Monde

Jean-Marie Colombani: l'Europe, une armée mexicaine

Temps de lecture : 3 min

Présidence européenne, présidence tournante, Commission et grands pays vont diriger l'UE. Et un projet si peu ambitieux.

C'est donc à l'Espagne qu'il revient d'inaugurer la nouvelle décennie européenne en même temps que la première présidence bicéphale. Les lecteurs d'«El Pais» ont donc pu lire les priorités de la présidence espagnole et du nouveau président du Conseil européen. Bizarre tout de même  que cette présidence bicéphale! Car, pour y comprendre quelque chose, il va falloir aussi tenir compte du rôle et de la place que José Manuel Barroso à la tête de la Commission, va tenter de préserver et du rôle et de la place que les trois grandes puissances européennes, la France, l'Allemagne et l'Angleterre vont vouloir, ou pouvoir, jouer.

Mettons-nous à la place du citoyen européen: on lui avait vendu que la mise en application du traité de Lisbonne signifierait la simplification. Témoin, l'émergence d'un président, le Belge van Rompuy flanqué d'un ministre des affaires étrangères, Catherine Ahston. Dans l'idée que cette simplification amènerait dynamisme et efficacité. Or on commence l'année pris d'une sorte de vertige: personne n'avait fait vraiment attention au fait que la présidence tournante continuait et qu'il faudrait donc, à chaque fois, que les deux nouveaux personnages de l'Union s'accommodent d'équipe par définition différente; et on s'aperçoit aussi que l'Europe sera déterminée par le jeu complexe d'au moins quatre pôles: le président et la ministre des affaires étrangères, le pays titulaire de la présidence tournante, le président de la Commission et son équipe, les chefs d'Etat et de Gouvernement.

Or nous souffrons depuis bientôt dix ans du fait que les Etats et les gouvernements nationaux ont totalement neutralisé les institutions européennes - hormis la Banque centrale et Jean-Claude Trichet - en faisant prévaloir de plus en plus des intérêts nationaux, de moins en moins la définition d'un intérêt général européen. La nouvelle règle du jeu institutionnel, certainement utile et nécessaire, ne comporte donc en elle-même aucune garantie de progrès ou de succès.

C'est bien, mais si insuffisant

Maintenant si l'on regarde les priorités telles que José Luis Zappatero et Herman Von Rompuy les ont définies, on mesure le décalage qui existe entre l'ambition qui devrait être la nôtre et celle de nos dirigeants. Certes, rien n'est contestable, dans l'énoncé des priorités de l'Union: l'union économique ? Elle n'a que trop tardé, et il est chaque jour plus incohérent de tenter d'organiser le G20 et de rester en arrière de la main sur un territoire, celui de la zone euro, dont on a vu à quel point dans la crise, il peut être décisif. Une voix plus forte sur la scène internationale? On l'attend aussi avec impatience, mais chacun sait qu'elle sera étroitement conditionnée par les progrès de la première priorité.

Dans un monde qui s'apprête à être dominé par la Chine, l'Europe n'existera que si elle structure et intègre mieux ses économies qui, ensemble, constituent encore la première économie du monde. Enfin, qui ne souscrirait à la troisième priorité, savoir l'initiative législative populaire qui peut permettre en effet à terme à une opinion publique européenne de mieux prendre conscience des bienfaits de l'Union.

Bref, ces trois priorités sont bonnes, sans aucun doute. Mais elles sont insuffisantes. En effet, si l'on regarde quelques événements récents, tous malheureusement semblent signifier un affaiblissement de l'Europe. Le sommet de Copenhague bien sûr, qui n'a été sauvé que par l'intrusion de Barack Obama dans une discussion entre la Chine, l'Inde, le Brésil et l'Afrique du Sud. En matière de lutte contre le réchauffement climatique, l'Europe est pourtant pionnière. Mais faute d'unité et de vision tactique commune, ses dirigeants ont été placés dans la position de spectateurs.

L'Europe spectatrice

C'est une métaphore ou un avant-goût d'un déséquilibre qui nous menace: celui de la mise en place de nouvelles lignes de force stratégiques dans le monde avec une Europe spectatrice. On pourrait aussi évoquer le rachat de Saab, marque d'automobile fameuse par un industriel chinois; ou bien encore la victoire des Sud-Coréens pour l'implantation de centrales nucléaires à Abu Dhabi face à un consortium exclusivement français.

Et si l'on regarde le front intérieur, on voit bien que l'intégration de certains des anciens pays du bloc soviétique (comme des pays baltes, la Roumanie, la Bulgarie, la Hongrie) tarde à se concrétiser. Au point que commencent à prendre corps des tentations xénophobes ultranationalistes menaçantes que l'Europe ne peut pas accepter. Il faut donc redire à nos dirigeants et principalement à ceux qui, Français et Allemands, se flattent d'être le moteur de l'Europe, ou bien encore aux Britanniques, qui sont constamment tentés de s'en écarter, qu'ils sont en train de nous laisser passer à côté de l'Histoire. Faute de vouloir ou pouvoir redonner à l'Europe une ambition forte d'intégration à l'intérieur et d'affirmation à l'extérieur qui soit en phase avec la rapidité des changements que nous vivons.

Jean-Marie Colombani

Image de une: manifestation à Varsovie, en 2005. REUTERS/Katarina Stolt

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