Boire & manger

Les quatre règles à connaître pour appâter un client par le menu

Temps de lecture : 4 min

Vous ne vous en doutez peut-être pas, mais vos choix au restaurant sont dictés par la carte.

MYCHELE DANIAU / AFP
MYCHELE DANIAU / AFP

1.Bien pitcher son plat

L’intitulé d’un plat, c’est comme le teaser d’une série qui va vous donner envie de vous coltiner les 5 saisons. Et par le pouvoir de la suggestion, tout peut devenir attirant et bankable, comme le précise Estérelle Payany, auteure et critique culinaire pour Télérama:

«Le nom crée un horizon d’attente. Un ami restaurateur avait du mal à vendre son bar au fenouil, en raison de ce légume peu apprécié. Il l’a rebaptisé “bar à la provençale”. Résultat, les clients étaient happés par cet intitulé qui plante instantanément le décor!»

Stimuler l’imagination. À tel point que les restaurateurs en font parfois des caisses en abusant de termes étrangers, pour injecter un peu d’exotisme mais surtout pour camoufler des aliments lambda –comme chez The Cod House et son «carpaccio de Yellow Tail», de la limande quoi.

Parallèlement, alors que les chefs sont invités à œuvrer pour une politique de la transparence, tout un champ lexical se déploie autour de la traçabilité des aliments: terroir, frais, fait maison, régional… Pour Sébastien Ripari, consultant auprès de grands chefs, «ça rassure les gens de savoir que “l’œuf frais de la ferme” provient de tel endroit, que les noms des producteurs soient mentionnés sur la carte, c’est un gage de qualité». Le poids des mots, le choc des photos?

«S’il y a bien un truc qui ne fonctionne pas, c’est de mettre la photo des plats, ajoute Sébastien Ripari. En Asie, c’est monnaie courante, et l’on voit même des faux plats en plastique dans les vitrines des restos.»

2.Faire court

Pas trop en dévoiler, cela va de pair avec les intitulés brefs de plats. Abréviations, acronymes, etc. les noms sont de moins en moins pompeux et vont droit au but. La raison? On passerait en moyenne 109 secondes à lire une carte et consacrerait 30 min à notre pause déj’. On n’est clairement pas là pour apprendre le menu par cœur. Pour Alexandre Giesbert, cofondateur des restaurants parisiens Roco et Daroco, cette concision est due au format de la carte:

«Comme pour un CV, tout doit tenir sur une page et les intitulés sur une ligne. Les ingrédients sont généralement énumérés, séparés par des slashs. On trouve souvent un “PDT” pour signifier pommes de terre. Ces réflexes d’écriture permettent de gagner de la place et donnent l’impression au client d’être un “connaisseur avisé”.»

Vu que la tendance n’est plus aux intitulés poétiques, pour autant peut-on se permettre une grosse poilade? «J’injecte une touche d’humour dans l’intitulé de certains plats pour les mettre plus en avant car je les apprécie personnellement. C’est pour leur donner un coup
de pouce»
, avoue Alexandre Giesbert. Mais ce n’est pas une raison pour transformer une carte de menu en plateau des Grosses Têtes –comme chez Saucette, restaurant
de grosses saucisses dans le Marais, qui a baptisé ses plats Socis Redding ou encore Saucis Huster… Ça tombe comme un cheveu dans la soupe.

#grossesaucissedansmapanse #suzemawurzt #paradisdelasausage

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3.Rester discret sur les prix

Le prix, c’est un peu le détail que les restaurateurs balaieraient bien sous le tapis: situé en bout de ligne, sous l’intitulé du plat, écrit dans une police plus petite et en italique… Lorsque le signe € n’a pas carrément disparu de la carte. Pour Cleo Charuet, directrice artistique qui a imaginé la nouvelle carte de La Chassagnette, il y a une raison esthétique mais «c’est aussi une façon d’adoucir le cheminement jusqu’à la douloureuse». Ce que confirme Alexandre Giesbert:

«On ne souhaite pas que le client se souvienne de la note parfois salée, mais qu’il garde en tête un plat qui l’a agréablement surpris, et une bonne expérience. Et puis de cette façon, son choix sera davantage dicté par son envie que par son portefeuille et il aura moins de scrupules à se faire plaisir.»

Plus radicale, la «carte muette»: «C’est cette carte où n’apparaît aucun prix et que les serveurs tendent instinctivement à la femme –d’ailleurs, on l’appelle aussi “carte des dames”, s’insurge Estérelle Payany. Ils invoquent la tradition et les coutumes mais celle-ci ne fait qu’infantiliser les femmes sous un vernis de romantisme à la papa! Elle est encore très répandue dans les établissements chics ou étoilées.» Qui visiblement ne veulent pas vouloir faire tout un plat de l’égalité des sexes…

4.Organiser le désordre

Certaines positions sont moins douloureuses et passent crème (pardon pour l’image). Il n’y a souvent aucune hiérarchisation des prix, les plats n’étant pas listés de façon croissante. Ne pensez pas que ce détail a été laissé au hasard. En psychologie, il a d’ailleurs un nom le «serial position effect» (ou «effet de position sérielle»), le fait qu’on se souvienne davantage des première et dernière infos qu’on a lues.

La place la plus convoitée, un peu comme un affichage JC Decaux à quelques mètres d’un centre commercial? En haut à droite, là où notre regard se poserait en premier. Délicieusement appelée «sweet spot», on y trouve les formules et plats qui doivent se vendre comme des petits pains. La disposition des infos permet ainsi leur optimisation. Et comme un e-shop qui s’efforcerait de vous refourguer ses promos, le restaurateur va mettre en tête de carte les plats qui ont un taux de marge plus important. Pas forcément le plus cher mais le plus rentable.

«L’entrée qui se trouve souvent en pôle position sur une carte, c’est l’œuf mayo, affirme Alexandre Giesbert. C’est typiquement le plat pas cher à fabriquer et sur lequel les restaurateurs se font une belle marge. »

Idem pour les vins, dont l’ordre d’apparition est calculé, selon Ripari: «Le client ne prend généralement ni le premier vin, ni le moins cher, les restaurateurs placent donc les plus rentables en seconde et troisième positions et vu que la carte des vins est souvent très longue, le client se décourage facilement.» Carton rouge dans tous les sens du terme.

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