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Le terrorisme ne nous fait plus vraiment peur

Temps de lecture : 4 min

Les attentats de Daech perdent de plus en plus leur potentiel de terreur.

Le véhicule utilisé pour l'attaque terroriste du 1er novembre 2017 à New York (États-Unis).© Spencer Platt / Getty Images / AFP.
Le véhicule utilisé pour l'attaque terroriste du 1er novembre 2017 à New York (États-Unis).© Spencer Platt / Getty Images / AFP.

L'attentat mortel à la camionnette de New York a finalement été revendiqué par Daech. Mais cet événement aura-t-il le même impact que les attentats précédemment perpétrés par l'organisation Etat Islamique? En revendiquant tous les attentats, petits et grands et ce quel que soit le nombre des victimes, Daech a tenté d’instiller un sentiment d’omniprésence et de danger imprévisible. Mais ce faisant, le terrorisme est peut-être en train de perdre sa raison d’être: il se banalise, on serait même tenté de dire qu’il ne fait plus peur.

Organiser ou inspirer un flot constant d’attentats en Occident a des conséquences qui peuvent être contre-productives. Au bout d’un moment, l’ignoble finit presque par devenir normal. Les gens deviennent insensibles à la violence. Et quand une violence, autrefois effrayante, commence à se normaliser, les populations visées finissent non seulement par épuiser leur stock d’indignation, mais aussi de compassion.

Le grotesque succède au terrifiant

Le décompte macabre tourne bientôt au grotesque, quand Daech en vient à revendiquer des actes qui n’ont rien à voir avec l’organisation. Le premier week-end d’octobre, on a ainsi dénombré trois attentats, au Canada, en France et aux États-Unis. Un réfugié somalien, connu pour son idéologie extrémiste, a attaqué des gens en Alberta avec un couteau et un véhicule. Un agresseur a poignardé et tué deux femmes dans une gare de Marseille. Et à Las Vegas, un tireur isolé sans lien connu avec Daech a perpétré la fusillade de masse la plus meurtrière de l'histoire moderne des États-Unis –et Daech l’a revendiquée!

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Car Daech, dans ses revendications, semble avoir adopté une approche «attrape tout». Le groupe peut ainsi revendiquer un attentat aussi terrible que celui du Bataclan en novembre 2015, comme une attaque au couteau qui blesse un policier. La stratégie de Daech est une stratégie d’usure –celle du maintien d’un rythme régulier d’attentats à travers le globe, et particulièrement en Occident, afin que la menace du terrorisme apparaisse universelle. Selon un rapport de l’Institute for the Study of War, Daech aurait été impliqué dans 54 tentatives d’attentat terroriste en Europe pour cette année seulement.

L'hypothèse généralement admise est qu’une augmentation des actes de terrorisme ne peut que renforcer le sentiment de terreur dans les populations. Pourtant certaines recherches suggèrent le contraire. Car dans les faits, les individus trouvent le moyen d'intégrer et de normaliser la violence dans leur vie quotidienne et font des choix pour parer aux menaces, dans tous les domaines. Cela s’applique aussi bien aux bagarres dans les bars, aux quartiers touchés par la violence des gangs ou au terrorisme. On évite certains lieux, on s’éloigne de certains quartiers après la tombée de la nuit, et ce mode de fonctionnement devient une sorte de point d’ancrage à la résilience, pour des gens qui, au quotidien, pensent régulièrement aux choses et aux personnes qu’elles doivent éviter.

Une stratégie dans l’impasse

La stratégie de l'État islamique ne vise pas à négocier une solution politique durable, mais à exercer une sorte de vengeance permanente; elle vise à polariser les sociétés pour y exacerber les divisions et à pousser les gouvernements à réagir de façon excessive, et ainsi à aider les terroristes à recruter plus efficacement en donnant corps à l’idée que l'Occident serait en guerre contre l'islam. En instaurant, au début de l'année 2017, une interdiction de voyager pour les ressortissants de sept nations à majorité musulmane, l’administration Trump n’a fait qu’apporter de l’eau au moulin du discours de recrutement de l'État islamique, qui propage l’idée que les musulmans sont partout victimes et que Daech est le défenseur et le glaive de la religion musulmane. (Trump a aussi rapidement tweeté sur la nécessité de ne pas permettre à Daech «de revenir ou d’entrer dans notre pays» au lendemain de l'attaque de New York.)

Ces réactions excessives sont contre-productives et ne font que renforcer une stratégie qui perd toujours plus de son efficacité. Les mouvements sociaux et les organisations militantes dont les activités sont confrontées à l'indifférence collective choisissent souvent d'intensifier leurs actions pour capter l'attention et rester sous les feux des projecteurs des médias. Comme le souligne Grant Wardlaw dans son livre sur le terrorisme politique, les attaques répétées d'un groupe particulier finissent inévitablement par engendrer l'indifférence de la société. Mais une attaque plus spectaculaire peut rompre le cycle de répétition et menacer davantage notre sentiment de sécurité. Comme l'écrivait il y a longtemps William Gamson, un spécialiste réputé de des mouvements sociaux: «L'imprévisible et le spontané font de la meilleure télévision», et les groupes sont donc «tentés d'agir de façon toujours plus extravagante et spectaculaire» afin de conserver l'attention des médias.

Dès les années 1970, Brian Michael Jenkins, spécialiste du terrorisme, écrivait aussi que «le terrorisme c’est du théâtre», mais comme les événements liés au terrorisme font l'objet d'une couverture médiatique permanente, il faut désormais faire un nombre très important de victimes ou recourir à une violence allant bien au-delà de la moyenne pour attirer et maintenir une couverture médiatique constante. Car le terrorisme a pour principal objectif de faire passer un message politique au plus large public possible.

L'attentat perpétré mardi à New York était un nouvel exemple de tentative brutale de semer la terreur en Occident. Cet attentat nous rappelle que New York reste en tête de la liste des cibles prioritaires des terroristes, et qu'ils sont prêts à se contenter d'attaques plus simples et opportunistes, plutôt que d’attendre plus longtemps avant d’être en mesure de préparer une attaque plus coordonnée et plus spectaculaire.

Mais quel message envoie-t-on quand des attentats violents et soigneusement orchestrés cèdent la place à des actes de violence communs? Celui de l'opportunisme ou de la manifestation d’une mauvaise stratégie? Peut-être est-ce simplement le résultat d'une évolution naturelle –des mesures antiterroristes de plus en plus musclées contraignent les terroristes à recourir à des expédients. L'une des tendances récentes les plus prononcées en matière de terrorisme est la disparition générale des opérations minutieusement planifiées, comme l'attentat de Paris en novembre 2015, au profit d’actes de violence simples et manifestement improvisés, à l'aide d'objets du quotidien tels que des couteaux et des véhicules.

Certains représentants de gouvernements occidentaux affirment que le terrorisme n’est finalement qu’une composante du monde moderne, et que les politiques doivent donc viser à renforcer la résilience face au terrorisme. Daech y a peut-être contribué en transformant le terrorisme en un élément de la vie quotidienne, ce qui l'a par voie de conséquence empêché d'atteindre son objectif –terroriser les populations.

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