Économie

Patrick Artus: les tarifs des banques sont exorbitants (MàJ)

Temps de lecture : 3 min

Les banques d'investissement gagnent bien trop d'argent pour ce qu'elles rendent comme service à leurs clients et à l'économie. Nous sommes en présence de rentes par définition anormales.

Les banques françaises ont réitéré mardi 12 janvier leur opposition au projet de création d'une taxe exceptionnelle sur les bonus qui vient d'être transmis au Conseil d'Etat. «L'accumulation de mesures de taxation risque de peser sur leur capacité à financer l'économie, ainsi que sur leur compétitivité et celle de la Place de Paris», écrit la Fédération bancaire française (FBF) dans un communiqué.

La France a annoncé cette taxe exceptionnelle en décembre, après la décision du Premier ministre britannique Gordon Brown de taxer les rémunérations variables des traders de la City. Cette taxe devrait rapporter 360 millions d'euros à l'Etat selon la ministre de l'Economie Christine Lagarde qui l'a justifiée au nom des «concours exceptionnels» apportés par l'Etat aux banques durant la crise financière.

 

 

Les banques d'investissement ont terminé 2009 avec des profits colossaux. Ces résultats sont à priori incompréhensibles. La récession, la concurrence accrue entre banques, la faible intensité capitalistique de cette industrie, l'absence de brevets pour des produits financiers, devraient conduire à un pincement des marges.

Dans les banques de détail l'origine des profits est assez facile à analyser: ils résultent du niveau de la tarification des services bancaires donc de l'intensité de la concurrence dans ces services, de la plus ou moins grande fidélité des clients-consommateurs, du niveau des marges d'intermédiation qui déjà se resserrent aujourd'hui, après avoir été très larges après la faillite de Lehman, des taux de défaut des emprunteurs et de la pente de la courbe des taux d'intérêt, puisque les banques de détail se financent à court terme et prêtent à plus long terme.

Mais les profits de la banque d'investissement qui redeviennent à nouveau élevés, après la crise durant laquelle ils ont été laminés par les pertes sur les actifs, sont difficiles à comprendre. Avant la crise, les banques d'investissement avaient un rendement des fonds propres supérieur à 20 aux Etats-Unis où les profits des banques représentaient 40% de l'ensemble de profits. Au 3ème trimestre 2009, on retrouve pour la banque d'investissement et de financement 10 milliards de dollars de profits chez Goldman-Sachs, 8 milliards de dollars chez JP Morgan, 4,5 milliards d'euros chez Deutsche Bank, 3 milliards d'euros chez BNP Paribas...

Normalement les banques d'investissement devraient générer peu de profits. La banque d'investissement est assez peu capitalistique, et donc l'entrée dans cette activité est peu coûteuse, d'autant plus que les salariés des banques d'investissement sont très mobiles et passent facilement d'une banque à l'autre. Les produits et services rendus par les banques d'investissement ne sont pas brevetables et sont immédiatement imités: il ne peut pas y avoir en principe de rente durable due à l'innovation. Les banques d'investissement sont nombreuses et en concurrence les unes avec les autres: a priori, on ne devrait pas observer non plus de rente d'oligopole. Enfin, les activités de trading (achat-vente sur les marchés financiers) sont des activités à somme nulle: ce que gagne une banque devrait en principe être perdu par une autre banque.

Quelles sont alors les pistes pour expliquer le niveau élevé des profits des banques d'investissement, avant la crise et à nouveau à partir du 2ème ou du 3ème trimestre 2009? Il peut d'abord y avoir  «collusion cachée».

Les banques d'investissement ne seraient qu'en apparence en situation de concurrence et en réalité s'entendraient pour fixer les prix de leurs services. Pourtant, les banques d'investissement essaient bien de conquérir les clients et les parts de marché des autres banques.

Il y a probablement «naïveté ou faiblesse de l'acheteur» des services des banques d'investissement. Les entreprises qui émettent des obligations ou des actions, qui achètent des couvertures (de taux, de change...); les investisseurs qui achètent des actifs financiers, des produits dérivés, accepteraient de payer trop cher ces services par incapacité à en évaluer le vrai coût, pour ne pas prendre de risques avec le succès des opérations. Il peut aussi y avoir gain de trading sur des non banques, les banques d'investissement ayant des capacités de trading supérieures à celles de certains investisseurs, de certaines directions financières d'entreprises.

Si le niveau des rémunérations dans certaines banques d'investissement choque, il ne sert à rien de réglementer ces rémunérations; les réduire ne servirait qu'à accroître les profits des mêmes banques pour les actionnaires. La bonne question est celle de la possible existence de «rentes» extraites par les banques d'investissement sur certains de leurs clients pour une des possibles raisons vues plus haut, et qui constitueraient une inefficacité économique (le prix des services des banques d'investissement serait trop élevé). Si on peut démontrer la présence de ces rentes, alors il faut les réduire par les méthodes habituelles: intervention des autorités de la concurrence, transparence sur la tarification... Mais, on l'a vu, il est possible que le problème vienne du côté des acheteurs des services de banques d'investissement ou des activités de trading des autres entités économiques, de leur naïveté, pas des banques elles-mêmes.

Patrick Artus

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Image de Une: Graffiti sur un mur de la Banque d'Angleterre «Le gouvernement ment, les banques volent. Les riches rient»  REUTERS

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