Contenu partenaire - Le 13 octobre, dans la foulée du scandale des agressions sexuelles perpétrées depuis des années par le producteur hollywoodien Harvey Weinstein, apparaît sur Twitter un hashtag provocateur. «#balancetonporc!! Toi aussi raconte en donnant le nom et les détails un harcèlement sexuel que tu as connu dans ton boulot. Je vous attends».
C’est ainsi que la journaliste Sandra Muller interpelle les femmes victimes de prédateurs sexuels. «Il fallait briser l’omerta» explique-t-elle. Cet appel suscite un embrasement tel qu’on ne peut que le qualifier d’hystérisation sociétale. Avec «#balancetonporc on est obligé de comprendre qu’il y a des mécanismes sociaux dans lesquels nous sommes tous pris».
L’intime et l’extime
Si les réseaux sociaux ressemblent souvent à une scène de théâtre où les intervenants se dévoilent, un cap est franchi avec le #balancetonporc, amplifié par un autre hashtag #MeToo, «affaire Weinstein, après #balancetonporc, Alyssa Milano lance le hashtag #MeToo».
La requête initiale invitait les femmes à raconter leurs expériences face à une agression sexuelle plus ou moins grave. Et les twittos féminines n’ont pas manqué de répondre à cet appel en racontant, succinctement ou longuement un souvenir traumatique, chacune avec ses mots. Maeva se souvient ainsi «#MeToo job d’été dans un camping, le patron qui passe son temps à te reluquer pendant que tu nettoies les WC». Frédérique écrit «parce qu’aujourd’hui je suis assez forte pour te regarder baisser les yeux quand mon regard croise le tien #moiaussi #metoo».
Victoire évoque «ce directeur de rédaction à la télévision, connu par tous-toutes comme un dangereux obsédé sexuel #balancetonporc» tandis que Mélanie «révèle avoir été harcelée sexuellement par un réalisateur français».
D’autres assument la crudité d’une situation scabreuse comme Mathilde «#balancetonporc le collègue qui te dit que si t’as été cacique à l’agreg, il aurait aimé être dans le jury car tu as du bien sucer pour ça».
Ce drame touche au quotidien toutes les catégories socio-professionnelles (journalistes, actrices, infirmières, enseignantes, étudiantes, stagiaires...). Aucune femme n’est protégée par son statut social. Comme le résume Agnès, «#balancetonporc toutes les femmes ont rencontré plein de porcs, que ça vous plaise ou non, le harcèlement est partout, tout le temps». Mais également tous les pays. Les récentes accusations contre un animateur et un producteur québécois et «les témoignages des Marocaines sur #MeToo, harcelées toute la journée» l’illustrent.
Libérer la parole oui, mais pour en faire quoi? Du buzz, un exutoire, un pilori…
«Les #femmes parlent, mais encore faut-il que la société les entendent @MarlèneSchiappa#QAG#Harcèlement». Cette parole longtemps étouffée et qui explose soudain n’a pas toujours une écoute bienveillante et compréhensive. Une large majorité de femmes se réjouissent de cette libération comme Florence Porcel «concernant #MeToo et #balancetonporc, je veux dire aux victimes d’agression, harcèlement et viol quelque chose que j’aurais voulu entendre».
Les hommes aussi sont sensibles à ces révélations à l’image de Sylvain qui « admire le courage des femmes qui parlent sur #balancetonporc #MeToo. Elles créent un lieu de parole là où régnait le silence. Alors j’écoute» ou d’Antoine qui clame «bravo d’avoir le courage de témoigner sur #balancetonporc. C’est écœurant de lire ces témoignages. Il reste encore tellement à faire».
Mais ce déferlement de témoignages suscite aussi des questionnements. Emmanuel Loubradou: «#balancetonporc #MeToo est partagé entre l’enthousiasme de la libération de la parole et la peur des dérives de la délation». Le mot est lâché. Il est d’ailleurs repris implicitement et rapidement par le Ministre de l’économie et des finances, «@balancetonporc la dénonciation ne fait pas partie de mon identité politique dit Bruno Le Maire #8h30politique» avant de rétropédaler quelques heures plus tard: «#BalanceTonPorc après ses propos polémiques sur le sujet, Bruno Le Maire a fait son mea culpa sur son compte Twitter».
Mais le ministre n’est pas le seul à avoir émis des réserves. «Est-ce que cela apporte quelque chose, les doutes de Catherine Deneuve sur #balancetonporc» s’interroge l’actrice, tandis que l’avocat GW Goldnadel s’inquiète: «@GWGoldnadel sur #balancetonporc, cette délation par voie des réseaux sociaux me paraît extrêmement dangereuse #HondelatteRaconte» Dès mercredi, Le Canard enchaîné pointe cette remarque partagée par de nombreux twittos. Le journaliste Pascal Borries s’en réjouit «ouf! Enfin un édito qui explique en quoi le hashtag #balancetonporc est répugnant. Merci @lecanardenchainé».
Certains estiment que «non la délation ne peut pas être le chemin de l’émancipation». «Vous allez voir dans quel merdier de délation à tout va on va entrer» craint Caroline. Le choix des mots est important et comme le souligne Philippe Bellissent «plus généralement c’est le balance quelqu’un qui est insupportable… La société de la délation généralisée». Eleane BZH estime pour sa part que «ce #balancetonporc est pour moi tellement malsain, et que c’est la porte ouverte à la délation et/ou aux faux témoignages… Twitter ne réglera pas vos cas, et ne vous rendra pas justice… Alors à quoi vous sert ce hashtag?»
Si la frénésie sur twitter est aussi massive, c’est parce que le cadre légal n’y a pas sa place. Tout s’y mélange: harcèlement sexuel, moral, agressions sexuelles... Chacun de ces actes a pourtant une définition juridique précise. Et cette précision, la définition objective du délit et/ou du crime, porte une solution, une réparation, la justice car on peut déterminer une sanction.
Mais comme le souligne Maitre Eolas, «ce n’est pas la faute des victimes si Twitter est plus accueillant qu’un commissariat». Il est indispensable de libérer la parole des femmes, mais il est tout aussi essentiel de les écouter et de les aider. Ce qu’illustre twitter par défaut, c’est le manque de réponse et d’assistance judiciaire. C’est aux commissariats d’accueillir et d’écouter, ce sont aux magistrats et aux procureurs de déterminer les faits et de sanctionner. Un cadre légal à respecter... pour respecter les femmes mal traitées et trop longtemps silencieuses, et respecter les droits de la défense lorsqu’on accuse nommément des personnes de faits graves et passibles de prison.
Emi’lycanthropie rappelle tristement qu’on lui a dit «vous devriez porter plainte au lieu de parler sur Twitter. On a porté plainte. Il a écopé d’un non-lieu. Fermez-là #balancetonporc». Le sujet est par défintion très douloureux, les réactions forcément épidermiques et le dialogue terriblement difficile.
La Secrétaire d’état chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes Marlène Schiappa «ne fait pas partie des gens qui prétendent dire aux femmes comment et quand elles devraient s’exprimer sur les agressions sexuelles! Tout commence par là! #libéronslaparole #droitdesfemmes». «Pour @MarlèneSchiappa, les femmes qui témoignent sont bien conscientes que Twitter ne remplace pas un tribunal #CàVous». «Le but n’est pas de livrer des hommes à la vindicte populaire, ni de faire dans la délation, mais de rendre visible un problème grave» qui appelle une réponse rationnelle et institutionnelle.
Un symptôme inquiétant
La tension d’une société à la limite de l’implosion est palpable à la lecture de la violence des échanges. #balancetonporc a cristallisé les penchants machistes voire misogynes mais aussi la défiance vis-à-vis des élites comme le revendique Yannick Comenge: «#balancetonporc la toute-puissance des boffs et des porcs est bientôt finie… on doit faire le ménage chez les politiques, les médias...». Tout s’y mélange, des vegan à ceux qui déclarent «ce n’est pas halal».
Aymeric Caron s’offusque de l’usage du mot «porc»: il est «dommage d’avoir choisi un hashtag spéciste. Il aurait été préférable de choisir #balancetonharceleur ou #balancetonweinstein». Ce à quoi Aquila a répond «bravo Aymeric, nommé porc un tel individu est insultant pour l’animal (je ne suis ni vegan, ni végétarien) et ça n’apporte rien au débat».
Si effectivement «réduire un homme à un porc est aussi vain que considérer une femme comme un objet», la terminologie devrait susciter moins de réprobation que les actes dénoncés par les victimes. C’est un problème de société livré à l’encan sur les réseaux sociaux et sur lequel aucun débat n’est possible. On juge, on s’invective sans autre forme de procès, en oubliant au passage des milliers de femmes silencieuses qui ont besoin qu’on les écoute et qu’on leur rende justice. Celle de la république et non celle des réseaux sociaux.
Éric Fassin, lemonde.fr, apporte un début de réponse: l’éducation. Expliquer que «la différence entre drague et harcèlement, c’est le consentement. Compris? #balancetonporc» ou encore renverser les clichés sexistes: «#balancetonporc. Plutôt que d’apprendre le self-defense à ses filles, apprendre le respect à ses fils».
La virulence et l’impossibilité du dialogue montrent une société à cran, malade, sans repères, qui perd facilement le sens commun. Le potentiel d’implosion est là. Le 29 octobre «pour donner une visibilité concrète à #MeToo et #balancetonporc. Les réseaux sociaux descendent dans la rue».
Sans doute un exutoire. Peut-être encore plus de violence. Pour autant, aurons-nous apporté une réponse, une issue à ces femmes dont beaucoup continuent à se murer dans le silence, culpabilisant d’exactions dont elles sont les victimes...