Pendant que de l'autre côté du Rhin, le parti d'extrême droite Alternative für Deutschland pavoisait avec plus de 13% des voix et près de 90 députés au Bundestag, le FN a vécu, chose devenue rare, une soirée électorale des plus discrètes à l'occasion des sénatoriales.
Que le parti dirigé par Marine Le Pen n'ait pas réussi, après Stéphane Ravier et David Rachline en 2014, à faire entrer un troisième sénateur au Palais du Luxembourg n'est pas vraiment une surprise, même s'il jugeait il y a quelques jours qu'il serait «bien» d'y doubler son contingent. Dans les deux départements où il pouvait nourrir des ambitions, le Nord et le Pas-de-Calais, il arrive loin du compte puisqu'il lui manque près de la moitié des voix requises. L'analyse détaillée des résultats nous montre en revanche où en est la formation, qui sort d'un été éprouvant après la défaite de sa présidente au second tour de la présidentielle, et d'une semaine très agitée avec le départ de Florian Philippot et de ses fidèles.
Les sénatoriales sont traditionnellement un scrutin compliqué pour le FN, avec leur mode de scrutin indirect reposant sur un collège électoral composé pour 95% de représentants des conseils municipaux: malgré sa percée aux élections de 2014, le parti n'est représenté que dans environ 500 conseils de communes de plus de 1.000 habitants. Pour ratisser au-delà de son socle, il a adopté, depuis plusieurs élections déjà, une ligne de défense de la ruralité et de critique de la baisse des dotations de l'État: ses candidats se présentaient sous l'étiquette des «listes bleu marine pour la défense de nos communes et de nos départements».
Les percées improbables de 2014 ne se sont pas répétées
En début de soirée, dimanche, Marine Le Pen s'est félicitée auprès de l'AFP d'une «vraie progression en voix», que les candidats n'ont pas manqué de détailler dans les différents départements. Celle-ci est pourtant à nuancer fortement.
En 2014, avec un matelas d'environ 1.470 grands électeurs, le FN avait récolté plus de 3.950 voix aux sénatoriales. Cette année, avec une base de départ, selon notre décompte, d'environ 850 grands électeurs (lui revendique 700 élus grands électeurs, mais les grandes villes, dont certaines où il siège, désignent aussi des dizaines de grands électeurs en plus de leurs conseillers municipaux), le même taux de croissance lui aurait donné un peu moins de 2.300 voix: il est finalement resté scotché juste sous les 2.000 voix.
Quelques scores locaux sont significatifs. Le FN n'a pas réitéré sa performance de 2014, qui l'avait vu recueillir des scores substantiels dans des départements où il comptait à peine deux ou trois grands électeurs et qui ne figuraient pas parmi ses places fortes: il avait alors atteint 81 voix en Ille-et-Vilaine, 74 en Haute-Garonne, 90 dans le Calvados... Parmi ses percées les plus notables, on compte cette année l'Isère (122 voix) et la Seine-et-Marne (107 voix), mais, et le parti le souligne d'ailleurs, y concouraient «deux listes de rassemblement, conduites par des élus de droite mais présentées par le Front national».
Par ailleurs, alors que le FN a progressé à toutes les élections locales durant le dernier quinquennat, il fait moins bien qu'en 2011 dans six départements: l'Indre-et-Loire, le Loiret, la Manche, la Nièvre, la Seine-Saint-Denis et enfin Paris. Dans la capitale, où il compte aujourd'hui deux grands électeurs, les conseillers régionaux Wallerand de Saint-Just et Mathilde Androüet, il recueille cinq voix, une de moins qu'il y a six ans, et arrive en avant-dernière position, derrière le parti animaliste.
Enfin, à certains endroits, le cercle des élus s'est élargi, mais pas celui des sympathisants: dans le Nord, la liste FN a gagné près de 110 voix en six ans, mais le parti comptait 120 grands électeurs de plus; dans les Pyrénées-Orientales, elle a gagné 30 voix mais le parti y avait gagné 45 grands électeurs en arrivant au second tour aux municipales à Perpignan. Dans la Loire, le FN s'est félicité d'avoir augmenté son score d'un tiers (soit 16 voix) en six ans, mais il comptait 23 grands électeurs de plus...
En 2011, quand le FN avait recueilli autour de 1.250 voix avec moins de 70 grands électeurs après ses années de vaches maigres, Marine Le Pen avait salué «un événement politiquement très révélateur», estimant que ces résultats montraient «un fort enracinement du Front dans les territoires, compte tenu [d'un] faible nombre d'élus». Cette fois-ci, elle a insisté sur la progression du FN aux élections locales, soulignant en creux que l'effet «tache d'huile» sur les élus non encartés a un peu moins fonctionné: «Nous avons progressé grâce à nos bons scores aux différents scrutins. Tout ceci me renforce dans l’idée que l’implantation locale est une absolue priorité.»
Une question de calendrier et de dynamique
Plusieurs explications peuvent être avancées à ces résultats en demi-teinte. Le calendrier tout d'abord. La moitié du Sénat renouvelée ce dimanche soir était la plus défavorable au FN en termes de couleur politique: si l'on ne tient compte que de la France métropolitaine (le parti ne présentait pas de candidats outre-mer et à l'étranger), Marine Le Pen a réalisé 23% au premier tour de la présidentielle et 37% au second dans les départements renouvelés en 2014, contre moins de 20% au premier et moins de 32% au second dans les départements renouvelés cette année.
On peut aussi estimer que le parti ne bénéficiait pas d'une dynamique aussi favorable qu'en 2011, à la fin du quinquennat Sarkozy, ou en 2014, quand le pouvoir socialiste était miné par l'impopularité et la droite encore en pleine crise de succession après le psychodrame de l'affaire Bygmalion. Paradoxalement, l'éclatement de l'offre politique (le record de candidatures a été largement battu cette année) n'a peut-être pas non plus joué en sa faveur, en donnant davantage d'options aux électeurs non encartés: en 2014, le FN avait d'ailleurs emporté ses deux sièges dans des départements, les Bouches-du-Rhône et le Var, où l'UMP était plutôt moins divisée qu'ailleurs.
Enfin, reste l'impact, forcément difficile à quantifier, de l'affaire Philippot dans l'esprit des grands électeurs. En Moselle, terre où est élu l'ancien numéro deux du parti, le FN avait recueilli 87 voix avec une base de 5 grands électeurs en 2011; il en recueille désormais 110, mais disposait d'un matelas de 65 grands électeurs avec sa conquête de la mairie de Hayange et son entrée au conseil municipal de Metz. Une hausse où on aura donc du mal à voir un progrès fulgurant... Une des candidates de la liste, Amélie de la Rochère, jugeait ironiquement cette semaine que l'éviction de Philippot à quelques jours du scrutin était une «idée géniale» et dénonçait une «machine à perdre». Si le FN, avec zéro sortant, n'avait rien à perdre, il n'aura en tout cas pas enclenché la machine à gagner.