La réforme du système de retraite «concernera tout le monde», aussi bien les salariés du privé que du public, a assuré Nicolas Sarkozy lors de son intervention télévisée lundi 25 janvier sur TF1. Le président de la République a dit vouloir agir «avant la fin de l'année». «Aujourd'hui, 10% des retraites ne sont pas financièrement assumées», a-t-il précisé. Le chef de l'Etat pose un certain nombre de jalons de sa future réforme. «Je garantirai la pérennité du régime de retraite. Je ne changerai pas la retraite par répartition», a-t-il déclaré, assurant qu'il n'était pas question de «diminuer la somme des pensions de retraites». Nicolas Sarkozy, qui veut «le consensus le plus large possible sur la question», souhaite d'ailleurs s'entretenir sur ce sujet avec Martine Aubry, la première secrétaire du Parti socialiste.
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Nicolas Sarkozy l'avait déjà rappelé à l'occasion de ses vœux: l'année 2010 sera celle de la réforme des retraites. Le rendez-vous était déjà pris. Sauf que l'exercice, toujours périlleux, l'est encore plus dans une période de sortie de crise quand les marges de manœuvre sont particulièrement limitées. «La crise actuelle, d'abord financière puis économique, est d'une rare intensité et pose de gros problèmes aux finances de retraite, qui s'ajoutent à ceux liés au vieillissement de la population», souligne le Conseil d'orientation des retraites (COR) à l'occasion d'un colloque sur les différents systèmes d'allocation dans les pays de l'OCDE.
Didier Blanchet, membre du COR et responsable des études économiques à l'Insee, a rappelé que la stagnation de la masse salariale deux années de suite à cause de la dépression économique a empêché toute évolution des recettes de la Cnav (Caisse nationale d'assurance vieillesse). «C'est du jamais vu», a-t-il souligné. Et alors qu'il était encore excédentaire en 2004, le solde de la Cnav aura été déficitaire de 8 milliards d'euros en 2009, et devrait être négatif de 10 milliards en 2010 et 12 milliards en 2012. La crise a placé un pétard sous les pieds des négociateurs. Ils devront, malgré tout avancer.
Plus de retraités, moins d'actifs
Personne ne peut contester qu'une remise à plat soit nécessaire. D'abord, parce que 14 millions de personnes sont aujourd'hui concernées en France. Et le vieillissement de la population (dû à l'arrivée à l'âge de la retraite des générations du baby-boom et à l'allongement de la durée de vie) va poser de nouveaux défis. On compte aujourd'hui environ quatre actifs pour un retraité, il n'y aura plus que deux actifs pour une personne de plus de 65 ans au milieu du siècle pour les pays de l'OCDE. En France, «le rapport entre le nombre de personnes de 60 ans et plus et le nombre de personnes de 20 à 59 ans passerait d'environ 40% actuellement à près de 55% en 2020 et 70% en 2050. La population active augmenterait jusqu'en 2015 puis serait quasiment stable», indiquait déjà le COR en 2007 en se référant à l'Insee.
12% du PIB, pour 85% des revenus des retraités
Ensuite, l'assurance vieillesse représente déjà quelque 250 milliards d'euros dans les dépenses publiques (plus que les 162 milliards d'euros de l'assurance maladie). Ce qui, d'après le COR, équivaut pour la France à 12,4% du Produit intérieur brut (en hausse de 1,8 point en seulement quinze ans). C'est une proportion bien supérieure à celles que l'on enregistre en Suède (7,7%) qui fait souvent référence en la matière, au Canada (4,1%), aux Etats-Unis (6%), au Royaume-Uni (5,7%), au Japon (8,7%) mais aussi en Allemagne (11,4%) ou en Espagne (8,1%); il n'y a guère que l'Italie où les retraites pèsent plus lourd (14%) dans les dépenses publiques. Compte tenu de cette comparaison, on comprend que la France dispose de peu d'élasticité pour réformer son système de retraite.
Enfin, 85% des revenus des personnes de plus de 65 ans proviennent de transferts publics. Là encore, la proportion est très élevée. Elle n'est que de 69% en Suède, 41% au Canada, 49% au Royaume-Uni, et au Japon, 70% en Espagne et 73% en Allemagne et en Italie. Ceci explique le caractère particulièrement sensible de tout réajustement des régimes publics en France. Pas question de réformer à la hussarde lorsqu'une si importante population dépend autant des transferts publics.
Renforcer le travail des seniors
Pour piloter le changement, le COR passe en revue les moyens à la disposition des gouvernements, déjà mis en œuvre et qui peuvent être réactivés. Il y a l'augmentation de la durée de cotisation nécessaire pour une retraite complète, mesure déjà utilisée par la France mais aussi par l'Espagne et la Belgique. Le relèvement de l'âge légal de la retraite pour une liquidation de l'intégralité des droits a été choisi aux Etats-Unis, en Italie, en Allemagne, au Royaume-Uni, au Japon... La refonte des barèmes de pension pour les rendre plus incitatifs à la prolongation de l'activité et la restriction des possibilités de départs anticipés (préretraite ou autres) sont d'autres dispositions possibles, mais la crise actuelle et ses effets sur l'emploi risquent fort de les rendre inappropriées au contexte social, note le COR.
Tout dépend de la situation de l'emploi des seniors dans les différents pays. Et la France, où les entreprises ont pris l'habitude de réduire la masse salariale à la hache en plaçant massivement leurs travailleurs âgés en préretraite, est lanterne rouge de l'OCDE. Le taux d'emploi des personnes de 55 à 64 ans était en 2008 de 38,2%, contre 53,8% en Allemagne, 62,1% aux Etats-Unis, 66,3% au Japon, 58,2% au Royaume-Uni, 70,3% en Suède et 45,6% en Espagne. Là encore, il n'y a guère que l'Italie (34,4%) qui soit plus mal placée. Le gouvernement a prévu pour 2010 des mesures contraignantes pour le maintien des seniors au travail. Mais les entreprises ont anticipé le mouvement en augmentant le nombre des départs en 2009. Les résultats prendront donc un peu de temps avant que ces mesures prennent leur plein effet. Toutefois, il existe de ce point de vue du grain à moudre pour relever l'âge de sortie du marché du travail en France, et alléger les charges de retraite de la Cnav.
Les risques de la capitalisation
Mais on pense surtout au développement des régimes de retraite par capitalisation, dont la crise a montré qu'ils pouvaient se révéler extrêmement dangereux. «Les fonds de pension ont vu la valeur de leurs investissements baisser de 23% en 2008», rappelle le COR. En Irlande, aux Etats-Unis et en Australie, les baisses ont été encore plus fortes. La France n'a pas été épargnée: le FRR (Fonds de réserve des retraites) qui doit abonder le régime de retraite à partir de 2020, a perdu 25% de sa valeur en 2008, d'après les résultats communiqués par la Caisse des dépôts. Aussi, par prudence, la part des actions, qui s'élevait à 60%, a été réduite à 45% alors que les obligations sont passées de 30% à 45%, dont 20% en obligations indexées sur l'inflation.
Pour autant, le COR ne bannit pas cette solution, dès l'instant où les fonds limitent leurs investissements en actions, par exemple à moins de 20% de leurs actifs. Les dispositifs facultatifs individuels venant en complément des systèmes par répartition ou par capitalisation publique, sont également encouragés. Dans leur objectif, ils se situent aux antipodes du principe de solidarité intergénérationnelle à la base du système par répartition. Mais ils sont déjà très largement répandus, à travers les assurances vie, les systèmes d'épargne retraite à sortie par capitalisation ou en rente. La question consiste à savoir dans quelle mesure les pouvoirs publics seront ou non incités à favoriser ces dispositifs individuels en les rendant plus ou moins attractifs, afin d'alléger les transferts publics.
Trimestres ou points?
Reste un débat qui va resurgir sur le calcul de la retraite: par annuités ou part points? En France, depuis la réforme Balladur, une carrière professionnelle s'établit en nombre de trimestres, qui détermine le taux de liquidation de la retraite (par exemple, 161 trimestres pour les personnes nées en 1949 et qui ont atteint 60 ans en 2009). L'hypothèse d'une retraite par points est régulièrement avancée. Elle existe déjà pour le calcul des retraites complémentaires Agirc et Arcco, la valeur du point étant réactualisée chaque année. Si la retraite de base devait à son tour être transformée en retraite par points, il ne s'agirait donc que d'une demi-réforme. Le débat est, en fait, technique. Tout dépend ensuite, au niveau politique, de l'utilisation de cette évolution. Ce sera l'objet de la négociation promise par le chef de l'Etat.
Gilles Bridier
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Image de Une: Flickr CC shoothead