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Faut-il interdire le site RichMeetBeautiful?

Temps de lecture : 5 min

[Tribune] Le 25 octobre, une publicité sauvage pour RichMeetBeautiful a suscité l'indignation. Accusé «d'inciter à la prostitution», le site de rencontres fait désormais l'objet d'un enquête pour proxénétisme. A contre-courant, des «féministes libérales» dénoncent une prise de position «morale».

Publicité sauvage pour le site RichMeetBeautiful dans les rues de Paris, le 25 octobre 2017. | Anais Caquant / AFP
Publicité sauvage pour le site RichMeetBeautiful dans les rues de Paris, le 25 octobre 2017. | Anais Caquant / AFP

Nous aurions aimé qu’une SugarBaby sorte du bois, qu’elle soit belle sans trop l’être, étudiante à Sciences Po avec une particule dans son nom et qu’elle dise sans rougir: «Oui, je dîne régulièrement avec de vieux messieurs le soir contre de l’argent. Oui, il m’arrive de passer la nuit avec eux et cela n’est pas moins désagréable que lorsque je la passe au côté d’un inconnu que je ne reverrai jamais. Mais dans cette situation consentie je gagne confortablement ma vie, dans l’autre rien ne demeure à part une méchante amertume.»

Nous aimerions également que les puritains de tous les pays s’unissent pour nous expliquer ce qu’est une relation sexuelle convenable. Et par convenable nous entendons ici digne d’être célébrée, énoncée, publicisée. Combien, par ailleurs, chantent les louanges de la seule relation sexuelle qui vise à accoucher d’un enfant, seule digne d’être contée, et se délectent en privé d’une Belle de jour féroce en ingénue fouettée ? Dans le film de Luis Buñuel, Catherine Deneuve est Séverine, une femme lasse de son mariage classique, ennuyée par sa vie sexuelle de conte de fée, qui loue ses services pour augmenter sa réalité.

Vous rougissez ? N’en faites pas tant, gardez en tête l’assertion d’un homme de goût, Lysander Spooner, disant sans en prendre ombrage: «Les vices ne sont pas des crimes». D’autant plus lorsque le consentement est un fait assuré par un contrat entre deux personnes majeures. L’un utilise l’autre qui utilise l’un, autant dire que les femmes qui aiment les hommes qui aiment les femmes s’en trouvent fort aise. Comme le disait John Stuart Mill dans De La Liberté:

«Voici ce principe: le seul objet qui autorise les hommes, individuellement ou collectivement, à troubler la liberté d’action d’aucun de leurs semblables, est la protection de soi-même. La seule raison légitime que puisse avoir une communauté pour user de force contre un de ses membres, est de l’empêcher de nuire aux autres. Son propre bien, qu’il soit physique ou moral, n’est pas une justification suffisante.»

Il faut ainsi définir une chose: existe-t-il l’once d’une agression dans le rapport entre sugar daddy et sugar baby ? Si le second consent, le premier doit-il automatiquement être soupçonné de lui nuire et incriminé par principe? D’ailleurs, d’innombrables rencontres tarifées ne finissent pas au lit. Quid des dîners, des sorties, des désirs achetés au nom du plaisir de se sentir vivre malgré tout?

Que viennent donc faire les pouvoirs publics dans ce schmilblick ?

En l’absence de tort causé envers autrui, la violence légale de l’Etat ne doit pas servir à imposer les opinions des uns aux autres. Les entrepreneurs de morale ont toujours fait de leur mieux pour influencer le législateur afin de dessiner une société à leur goût. L’émergence de cette police de la pensée imposée jusqu'au sommet de l’Etat n’a pourtant pas empêché les citoyens d’assumer leur corps comme un bien privé. Cela mène à #balancersonporc et interroger avec intelligence et exemple à l’appui les rapports abusifs de certains hommes à l'égard de certaines femmes. Mais cela devrait mener en parallèle à la tolérance à l'égard de celles et ceux qui monnaient leurs charmes, ceux qui utilisent leur corps pour changer leur vie ou le monde. S’est-on jamais demandé si la Pompadour aurait pu diriger le plus grand pays d’Europe et déclarer la guerre à la Prusse si elle n’avait pas partagé le lit de Louis XV ?

Passer une soirée romantico-pécunière transgénérationnelle n’est pas une obligation. Les alternatives existent, d'ailleurs les portes de l'ami Ronald sont toujours grandes ouvertes. Personne ne dit plus rien à ce géant qui propose des jobs fleurant bon le graillon à des étudiants en galère. Car nos papes de la belle morale ne s’attaquent plus aux employeurs-profiteurs ayant pignon sur rue. Pourtant est-ce si condamnable de préférer la chaleur d’une relation humaine plutôt que celle d’un grill?

Nous pensons que non. Mais pour beaucoup il est plus simple de nier la liberté et la compétence de chacun à faire un choix rationnel. Dans ce cas précis la flexibilité des horaires, l’autonomie, ainsi que le rapport temporel coût/avantage sont sans aucun doute à l’avantage des SugarBabies: études et temps de travail s’emmêlent sans contrevenir l’un à l’autre. Mais le calcul dérange et l’on convoque la passion, pour fantasmer une cruauté et oublier le gain obtenu. On préfère infantiliser les uns et effacer les autres pour ne pas ouvrir les yeux sur une réalité: les étudiants des grandes villes ont plus souvent qu’on consent à le dire besoin de gagner de l’argent vite pour vivre dignement. En 2006, le syndicat SUD-Etudiant estimait ainsi que 2% des étudiants finançaient leurs études par une forme ou une autre de travail sexuel.

Allons maintenant, avec audace, plus loin! Interdire RichMeetBeautiful reviendrait à ôter une option à certains pour soulager la conscience des prohibitionnistes, sans combler par ailleurs le manque à gagner. Le citoyen est floué par l’Etat sur l’autel de son propre bien, au prétexte que l’on connaît mieux que lui-même ce qui lui convient (après la guerre, la morale). Pourtant, au lieu de contraindre, l’Etat pourrait proposer. Des solutions existent, et une méthode fonctionne: écouter et comprendre avant de s’en remettre aux grands jugements paternalistes.

Derrière ce panneau publicitaire aguicheur, de grands abandonnés: les travailleurs et travailleuses du sexe

Lutter contre les discriminations est un objectif louable qui ne devrait pas évincer les vraies luttes. Derrière ce panneau publicitaire aguicheur, derrière les étudiants prêts à succomber à la tentation, demeurent de grands abandonnés: les travailleurs et travailleuses du sexe. D’ailleurs, parmi les plaintes émises par les SugarBabies, on trouve en bonne place la stigmatisation du sexe tarifé. Le contexte de criminalisation et de jugements moralisateurs les pousse à cacher leur activité, entraînant stress et éloignement des structures de soutien. Il est pourtant essentiel de lutter contre la traite humaine et d’en sauver ses victimes. Pour lutter contre le risque d’exploitation, permettons leur donc de gagner en autonomie. Car s’ils avaient la liberté de créer et gérer individuellement ou collectivement leurs propres sites d’annonces, ils deviendraient des entrepreneurs comme les autres.

A ceux que l’on range dans la catégorie «paria», offrons plutôt une reconnaissance légale. Rencontrons-les, regardons-les plutôt que de les fantasmer. Ils ne sont souvent pas ceux que l’on imagine. Hélène Bidard, adjointe PCF chargée de la lutte contre les discriminations à la Mairie de Paris estime que le site RichMeetBeautiful est «une violence faites aux femmes». Qu’en est-il des hommes, des étudiants de sexe masculin, eux aussi alpagués par l’affiche? Qu’en est-il des hommes prostitués, ces grands oubliés? Ne sont-ils pas autant les victimes de SugarMama, que les étudiantes forcément soumises à leur SugarDaddy? La réaction des pouvoirs publics est une nouvelle fois partielle et partiale: protégeons les femmes, fragiles petits êtres sans défense, des grands méchants loups. Les hommes, eux, sont responsables et capables de faire des choix éclairés pour eux-même. Infantilisons d’un côté, détournons le regard de l’autre. Et oublions de fait que cette publicité permet une réflexion globale sur la vie quotidienne des grands oubliés de la politique nationale comme locale: les étudiants et les jeunes actifs.

Ainsi, nous aurions préféré qu’un travailleur du sexe se lève, qu’un SugarBaby sorte de la bibliothèque, qu’il soit beau dans sa virilité de jeune adulte, venu de province pour conquérir le monde et qu’il dise sans baisser les yeux: «Oui j’accompagne régulièrement de vieilles femmes à l’Opéra contre de l’argent. Oui, parfois même je les rejoins au lit et ce n’est pas plus désagréable qu’une nuit avec une inconnue dont j’aurais eu très envie.»

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