Monde

Dire non à Obama

Temps de lecture : 5 min

Contrarier le président américain est presque devenu une mode.

Il était facile de dire non au président George W. Bush. Dans le reste du monde (et chez bon nombre d'Américains), c'était presque devenu une seconde nature. Pour la plupart des chefs d'Etat étrangers, dire «non» à Bush coulait de source. Joseph Stieglitz, prix Nobel d'économie, écrivait ainsi: «Si nous voulons rendre le monde plus sûr sur le plan politique, et le rendre plus stable et plus prospère sur le plan économique, l'Europe et le reste du monde devront faire leur part du travail. (...) Cela implique de ''simplement dire non'' au président Bush.»

Et de fait, à l'exception de l'année ayant suivi les attaques du 11 septembre 2001 (l'époque de la sympathie affichée à l'égard de l'Amérique), force est de constater que les puissants de ce monde ont souvent suivi le conseil de Stieglitz. Il suffit de jeter un œil aux articles de l'époque: «La France et l'Allemagne s'engagent dans une nouvelle bataille diplomatique en refusant les propositions américaines d'une nouvelle résolution des Nations Unies sur l'Iraq» ; «L'Arabie Saoudite refuse la requête de Bush, qui voulait la voir pomper plus de pétrole immédiatement pour faire baisser les prix records de l'essence» ; «L'OTAN refuse la requête de Bush, qui voulait la voir lever les restrictions relatives à l'emploi des troupes en Afghanistan» ; «La Russie refuse la requête de Washington, qui souhaitait la voir interrompre un contrat d'armement d'un milliard de dollars avec le Venezuela» ; «L'administration Bush est de moins en moins aimée ou crainte (et de plus en plus ignorée) dans la communauté internationale» -j'en passe, et des meilleurs.

L'effet Obama

Puis vint la nouvelle administration et son tant attendu «effet Obama», sensé charmer l'opinion publique internationale. Même avant l'élection de 2008, le «monde» préférait clairement Obama à McCain (trois fois plus de personnes interrogées en faveur d'Obama, selon un sondage Gallup). En juin 2009, une étude menée par le Program on International Policy Attitudes de l'Université du Maryland affirmait  qu'Obama avait «gagné la confiance d'un grand nombre de publics dans le monde; il inspire ainsi bien plus de confiance que tout autre leader politique». La cote de popularité du leadership américain a (toujours selon Gallup) augmenté dans 16 pays cette année.

Obama a un avantage de taille: il peut difficilement faire pire que son impopulaire prédécesseur. «Aux Etats-Unis, la popularité de Bush a coulé à pic; elle est aujourd'hui comparable à celle de Richard Nixon, peu avant sa démission. Et il est encore moins populaire à l'étranger», observe un rapport du Pew Research Center. Un bloggeur résume la situation de façon simpliste, mais concise: «Opinion arabe: Bush méchant, Obama gentil». Tout était donc réuni pour qu'Obama finisse par séduire le reste du monde, les alliés comme les adversaires. Mais comme nous le savons tous, rien ne s'est passé comme prévu... Les chefs d'Etat coutumiers du «non» ont gardé un œil sur la nouvelle administration pendant un temps, avant de reprendre leurs vieilles habitudes.

La Russie nous a mis des bâtons dans les roues pour empêcher l'adoption de sanctions plus sévères contre l'Iran; en Israël, Benjamin Netanyahou a refusé d'interrompre la colonisation; les Nord-Coréens ont refusé de parlementer à plusieurs reprises; au sommet de Copenhague, «l'accord que les Etats-Unis ont conclu avec le Brésil, la Chine, l'Inde et l'Afrique du Sud n'engage en rien les parties, ce qui l'empêchera sans doute d'atteindre ses objectifs affichés»; la main tendue aux Iraniens, sensée calmer leurs ambitions nucléaires, ne semble pas les avoir particulièrement conquis; Obama souhaitait également nouer un dialogue constructif avec les Cubains, mais ces derniers le jugent désormais le président «impérial et arrogant». Il n'a même pas réussi à convaincre Mahmoud Abbas, le très faible président de la Palestine, de renouer le dialogue avec Israël. Et la liste s'allonge de jour en jour...

Il va sans dire que chaque «non» peut (et doit) être expliqué séparément. Dans certains cas (l'Arabie Saoudite, Israël), le manque de préparation d'Obama était en cause. Dans d'autres (l'Iran), la naïveté et le manque d'expérience propre à tout nouveau président suffisent à expliquer l'échec. Les refus opposés par certains régimes (Cuba, Corée du Nord) n'ont rien de surprenant. Par ailleurs, les efforts diplomatiques d'Obama pourraient bien finir par payer dans quelques pays (Russie, Palestine).

Erreurs

Le président a commis beaucoup d'erreurs. Certaines étaient apparemment sans gravité -exemple: décider (à la dernière minute, et sans succès) de défendre personnellement la ville de Chicago face au comité olympique international. D'autres sont plus inquiétantes, comme cette rencontre désastreuse avec le roi Abdallah d'Arabie Saoudite: ce dernier s'est «lancé dans une tirade» expliquant son refus de tout «geste réciproque» entre son pays et Israël.

Et pourtant, ces impairs ne suffisent pas à expliquer ce retour aux méthodes des années Bush -le retour de cette mode qui veut que l'on dise «non» au président américain. Personne n'a été particulièrement tendre avec Obama, mais le problème ne s'arrête pas là. Les leaders mondiaux semblent prendre plaisir à le rabrouer, à le décevoir, et même, dans certains cas, à se moquer de lui. Le président français Nicolas Sarkozy aurait ainsi affirmé qu'Obama était un chef d'Etat «inexpérimenté et mal préparé».

Obama est toujours félicité et admiré, mais il devient de bon ton de douter de lui - voire même de le railler. Sa popularité ne faiblit certes pas en Europe, et il est toujours plus apprécié que son prédécesseur par les musulmans du monde entier. Mais rien n'y fait. Avant sa défaite à la présidentielle de 1828, un slogan peu flatteur avait fait le malheur du candidat Quincy Adams: «Adams sait écrire; Jackson, lui, sait combattre». De plus en plus de personnes semblent penser la même chose d'Obama...

Une popularité irritante

Obama sait écrire, et il sait parler -mais il lui faudra apprendre à combattre pour arriver à ses fins. S'il refuse de batailler, il ne fera peur à personne. Et de toute évidence, à ce jour, la popularité ne lui a pas vraiment rendu service, au contraire -on pourrait presque dire qu'elle l'a handicapé. Une popularité extrême, envahissante au point de devenir une source d'irritation; de distraction. Lorsqu'un journaliste a demandé à Sarkozy si Obama et lui était en «compétition», le Français a simplement répondu: «il n'y a pas de compétition». Mais il était de toute évidence fort agacé.

La popularité planétaire d'Obama irrite instinctivement tous les grands de ce monde. Aucun chef d'Etat n'aime qu'un politicien étranger soit plus aimé et plus respecté que lui. Et les problèmes du président américain prennent souvent leur source dans cette inimitié. Le fait d'avoir tenu tête à Obama a bénéficié à Netanyahou et Abbas. Cette audace nouvelle leur a valu à chacun l'admiration de son «peuple». Perturbé par l'approche conciliante d'Obama, le président Hugo Chávez a laissé entendre que le chef de l'Etat américain était le diable -sans il est vrai trop se soucier des conséquences. Les Iraniens font plus confiance au nouveau président des Etats-Unis qu'à l'ancien l'ayatollah Ali Khamenei affirme donc, en toute logique politique, qu'il ne voit aucune différence entre Obama et Bush...

Il faut bien voir la réalité en face: le fait de décevoir Obama n'a jamais nui aux chefs d'Etat qui s'y sont risqués. Le président est si aimable, si conciliant que personne ne redoute un éventuel retour de bâton de la Maison Blanche. Dire non à Bush était souvent un impératif politique, encouragé par la fureur du peuple (demandez donc à Tony Blair ce qu'il en pense); dire non à Obama, c'est à la mode, c'est presque cool -les petits dirigeants y voient une occasion de gagner quelques centimètres; une chance de rejoindre le club des rock stars iconoclastes.

Une autre image peut illustrer la situation diplomatique qui prévaut aujourd'hui. Imaginez: vous êtes au collège. Le garçon le plus populaire de la classe demande à une camarade de sortir avec lui. Imaginez qu'après une longue réflexion, la jeune fille décide de dire non. «Même toi, tu n'es pas assez bien pour moi...»

Shmuel Rosner

Traduit par Bérangère Viennot

Image de Une: Barack Obama pendant un discours à Kaneohe, Hawaï REUTERS/Hugh Gentry

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