L'abandon des poursuites par un juge américain contre cinq gardes de la firme de sécurité privée Blackwater, accusés d'avoir abattu 14 civils irakiens désarmés, a provoqué la colère à Bagdad. Nouri Al-Maliki, le chef du gouvernement irakien, a «rejeté» cette décision et annoncé le dépôt, aux Etats-Unis et devant la justice d'Irak, d'une nouvelle plainte. «Nous n'abandonnerons pas notre droit de punir cette firme», a commenté le premier ministre, annonçant que son gouvernement allait «tout faire pour aider les familles irakiennes concernées à porter plainte» aux Etats-Unis mêmes.
C'est à la suite «d'erreurs de procédure» commises par les procureurs américains et du fait que les cinq accusés s'étaient entendus promettre l'immunité, que le juge Ricardo Rubina a décidé de mettre un terme à une affaire qui empoisonne les relations irako-américaines depuis le 16 septembre 2007.
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Bagdad, 16 Septembre 2007. Quatre camions blindés transportant des employés de la société Blackwater quittent la zone verte. L'équipe, nom de code Raven 23, s'apprête à secourir sans instructions un autre groupe menacé par une attaque à la voiture piégée. Arrivée Place Nisour, un quartier fréquenté de la ville, Raven 23 bloque la circulation, ouvre le feu sur une voiture qui circule à vitesse réduite, puis sur les passants. Bilan: 17 morts et plus d'une vingtaine de blessés. Scandalisé, le Premier ministre Nouri al-Malik exige le départ de Blackwater, sans succès.
L'apparition de sociétés commerciales privées qui ont fait de la guerre un business lucratif date de la chute du mur de Berlin. Les Etats occidentaux ont rapidement pris la mesure des économies potentielles que permettrait une cure d'amaigrissement de leurs ressources militaires, devenues moins utiles après le déclin de la menace soviétique. La professionnalisation, l'outsourcing sont devenus la règle.
En France, la notion de force armée légitime, conception latine issue de la Révolution française, définit l'utilisation de la violence d'Etat. Pour le Général Bruno Neveux, une figure de l'armée française qui a commandé avec brio la délicate opération Artémis en RDC en 2003, La force légitime émane d'un pouvoir politique légitime. «La force ne peut trouver sa raison d'être que dans un objectif politique, ce n'est pas une finalité en soi, mais un instrument au service d'une société démocratique. La force armée est de nature régalienne, apanage de l'Etat. Personne ne remet en cause le contrôle absolu de l'Etat».
L'objectif du ministère de la Défense est d'inverser le pourcentage entre les effectifs opérationnels à même de remplir des fonctions militaires (40%) et ceux qui sont affectés à d'autres tâches. Il s'agit par exemple d'accompagnement des forces armées qui ne touchent pas à l'essence même de la fonction militaire parce qu'elles ne nécessitent pas l'usage d'armes (60%). Cela concerne essentiellement la logistique, l'intendance ou la formation et peut s'étendre à des missions de protection, de surveillance et accompagnement qui nécessitent d'être armé».
Michèle Alliot-Marie avait demandé une réflexion sur le sujet dès les années 2000. L'emploi de sociétés militaires privées est une option, mais l'Institution militaire reste prudente. Pour le Général Baptiste, le porte parole de la Défense qui dirige la Délégation à l'Information et à la Communication de Défense, le temps est encore à l'étude: «La réflexion n'est pas aboutie, il n'y a pas de position officielle. Le pouvoir politique n'est pas pressé, même si l'on constate un lobbying en direction des parlementaires. Cette solution présente des avantages, mais on a vu en Irak les limites morales et philosophiques. Cela peut véhiculer un sentiment négatif dans un pays, en ce qui concerne le soutien à ses propres troupes. Actuellement, sur les théâtres d'opérations où elle intervient, la France n'externalise des tâches qu'à des personnels civils qui ne sont pas armés. Il s'agit principalement de restauration et de blanchisserie, d'entretien où de logistique».
La loi sur la répression de l'activité de mercenariat, adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale le 3 avril 2003 n'interdit pas vraiment l'activité des SMP. Pourtant, les sociétés françaises ne travaillent qu'à l'étranger. Pierre Marziali, dirigeant de SECOPEX, une société spécialisée dans le conseil militaire privé et l'intelligence économique, le déplore: «Il y a des intérêts économiques en jeu, et la quasi-totalité de ce marché est détenu par les anglo-saxons. Cela permettrait également la reconversion de personnel issu de la défense et l'intérieur, pour des métiers qui vont du linguiste au démineur en passant par le nageur de combat. Cela répond aussi à des intérêts d'externalisation, mais jusqu'à maintenant en France, rien ne bouge.»
Mais les choses pourraient s'accélérer. La Révision Générale des Politiques Publiques offre un bel avenir aux sociétés privées. Les effectifs doivent être réduits alors que les opérations extérieures (Afghanistan, Côte d'Ivoire) se multiplient. Le recours à l'externalisation est perçu comme un outil efficace pour diminuer le nombre de personnels administratifs.
Comme le concède le Général Neveux, si le recours aux SMP semble inéluctable, encore faut il que cette évolution soit préparée et encadrée. La Convention de Montreux, signée par 17 pays, ouvre la voie à une régulation précise de ces activités, afin d'éviter les abus et les exactions qui ont été constatées en Irak. Car le glissement entre activités privatisées de pure logistique et opérations armées sur le terrain est parfois difficile à empêcher.
Eric Ouzounian
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Image de Une: Des gardes privés sur les lieux d'un attentat à Bagdad Ceerwan Aziz / Reuters