Le gouvernement aimerait que les grandes écoles françaises intègrent 30% d'étudiants boursiers pour favoriser la mobilité sociale. Les termes du débat, maintes fois exposés par des dizaines de livres et de rapports, sont connus et tout simplement accablants. La partie de l'enseignement supérieur français, composé de ce que l'on appelle les «grandes écoles», que l'on intègre sur concours souvent après une ou deux années de préparation généralement payantes, est devenue (malgré une sélection sensée être uniquement pédagogique) le principal vecteur de la reproduction de ce que l'on appelle abusivement «les élites» (et que l'on devrait plutôt appeler «les privilégiés»).
Cette reproduction sociale renforce les disparités, les amplifie et cloue l'ascenseur du même nom au troisième sous-sol de la république égalitaire.
Le constat est là, il est maintenant général et personne n'ose plus faire une autre lecture de la situation. Donc, il faut faire quelque chose. La solution des quotas de boursiers paraît être la plus simple, la plus juste et la plus rapidement efficace.
Mais les représentants de la conférence des grandes écoles n'en veulent pas: ils viennent même d'écrire au ministre de l'Education pour protester, au motif que, selon eux, ce système va les forcer à modifier les conditions d'admission et entraîner fatalement une baisse du niveau général de l'enseignement dans leurs établissements. C'est, quand on y pense, un argument assez faible parce que chacun sait que ce ne sont pas les meilleurs élèves ou les plus méritants qui intègrent ces écoles mais les meilleurs et les plus méritants des couches aisées tout simplement. Si on mettait en place un système permettant de sélectionner les meilleurs et les plus méritants de l'ensemble de la société, il n'y aurait aucune raison que le niveau baisse!
Est-ce que ce projet entre dans le cadre de ce que l'on a appelé la discrimination positive?
Pendant la campagne, Nicolas Sarkozy parlait aussi effectivement de discrimination positive mais il y mettait des critères ethniques. Et c'était plutôt dans le cadre d'une politique de nomination ou de recrutement qui devait favoriser la diversité dans les sphères de décision. Sauf que ce n'était tout simplement pas praticable puisque la France ne reconnaît pas les races et ne distingue pas les origines. Ça n'était donc pas faisable, sauf à bouleverser quelques principes fondateurs de la République. Cela a d'ailleurs été abandonné.
En revanche, pratiquer des quotas sociaux, prévoir 30% de boursiers dans les grandes écoles procède d'une toute autre logique et vise un objectif plus large. C'est plutôt comparable au zonage scolaire (d'ailleurs partiellement abandonné, soit dit en passant) ou à la loi SRU qui impose à toutes les communes de tendre vers les 20% de logements sociaux. Et c'est la que l'on retombe toujours sur les mêmes questions. Une politique qui affirme vouloir favoriser le métissage (le mot est du Président) qui veut promouvoir la mixité sociale (et donc sans avoir à écorner les principes républicains) et la mixité ethnique par la même occasion... peut effectivement passer par des quotas sociaux dans les grandes écoles mais apparaîtra toujours comme relativement cosmétique tant que perdurera la ségrégation sociale de nos villes et de nos banlieues.
En gros, tant qu'on aura oublié le plan Marshall des banlieues ou tant que la loi SRU ne sera pas respectée par les villes riches. Ce que le chef de l'Etat demande, à juste titre aux grandes écoles, il devrait aussi, en toute logique le demander aux villes riches. Et c'est là que nous faisons notre petit rappel régulier. Je ne l'avais pas encore fait en 2010. Neuilly-sur-Seine: 2,6% de logement sociaux...
Thomas Legrand
Image de une: A Polytechnique. © Collections Ecole Polytechnique