.000 naissances? D'autant plus que, comme pour une grossesse sans contraception, environ 30% des fécondations n’aboutissent pas: les femmes font une fausse couche au bout de quelques semaines. Résultat: «la différence entre 0,8% et 1,1% n’a aucune signification clinique pratique», insiste le professeur Bernard Hédon.
Si l’on a dû se «contenter» des impressions des personnels soignants, c’est aussi parce qu’il n’y a pas de chiffres au niveau national. Certes, il existe des statistiques sur les IVG parce que les praticiens doivent remplir un bulletin d’IVG(6). Sauf qu’il n’est pas demandé aux professionnels de préciser si une méthode contraceptive a été employée et encore moins laquelle.
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Matériovigilance et sous-déclaration
Rien de grandiose non plus du côté de l’ANSM. Certes, nous confirme-t-on, dans le cas du DIU au cuivre, «les grossesses, ça fait partie des éléments qui doivent être déclarés» dans le cadre de la matériovigilance. Mais «ça ne prétend pas être exhaustif et représenter vraiment le nombre de grossesses», nous alerte l’ANSM, qui fait état d’une «sous-déclaration».
Et ce, alors que le renouvellement de l’inscription sur la liste des produits remboursés se base sur les déclarations de matériovigilance, comme en atteste cet avis rendu par la commission en 2002 pour le renouvellement d’un DIU: on y lit que, «depuis 1998, il n’y a aucun signalement de matériovigilance sur ce dispositif UT 380® , entre autres, aucune grossesse et expulsion signalées». Idem pour le marquage CE. Or ce programme de surveillance du dispositif post-commercialisation inclut notamment «les rapports de réclamations et d’effets indésirables, les signalements de matériovigilance».
Céline, 30 ans, qui a accouché cette année d’un petit garçon, nous a raconté que son gynécologue n’avait «pas pu [lui] dire pourquoi le stérilet avait bougé subitement. Il a dit que ça pouvait être [sa] morphologie qui n’était pas adaptée au stérilet ou que, peut-être, ce stérilet était défectueux». Elle ne sait pas s’il a déclaré à l’ANSM qu’il y a eu grossesse. Nous avons tenté à plusieurs reprises de le contacter pour en savoir plus, mais il ne nous a jamais répondu.
«Les informations sont uniquement mentionnées dans le dossier médical de la patiente donc ne sont ni répertoriées, ni remontées.»
CHU de Rennes
La plupart des soignants que nous avons interrogés nous ont confirmé ne pas déclarer ces grossesses non prévues. «On ne le déclare pas», appuie Marie Msika Razon. Quand certains considèrent même qu’ils n’ont pas à le faire. C’est le cas du professeur Bernard Hédon: «Il ne s’agit pas d’une question de matériovigilance. Pour moi, la matériovigilance concerne les effets secondaires, les complications, pas les défauts d’efficacité, qui sont connus et indiqués dans la notice.» Au CHU de Rennes, on nous indique également que «les informations sont uniquement mentionnées dans le dossier médical de la patiente donc ne sont ni répertoriées, ni remontées».
Et, quand les médecins admettent qu’il faudrait faire ces déclarations, il n’y a pas toujours mise en pratique. «On devrait sans doute déclarer les grossesses sur stérilet mais je ne crois pas qu’on y pense bien souvent, c’est inscrit dans le dossier de la patiente», nous avoue la professeure Céline Chauleur, cheffe de service de Gynécologie-obstétrique du CHU de Saint-Étienne.
Sans compter que ces chiffres semblent croupir dans une base de données inexploitée et pas facile d’accès. En effet, nous avons demandé à l’ANSM le 24 août de nous communiquer le nombre des déclarations de grossesses sous DIU au cuivre. Et, en date du 15 novembre, soit plus de deux mois plus tard, malgré nos très nombreuses relances par email et téléphone à de multiples reprises, l’ANSM ne nous les a toujours pas fournis, sans jamais nous opposer un refus mais en nous communiquant des délais jamais tenus voire en ignorant nos relances...
L'opportunité de mener de nouvelles études
Serait-il temps alors, au regard du rajeunissement des femmes optant pour le DIU au cuivre, des études de Mathusalem sur lesquelles se fonde le marquage CE et de l’absence de remontées du terrain, de mener une nouvelle étude d’envergure sur le sujet?
Ce serait l’occasion de vérifier si Céline, Claire, Clarisse, Lucie, Amélie et Marie font mentir les statistiques. Car il est probable que la plus forte proportion de nullipares dans les porteuses de DIU ou leur plus jeune âge et donc leur fertilité amènent à réévaluer l’indice de Pearl.
Peut-être que cette réévaluation se fera à la baisse. C’est l’hypothèse de nombreux soignants. De l’avis de Martin Winckler, «si les statistiques étaient refaites aujourd’hui, il est probable que les chiffres seraient encore meilleurs, parce que le taux d’abandon sera probablement plus bas». L’idée, c’est qu’il y aurait plus de femmes qui conserveraient le stérilet et pour qui il serait efficace. Donc que les grossesses apparaîtraient comme encore plus rares.
Le professeur von Theobald souligne aussi que la fertilité masculine est en baisse par rapport aux années 1980 et que cela pourrait contrebalancer la plus grande fertilité des jeunes porteuses de DIU. Autre point: sur le marché, tous les DIU ont 375 ou 380 mm² de cuivre(7). Les stérilets comprenant 200 mm² de cuivre ne sont plus commercialisés en France. Or, au-delà de 250 mm², les DIU au cuivre sont, d’après cette méta-étude, aussi efficaces que les DIU hormonaux. «Si on refaisait une étude, les résultats seraient rassurants et pas inquiétants, renchérit la médecin Marie Msika Razon. Mais c’est toujours bien de réactualiser les données.»
Pourquoi ne pas conduire alors une étude en France, et ainsi rassurer les femmes? Ce serait l’occasion d’affiner l’indice de Pearl par tranche d’âge. Ou alors de voir si les DIU avec du cuivre sur les bras du T sont plus efficaces. Ou encore de voir si la méthode de pose, en permettant de diminuer la douleur, joue sur le taux d’expulsion et de grossesse. On pourrait aussi mieux connaître les chiffres d’efficacité au-delà d’une année d’utilisation. Après tout, les stérilets sont faits pour rester en place pendant cinq voire dix ans. «J’avais un stérilet au cuivre depuis trois ans quand je suis tombée enceinte», indique par exemple Claire.
Pour la docteure Marie Msika Razon, ces chiffres pourraient également permettre de savoir si les cups, de plus en plus utilisées par les femmes pendant leur règles, pourraient faire bouger les DIU. «On pourrait se dire qu’on déclare toutes nos grossesses sous stérilet et aussi tous nos déplacements sous cup. Si personne ne se décide à écrire là-dessus, ça va passer à la trappe et on ne fera pas forcément le lien.»
Ne serait-il alors pas temps également de challenger les laboratoires à améliorer les DIU? «Il faudrait refaire des études si on modifiait les composants des stérilets, le matériau. Ou alors on le fait quand il y a un enjeu de santé publique, or il n’y a pas de flambée de grossesses sur stérilet, indique le professeur von Theobald. Les industries ont les moules pour fabriquer les stérilets depuis trente ans. Ça ne leur coûte rien à produire.» En outre, un DIU au cuivre, c’est 30,50 euros. Si 300.000 sont vendus par an en France, c’est donc en moyenne un marché d’environ 9 millions d’euros. Pour tous les labos. Pas énorme donc. Or conduire des études avec de grandes cohortes sur la durée coûte cher, fait remarquer Martin Winckler: «En France, la recherche est subventionnée par les industries et, comme les études populationnelles ne sont pas rentables, elles ne sont pas financées.»
Un rapport à la contraception à repenser
C’est là qu’on a atterri: s’il n’y a pas de scandale sous la forme d’une hausse phénoménale des grossesses sous DIU au cuivre, entraînant médiatisation et pression de l’opinion publique, ça continuera de n’intéresser que les principales concernées, considérées comme d’inévitables victimes collatérales.
Si, psychologiquement, Émilie, Céline ou Lucie restent durement marquées par leur expériences, statistiquement, leurs histoires resteront celles des «0,8%», celles des exceptions qui confirment la règle. Règle qui n’a pas vocation à être remise en cause. Peu importe que les DIU au cuivre soient plus populaires ou que les jeunes femmes l’adoptent davantage. S’interroger sur son efficacité –voire son amélioration– n’est pas à l’ordre du jour.
Reste que poser la question peut aussi orienter les choses. À la fin de notre interview, le professeur von Theobald conclut en disant que, «le prochain sujet de thèse» qu’il chapeautera, «ce sera sur les grossesses sur stérilet, en comparant les stérilets au cuivre et les autres», hormonaux donc. Un petit pas pour la contraception, un grand pas pour les femmes. Car des chiffres un peu plus à jour et tenant compte de l’âge actuel de celles choisissant le stérilet permettront de mieux informer les femmes sur l’éventail contraceptif qui s’offre à elles.
Et, pour obtenir des chiffres sur de plus grandes cohortes, nous avons une suggestion. Il est toujours possible de demander aux soignants pratiquant une IVG de déclarer dans le PMSI si la grossesse a eu lieu sous contraception et, si oui, laquelle. Autre suggestion: pour la médecin Marie Msika Razon, «il suffirait peut-être de mieux utiliser les chiffres qu’on a déjà via Santé publique France, les centres de planning... Les réunir ne nécessiterait pas de ressources financières énormes».
«Une femme avertie en vaut deux, largement.»
Martin Winckler, ancien médecin généraliste
Bien sûr, comme le précise Martin Winckler, même avec des chiffres plus précis, il sera impossible de prédire l’avenir et de dire à une femme si elle fera partie des plus ou moins 0,8% d’échecs: «0,6% ou 0,8%, c’est une différence statistique, ce n’est pas ça le problème, car vous ne pouvez pas savoir si vous êtes dans les 0,6 ou 0,8.» Reste qu’avoir conscience qu’il y a un risque (plus ou moins élevé suivant l’âge de la femme) permettrait de vivre cette grossesse inattendue différemment.
«Il y a deux catégories de femmes, complète Martin Winckler. Celles qu’on a prévenues que ça pouvait arriver. Elles ne sont pas contentes mais n’ont pas l’impression que c’est de leur faute. Et les trois quarts voulaient quand même que je leur repose un stérilet après. Et il y a les femmes à qui on n’a rien expliqué ou à qui on a dit: “C’est bon, vous ne risquez rien.” Pour celles-là, il y a une culpabilisation. Une femme avertie en vaut deux, largement.»
Pour le professeur von Theobald, si «l’information des médecins n’est pas toujours très bonne», c’est entre autres parce que «la consultation est très courte» et que «le médecin n’a pas le temps». Mais, pour lui, il y a de quoi positiver: il pense en effet qu’avec la nouvelle tarification de la consultation longue de mise en place de la contraception, l’information relayée sera meilleure, plus complète.
«Il est plus constructif de travailler sur l’idée que la vie est risquée, que les trois méthodes les plus efficaces sont les stérilets –hormonal et cuivre– et l’implant, qu’il faut choisir sa contraception selon les effets secondaires et que, oui, si on porte un stérilet avant 25 ans, la probabilité d’être enceinte est un peu plus élevée qu’après 30 ans. Mais c’est tout, renchérit Martin Winckler. Vous n’échapperez pas à l’accident, mais vous serez plus tranquille. Le risque zéro n’existe pas. Il vaut mieux travailler là-dessus que d’essayer d’affiner les chiffres.»
1 — La plupart des prénoms ont été changés. Retourner à l'article
2 — Le stérilet au cuivre est en effet la seule contraception longue durée qui ne contient pas d’hormones. Le cuivre est toxique pour les spermatozoïdes. Le stérilet provoque aussi mécaniquement une inflammation de l’endomètre, qui bloque le col de l’utérus et empêche les spermatozoïdes d’aller féconder l’ovule mais aussi l’implantation dans l’utérus d’un éventuel ovule fécondé par un spermatozoïde tenace. Retourner à l'article
3 – L’intervalle de confiance étant de 95%, cela signifie que l’indice de Pearl oscille entre 0,42 et 0,64. Retourner à l'article
4 – Euromédial, 7Med, HRA Pharma et Laboratoire CCD. Retourner à l'article.
5 – Aujourd’hui répondant au doux acronyme de CNEDiMTS, pour Commission nationale d’évaluation des dispositifs médicaux et technologies de santé. Retourner à l'article.
6 – Dorénavant remplacé par le PMSI (pour programme de médicalisation des systèmes d’information). Retourner à l'article.
7 – «Augmenter la surface de cuivre rendrait les règles encore plus abondantes, rappelle Marie Msika Razon. Certaines patientes ont déjà des règles hémorragiques. Et c’est une des principales raisons d’abandon. Au vu des très bons chiffres d’efficacité du DIU, augmenter la surface de cuivre pourrait être contreproductif.» Retourner à l'article.