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Et si la sécession de la Catalogne était une bonne nouvelle pour l'Europe?

Temps de lecture : 5 min

La possible indépendance de la Catalogne ne doit pas inquiéter les Européens.

Des étudiants brandissent des drapeaux catalans indépendantistes lors d'une manifestation pro-référendum à Barcelone, le 28 septembre 2017.
Des étudiants brandissent des drapeaux catalans indépendantistes lors d'une manifestation pro-référendum à Barcelone, le 28 septembre 2017.

Longtemps silencieux sur les tensions entre la Catalogne et l’Etat espagnol, le gouvernement français a fini par s’exprimer sur une situation à laquelle les chancelleries européennes ne pouvaient plus rester indifférentes. Invité sur BFMTV et RMC, Jean-Yves Le Drian, Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, jugeait mercredi 27 septembre que le référendum catalan «n’est pas la bonne solution» au moment où l’Europe cherche à se relancer. Nathalie Loiseau, Ministre chargée des Affaires européennes, a elle rappelé sur France Inter son soutien en faveur de l’unité de l’Espagne tout en soulevant l’illégalité du référendum d’auto-détermination. Des prises de position unionistes pas vraiment surprenantes, qui échouent à percevoir l’intérêt d’une plus grande fragmentation de l’Espagne, voire du continent européen.

La grande peur des États-nations

Les États-nations européens semblent, depuis la deuxième moitié du XXème siècle, montrer une solidarité indéfectible quand il s’agit de lutter contre leurs régionalismes respectifs. Ces soutiens ne sont évidemment pas désintéressés. Les États européens puisent leur légitimité dans une idéologie commune, le nationalisme, qui s’est imposée tout au long du XIXème siècle de manière laborieuse. Selon cette idée, seule l’existence d’une nation indivisible justifie le monopole du pouvoir politique sur un territoire donné.

Les travaux d’Anne-Marie Thiesse l’attestent: la construction des légitimités nationales s’est faite dans un contexte historique et géopolitique commun, tissant paradoxalement des interdépendances étroites alors qu’elles étaient à l’origine destinées à être rivales. La contestation de la légitimité d’un État-nation est désormais susceptible d’avoir un écho au-delà de ses frontières. C’est pourquoi les gouvernements européens sont attentifs à ce qu’il se passe chez leurs voisins, inquiets de voir leurs propres séparatismes se galvaniser sous l’effet d’une «contagion» autonomiste.

Si l’Union européenne se refuse officiellement à interférer avec ces revendications, elle ne ménage pas ses efforts, en pratique, pour les décourager. Ainsi, pendant la campagne sur le référendum écossais en 2014, la Commission européenne a rappelé qu’une sortie de l’Écosse du Royaume-Uni entrainerait de fait son exclusion de l’Union, une ré-adhésion étant quasi impossible : l’unanimité est nécessaire pour l’entrée d’un nouveau membre. Difficile d’imaginer un État désavoué parrainer une ex-région rebelle. La plupart des États d’Europe occidentale font face à des mouvances autonomistes plus ou moins fortes (Flandre, Corse, Pays-Basque, Catalogne, Padanie…): laisser transparaître le moindre signe de complaisance vis-à-vis d’une autre province pourrait s’avérer fatal.

Les constitutions contre le peuple?

À défaut d’arguments convaincants, les unionistes des États contestés se contentent de marteler des pétitions de principe sous couvert d’une prétendue rigueur juridique et constitutionnelle. Seul l’État souverain serait habilité à autoriser un référendum d’auto-détermination en vertu des dispositions constitutionnelles propres à celui-ci. Toute consultation unilatérale doit dans ces conditions être réprimée. Voilà l’unique argument de Madrid pour garder le contrôle d’une région qui représente un cinquième de la richesse espagnole et un sixième de sa population. Un dévoiement de la tradition constitutionnelle occidentale…

Le franco-suisse Benjamin Constant l’a expliqué, les constitutions sont «des actes de défiance» envers le pouvoir, limitant l’arbitraire des gouvernements pour préserver l’autonomie des citoyens. Une constitution qui justifie la répression d’un référendum d’auto-détermination devrait donc probablement être réécrite. En ce sens, la reconnaissance d’un droit de sécession unilatérale - forme ultime de défiance à l’égard du souverain - est indispensable à un régime qui se dit respectueux des principes constitutionnels.

Cette reconnaissance est d’autant plus fondamentale que les États modernes ne cessent de se réclamer d’un contrat social pour justifier leur autorité. Chaque communauté politique serait le fruit d’une libre-adhésion de sociétaires désireux de préserver leurs intérêts d’une manière plus efficace que dans un état de nature. Or cette liberté d’association n’existe précisément que si les citoyens disposent du droit de révoquer leur appartenance à une communauté politique, et ceci indépendamment de l’avis des autres membres du groupe. Autrement, le « contrat » social ne serait rien d’autre qu’une fiction mensongère.

L’Union européenne offre un exemple tout à fait classique de ce qui constitue un contrat d’association. Un État-membre est libre de se séparer unilatéralement de l’Union s’il estime que ses intérêts ne sont plus pris en compte. Il n’existe aucun argument rationnel pour affranchir les États des mêmes exigences contractuelles au bénéfice des citoyens et des collectivités territoriales. Cette volonté de consacrer dans la gouvernance publique une forme de libre-affiliation au même titre que n’importe quelle association privée n’est pas nouvelle dans la philosophie politique. Elle a donné lieu à un courant de pensée qui se nomme la panarchie, auxquels peuvent se rattacher des penseurs divers et variés comme le libertaire Pierre-Joseph Proudhon ou encore le libéral Gustave de Molinari.

Small is beautiful

Reste que cette approche contractuelle effraie. Elle abolit la figure de l’État-nation unitaire au profit d’une balkanisation du continent européen. Le scénario est en effet envisageable. La consécration d’un droit de sécession en Catalogne et ailleurs réveillerait très probablement les vieilles mouvances régionalistes que la mode centraliste du XIXème siècle a cru pouvoir enterrer si facilement. Mais une telle évolution ne serait pas dramatique, à condition toutefois d’admettre que l’État-nation n’a pas à être sanctifié. Comme toute construction politique, il n’est que le fruit d’un accident de l’histoire et ne constitue pas l’horizon indépassable de l’organisation de la vie sociale.

C’est la raison pour laquelle le morcèlement politique de l’Europe, tant redoutée par les unionistes de tous bords, ne révèlerait aucune décadence. Une littérature politique abondante explique comment la fragmentation politique a toujours été le moteur de la civilisation européenne. L’historien de l’économie Joel Mokyr, auteur d’un récent ouvrage très commenté dans la presse anglophone, impute par exemple la créativité philosophique et technologique de l’Europe à la concurrence réglementaire et fiscale qui a longtemps découlé de la division du vieux continent en petites unités politiques et territoriales.

Cette apologie du «small is beautiful» est certes contre-intuitive à l’heure où beaucoup, dont Emmanuel Macron, assimilent la mondialisation au besoin de se doter d’un cadre politique toujours plus centralisé à l’échelle internationale pour répondre aux défis contemporains. Un rapide coup d’œil sur les pays qui tirent leur épingle du jeu mondialisé (Suisse, Hong-Kong, Singapour, Nouvelle-Zélande, Luxembourg...) suffit à écarter l’importance du facteur taille sur le rayonnement d’un pays pour peu que celui-ci se dote d’une économie ouverte. Que les unionistes en Espagne et ailleurs se rassurent. Les indépendantismes ne signent donc pas la fin du rêve européen. En se débarrassant des lourdeurs de l’État-nation, ils sont la condition sine qua non de sa résurrection.

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