France

Islam: combattre l'enfermement des femmes

Temps de lecture : 8 min

Ne pas se tromper de combat. La burqa est seulement l'expression vestimentaire du purdah, (littéralement «rideau»), l'enfermement des femmes.

La mission parlementaire sur le voile intégral va préconiser une loi d'interdiction du port de la burqa dans «les services publics», y compris dans les transports. Cette interdiction vise les administrations, les hôpitaux, les écoles. Ce dispositif contraindra les personnes non seulement à montrer leur visage à l'entrée du service public mais aussi à conserver le visage découvert tout au long de leur présence au sein du service public.

La «conséquence de cette violation ne serait pas de nature pénale mais consisterait en un refus de délivrance du service demandé», souligne le rapport. Outre une résolution parlementaire (sans pouvoir contraignant) proclamant que «toute la France dit non au voile intégral» et demandant qu'il soit «prohibé sur le territoire de la République», ainsi qu'une vingtaine de «préconisations», la mission --dans la version quasi-définitive de son rapport qui sera remis mardi 26 janvier-- propose des dispositions législatives pour l'interdire dans les services publics.

Par un arrêt du 27 juin 2008, le Conseil d'état a validé un décret du gouvernement refusant la nationalité française à une dame de nationalité marocaine, recouverte de la burqa, non pas pour cette «simple» raison, mais parce que la soumission à son mari et son appartenance au mouvement salafiste qu'elle revendique ont montré une incompatibilité avec les valeurs de la république.

Le Conseil d'état n'est pas la seule autorité à s'être prononcée dans ce sens. La Halde, presque à la même époque (le 15 septembre 2008), a considéré qu'il n'est pas discriminatoire de refuser aux femmes portant la burqa l'accès aux cours de français, organisés pour favoriser l'intégration des immigrés, parce qu'elle a estimé que le port de la burqa pourrait poser des difficultés quant au respect du contrat d'accueil et d'intégration.

Après eux, en avril dernier, un bailleur privé refuse l'octroi d'un appartement à une famille dont l'épouse porte la burqa, en justifiant sa décision - sans qu'il y soit a priori obligé - par une incompatibilité entre la religion de l'épouse et «les valeurs essentielles de la communauté française et le principe de l'égalité des sexes».

Ainsi, même en l'absence de loi ad hoc, les français sont hostiles à la présence de la burqa en France. Pourquoi?

Instinctivement, par peur. La vision d'un être recouvert d'un tissu d'une seule pièce, uni et foncé, reflète, au mieux l'enfermement, au pire l'inexistence. Le grillage en tissu qui laisse imaginer qu'il y a bien un visage en dessous, nous fait penser inéluctablement aux barreaux d'une prison. D'une prison physique sans le moindre doute, mais surtout psychologique. En effet, la burqa, c'est l'expression vestimentaire du purdah, (littéralement «rideau»), pratique adoptée par les Musulmans au VIIéme siècle, lors de la conquête de la Perse, mais postérieurement à la naissance de l'Islam et après la disparition du prophète. Elle vise à empêcher les hommes de voir les femmes, et pour cela, réduit presque à néant la vie extérieure (et intérieure?) des femmes musulmanes. Un fumeur désirant sortir de son addiction exigerait-il la fermeture des bureaux de tabac? Aujourd'hui, le respect du purdah est l'apanage du mouvement intégriste salafiste. Le purdah est l'expression théorique de l'enfermement et la burqa n'en est que sa représentation physique.

Logiquement, ensuite. Parce que les arguments tendant à faire croire que les femmes musulmanes qui s'accoutrent de cet habit le font volontairement, ne convainquent plus personne. Il est très difficile de croire qu'une personne puisse consentir à renoncer à sa propre vie sous le contrôle et pour le bon vouloir d'une autre. Ou renonce à sa propre vie en raison du regard des hommes par conviction personnelle, religieuse ou pas. Mais c'est évidemment à l'autorité publique de rapporter la preuve que le choix fait par une personne ne l'a pas été de manière libre et éclairée, et non pas à ces dames de prouver la véracité de leur consentement. La charge de la preuve aurait pu être la difficulté. Et pourtant, elle ne l'est pas. Parce que le consentement, s'il est nécessaire à la validité de tout engagement, n'est pas toujours suffisant. Il faut aussi que l'engagement ne heurte pas l'ordre public.

Le Conseil d'état l'a rappelé dans l'affaire du «lancer de nains», en 1995, affaire dans laquelle la personne naine avait attaqué devant le Conseil d'état un arrêté pris en 1991 visant à interdire ce jeu pratiqué dans les boites de nuit, le lancer de nain. Le Conseil d'état avait alors condamné cette activité pour «atteinte à la dignité de la personne humaine», alors même que la personne naine était demanderesse, donc parfaitement d'accord pour se prêter au «jeu»! Au surplus, la décision de l'autorité suprême a été confirmée par le Comité des Droits de l'Homme des Nations Unies en 2002.

Intelligemment, enfin parce qu'il parait maintenant clair dans l'esprit de tous que la burqa ne représente pas l'Islam. S'attaquer au port de la burqa n'est pas s'attaquer à l'Islam. Les origines tardives de la burqa, sa mise en application relativement peu suivie (principalement par les Talibans en Afghanistan, et en Arabie Saoudite, même si son observance est un chouia moins catégorique), et l'extrémisme identitaire auquel sa pratique renvoie, expliquent que la majorité des Musulmans la renie, et font savoir que le Coran n'exige pas le port de cet habit. Si elle apparait encore comme un signe distinctif fondé sur l'Islam, c'est parce que le Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) a choisit, jusqu'à ces jours-ci, de ne pas condamner aussi fermement que nécessaire le port de la burqa, en se contentant de ne pas en cautionner l'application.

Mohammed Moussaoui, Président du CFCM, a pu notamment s'en exprimer face à Jacques Myard, lors d'un débat en juin: «Ces dames qui portent la burqa, pour nous, CFCM, nous considérons qu'elles ne sont pas dans le juste milieu. Mais [nous avons] comme principe fondamental de notre religion, [qu'il n'y ait] nulle contrainte dans la religion; on n'est pas en mesure non plus de contraindre une personne qui pense que sa façon de vivre sa religiosité ou sa spiritualité passe par ce type d'habit nous n'avons pas le droit de dire que vous êtes en dehors ou à l'écart de notre religion ».

Cette neutralité désespérante pendant toute la durée des débats nous montre que les représentants de l'Islam ne veulent pas de cette pratique, mais se comportent comme s'ils cherchaient à la protéger en l'apprivoisant. Ce n'est que le 23 décembre, que le patron du CFCM aurait assuré à Nicolas Sarkozy de soutenir la décision de la Commission parlementaire, malgré ses réticences sans cesse exprimées quant à la tenue même de ladite Commission ainsi qu'au projet de légiférer. Ce qui serait, bien entendu, la moindre des choses...Pourquoi attendre la décision de la Commission pour se positionner si la burqa n'est pas préconisée par l'Islam? Pourquoi laisser le soin à la Commission de décider de son sort si, comme le CFCM l'a soutenu, il ne s'agit que d'une question religieuse ? Ils ne voient pas que les français ne veulent pas attaquer l'Islam, mais ne peuvent que tomber dans une stigmatisation regrettable de cette religion face à une telle non prise de position. Ils ne voient pas que s'ils avaient agi autrement, s'ils avaient condamné la burqa aussi fermement que nécessaire au moment opportun, le gouvernement n'aurait peut être pas eu besoin d'envisager de légiférer. Le CFCM cherche à protéger une liberté publique, la liberté religieuse, - ce qui est d'abord le rôle de l'autorité publique - et oublie de remplir son obligation citoyenne d'assistance à personne en danger - combat dans lequel il aurait dû être en première ligne.

Que la burqa ne soit que l'expression du purdah, c'est-à-dire de l'enfermement des femmes, est une réalité. Que la burqa porte atteinte à la dignité humaine est juridiquement et humainement flagrant, consentement ou pas. Qu'il ne s'agisse pas d'un débat sur la liberté religieuse ne fait plus de doute, puisque l'on ne s'attaque pas à l'Islam, mais à un dérivé de religion, le salafisme, qui instrumentalise la liberté religieuse pour exister. Faut-il légiférer pour interdire? Non, le respect de la dignité humaine et la protection de l'ordre public existent déjà dans notre arsenal juridique, et suffisent. Faut-il légiférer pour prévenir? Certainement. Voter une loi serait un signal fort pour tous types d'extrémisme, ce serait dire, en France, on ne fait pas ce que l'on veut et la République est plus forte qu'on ne le croit. Et malheureusement, la position du CFCM nous conforte dans l'expression de ce besoin. Il est donc impératif que l'autorité des Musulmans de France surmonte ses contradictions et se prononce rapidement et sans équivoque contre le purdah.

Reste à trouver une sanction adéquate, qui n'enfermerait pas une seconde fois les femmes portant la burqa, mais dissuaderait les teneurs de purdah. Il s'agit d'un enjeu crucial parce qu'une sanction qui ne dissuaderait pas les maris exigeant de leurs épouses qu'elles portent la burqa, ni les épouses quand elles le font « volontairement », viderait évidemment la loi de son sens et ridiculiserait la République. Que pourrait-on envisager? Pas une peine de prison, bien entendu. Une privation de liberté, comme une limitation de la liberté d'aller et venir de la femme en burqa est aussi inenvisageable, parce que certainement anticonstitutionnelle. Une amende? De combien? Adressée à l'épouse, qui n'a aucune indépendance financière, ou bien au mari? Au mari, sur quel fondement juridique : ce n'est pas lui qui aurait violé directement la loi. Même en admettant cette hypothèse, qui subirait les conséquences d'un refus de paiement de sa part? Et dans le cas où il accepterait de payer pour sa femme, pourra-t-elle continuer à porter la burqa à condition de payer? Ou bien une privation de droits civiques? En s'adressant à l'épouse, cette sanction participerait de son enfermement. Le mari, si cette sanction devait s'adresser à lui, choisirait peut-être de se passer de ses droits civiques pour que sa femme se recouvre.

Encore une fois, cette apparente impasse (difficulté de sanctionner ne signifiant pas ouverture à l'impunité) nous prouve que tant que le combat contre le purdah n'est pas pleinement engagé, celui contre la burqa s'annoncera difficile. Il est grand temps qu'on commence à débattre, en France, du scandale de cet enfermement des femmes musulmanes qu'est le purdah, et que la lutte soit menée par le CFCM.

Jarod Barry, juriste, spécialiste du droit des femmes

Lire également: Mettre un peu de sagesse dans le débat sur la burqa, La burqa n'est pas une exigence coranique par Jean-François Copé et Jean Glavany: la burqa est antirépublicaine.

Image de Une: A Ronchin, dans le nord de la France, en août 2009. REUTERS

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