Monde

Un 31 octobre sanglant

Temps de lecture : 7 min

Tristesse, colère, compassion. Les sentiments se bousculent sur Twitter après l’attaque terroriste à Manhattan mais les twittos n’oublient pas pour autant celles qui ont endeuillé le même jour Mogadiscio et Kaboul.

Hommage de lumière en 2004 à Manhattan aux victimes des attaques du 11 septembre 2001. Wikimedia
Hommage de lumière en 2004 à Manhattan aux victimes des attaques du 11 septembre 2001. Wikimedia

Contenu Partenaire - «L’enfer est vide. Tous les démons sont ici. William Shakespeare La Tempête #ManhattanAttack». Cette citation semble tristement coller à l’actualité marquée par l’attentat perpétré à New York le jour d’Halloween. C’est l’attaque terroriste la plus meurtrière depuis 2001 à New York. Elle ravive les plaies encore vives du 11 septembre, comme le croque Griffe avec ce dessin de presse qui ose le parallèle très graphique entre les deux tours et les bandes blanches d’un passage piéton («#ManhattanAttack. Dessin de @lescogriffe1»). Autre époque, même constat, comme le rappelle Réveillez-vous!: «#ManhattanAttack: l’histoire recommence encore et encore… Merci Charlie Hebdo de dire la vérité #Manhattan #Islam #CharlieHebdo».

Green Card

Mardi 31 octobre, une camionnette fonce sur une voie cyclable de Manhattan faisant 8 morts et 11 blessés. Edwy Plenel rappelle à cette occasion que le mot d’ordre envoyé aux djihadistes du monde entier ne date pas d’hier. «Attentat de New York: un mode opératoire préconisé depuis 2010 par Al-Qaïda dans la péninsule arabique #Mediapart». Ces injonctions ont été bien suivies comme le montre le récapitulatif des «principaux attentats véhiculaires commis depuis le début de l’année (par @AFPgraphics) #terrorisme #Manhattan».

Situation inédite pourtant, cette fois le terroriste a été interpellé et non abattu. Pour le reste, le scénario est tragiquement familier: «L’assaillant, un Ouzbek de 29 ans a revendiqué son appartenance à l’EI et déclare être satisfait de son acte». À peine 48 heures après son méfait, le portrait de Sayfullo Saipov se dessine. Comme le terroriste de Levallois-Perret qui avait fauché plusieurs militaires en août dernier, l’Ouzbek travaillait comme chauffeur Uber: «pour info le terroriste ouzbek de #Manhattan était un chauffeur Uber! Sans pour autant généraliser #UberFrance doit redoubler de vigilance!». Saipov a eu de la chance. Il a obtenu son titre de séjour grâce à la Green Card Lottery, organisée chaque année aux Etats-Unis et offrant 55 000 cartes vertes. «Accueilli aux USA en 2010 grâce à la loterie des cartes, on lui donne la carte verte, il commet l’attentat de #Manhattan au nom de #Daesh». Et il est toujours en vie...

Rappel des faits. Après avoir écrasé plusieurs cyclistes au volant de sa camionnette, l’homme sort de son véhicule armes au poing. «#Manhattan le suspect portait un pistolet de paintball dans une main et un pistolet à plombs dans l’autre en sortant du véhicule (NYDM)». Menaçant les forces de l’ordre, il est stoppé par Ryan Nash, un policier en passe de devenir un héros outre-Atlantique. «#Manhattan. Ryan Nash est le policier qui a neutralisé par balle Sayfullo Saipov au niveau du ventre après qu’il ait quitté son véhicule».

Son hospitalisation fait réagir Twitter. Pour le journaliste Olivier Biffaud, «l’assassin de #Manhattan a demandé à pouvoir déployer le drapeau noir de #Daesh dans sa chambre d’hôpital. Ces terroristes sont cinglés!».

A cette heure, Sayfullo Saipov a tué huit personnes qui avait le seul tort de faire du vélo au mauvais moment et au mauvais endroit. «Cinq Argentins et une Belge figurent parmi les victimes de l’attentat de New York». Ironie tragique, les Argentins «étaient venus fêter leurs retrouvailles trente ans après. Cinq amis décèdent dans l’attentat de New York».

Les témoignages qui se sont multipliés rappellent les heures sombres et pas si lointaines de Nice, Londres ou Barcelone. «#ManhattanAttack: j’ai vu deux hommes allongés par terre qui avaient des traces de pneus sur le corps». Ces scènes terribles, un homme a sans doute dû les vivre avec encore plus de difficultés: «attentat de New York: un rescapé du Bataclan était sur le lieu du drame - Le Point».

Les attentats se suivent et se ressemblent, en Europe, en Amérique, en Afrique. Ni les décrets migratoires, ni les fichiers de renseignements, ni les caméras de surveillance, ni les lois d’exception ne parviennent pour l’heure à les juguler.

Hommages, récupérations et critiques

Donald Trump, qui avait promis que de telles exactions n’auraient plus lieu en Amérique une fois élu Président, n’a pas attendu pour réagir sur Twitter, et sans nuance, comme à son habitude. Il a immédiatement affirmé que la peine de mort était le seul châtiment acceptable: «le terroriste de New York était satisfait lorsqu’il a demandé qu’on accroche le drapeau de l’EI dans sa chambre d’hôpital. Il a tué huit personnes, en a grièvement blessé onze autres. Il mérite la peine de mort!». Tweet qui a fait naître deux types de réactions bien distinctes: les anti comme Henri-Jean Anfosso pour qui «attentat de New York, Trump réclame la peine de mort pour son auteur. Mais qu’il est con. La peine de mort pour un gars qui voulait le martyr» et les pro comme Kevin Thiébault pour qui c’est une «très bonne demande de #Trump ce sort devrait être réservé aux terroristes encore en vie».

Au-delà des querelles de twittos, Trump a profité de la situation pour s’en prendre à ses adversaires démocrates dont Chuck Schumer, Sénateur de l’Etat de New York, responsable, selon lui, en partie de l’attentat. «Le terroriste est entré dans notre pays grâce à ce qu’on appelle le «Diversity Visa Lottery Program», une merveille de Chuck Schumer. Je veux que cela soit basé sur le mérite». Que cet attentat soit l’occasion presque immédiatement d’une passe d’armes aux Etats-Unis ne manque pas de surprendre. Yop se demande «ce qui est le pire, l’attentat de #Manhattan en lui-même ou ceux qui s’en servent pour justifier leurs idées politiques. Crevures».

En France, Marine Le Pen tweete «après la tragédie de #Manhattan, réarmons la France contre l’islamisme!», pour mieux mettre en avant son communiqué sur la fin de l’Etat d’urgence voulue par le chef de l’Etat. Si certains déplorent le choix des mots d’Emmanuel Macron («j’exprime l’émotion et la solidarité de la France à New York et aux Etats-Unis. Notre combat pour la liberté nous unit plus que jamais»), comme Barbara78 pour qui «Macron ne parvient toujours pas à prononcer terrorisme islamique #Manhattan. À ce stade de déni, il faut consulter…», les critiques les plus acerbes se concentrent sur l’anti-trumpisme des médias français. Ainsi, «Trump est par bien des côtés critiquable, mais cet anti-trumpisme systématique qui envahit les médias français est ridicule #Manhattan» et «les pires gauchistes défilent sur le plateau de BFMTV, racontant n’importe quoi sur le terrorisme et Trump. Délirant. #ManhattanAttack».

Dans la même veine, l’occident est jugé faible qui continue à fermer les yeux, l’islam radical continue à décimer des innocents. Jusque quand? #ManhattanAttack #Manhattan». Et la théorie du loup solitaire avancée à chaque attentat pour être ensuite démentie par les faits est tout de suite rejetée. Ainsi, Bobophobe se désole: «pour le @NYGovCuomo, Sayfullo Saipov serait un loup solitaire… Ils n’ont toujours pas compris #Manhattan». Une analyse partagée par le journaliste Roland Jacquard spécialiste du terrorisme qui estime qu’«il y a une cinquième colonne utilisée par l’État Islamique à l’intérieur des Etats-Unis».

Les twittos sont aussi de moins en moins réceptifs aux réactions qui consistent à rendre hommage pacifiquement aux victimes. Tantôt sur le mode ironique, «c’est à n’y rien comprendre… c’est comme si toutes les bougies et chansons n’arrêtaient pas les attentats islamistes…#Manhattan», tantôt sur un mode nettement plus cynique, «allez on fait chauffer les bougies et les MP3 Imagine de John Lennon pour demain matin…#Manhattan».

Les médias dans le collimateur

Si la «naïveté» des hommages est dénoncée, elle n’est pas la première cible des critiques. Les médias cristallisent les reproches. Les erreurs factuelles exaspèrent et Les Répliques n’ont pas manqué de relever l’amnésie de BFMTV qui titrait «New York: l’attentat à la voiture-bélier, une première aux Etats-Unis» oubliant l’attaque à Charlottesville cet été. L’asymétrie de traitement est elle aussi questionnée comme ce parallèle entre les unes de Libération suite à l’attentat de New York et à la tuerie de Las Vegas (#LasVegas image floue et titre «le choc» #Manhattan photo d’un barbu et titre «attentat». Les mots et les photos ont un sens et @libé le sait»).

Les images ne sont pas les seules dans le collimateur. Le choix des mots pour qualifier les attaques apparait souvent comme minorant la réalité. Hier, «Las Vegas l’homme fait 59 morts les médias appellent ça un détraqué. Et #ManhattanAttack huit morts mais l’homme est barbu donc terroriste». Aujourd’hui, « attentat de #Manhattan en France on parle «voiture folle»… Aux Etats-Unis, on parle de terroriste islamiste ouzbek lié à Daesh!».

Mais ce qui a fait le plus bondir la twittosphère est le silence assourdissant autour de deux autres attentats meurtriers. «Sinon, hier en Somalie, 27 personnes ont perdu la vie dans l’indifférence générale #Manhattan #ManhattanAttack».

Somalie et Afghanistan

Dans le monde du journalisme, on parle de la loi du mort kilomètre ou loi de proximité qui théorise l’intérêt du public pour des faits se déroulant près de lui . Plus on s’éloignerait du public ciblé et moins celui-ci se sentirait concerné. Cette loi se heurte toutefois à une réalité géographique: l’attentat de Kaboul perpétré par un adolescent le 31 octobre qui a coûté la vie à au moins cinq personnes, a nettement moins été traité par les médias que celui de New York. La capitale afghane se situe à 5 200 kilométres de Paris contre 5 800 pour la Grosse Pomme. L’attentat de Mogadiscio le 31 octobre, n’a pas lui non plus intéressé les JT. «Pas de Breaking News, pas de tweet présidentiel. N’oublions pas: à NYC comme à Mogadiscio, ce sont des êtres humains tués pour rien».

Sam Deghout et son infographie apportent un début de réponse. «#Mogadiscio… Ça ne chagrine personne ou presque… On sait pourquoi!» avec un barème de couleurs de peau en fonction de l’intérêt porté à l’événement. BigBossFF a même «une pensée pour les Somaliens, trop pauvres pour se faire tuer à #Manhattan plutôt qu’à Mogadiscio et trop noirs pour qu’on s’y intéresse». Jacques Fontaine accuse lui «la géopolitique libérale qui discrimine même les victimes des attentats. 21 morts à Mogadiscio: rien. 8 morts à New York: communique de #Macron #FI» .

Virginie Debuisson est un de ces twittos qui s’insurge: «avec tout le respect dû aux victimes et à leurs proches, je trouve assez dingue de voir autant d’articles quand huit personnes sont assassinées à #NYC et si peu quand c’est à Kaboul. Chaque meurtre de l’#EI arrête l’histoire d’une vie de façon odieuse et tragique». Comme le caricature Rodho, «il faudrait virer l’incompétent qui s’occupe de la com de la Somalie». Les uns et les autres négligent un détail technique essentiel: il y a des milliers de caméras, de journalistes et de médias à New York et presque rien à Kaboul et à Mogadiscio.

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