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Cet Américain a demandé les données que Trump lui a volées pour essayer de le manipuler

Temps de lecture : 5 min

David Carroll a contacté Cambridge Analytica, une entreprise spécialisée dans la recherche et l'analyse de données dont l'actionnaire majoritaire est Robert Mercer, un proche du président américain.

David Carroll. © Parsons School of Design.
David Carroll. © Parsons School of Design.

Le nom Cambridge Analytica ne vous dit peut-être rien mais il commence en tout cas à faire parler aux États-Unis. Normal, quand on sait cette entreprise se vante d'avoir récolté quelque 5.000 données sur plus de 230 millions d'Américains. Le but: cerner notre personnalité et notre profil psychologique en fonction de nos likes, et permettre ainsi à leurs clients d'adapter leur communication de manière précise, dans l'optique d'influencer nos votes.

Cambridge Analytica, que Slate avait déjà présentée, a notamment été utilisée par Ted Cruz durant les primaires républicaines américaines, par Donald Trump durant l'élection présidentielle, par les partisans du Brexit ou par Uhuru Kenyatta au Kenya, en attendant la présidentielle de 2018 au Mexique et les futurs scrutins en Malaisie.

Flippant: c'est ce qu'a pensé David Carroll lorsqu'il a appris l'existence de l'entreprise, alors qu'il faisait des recherches sur la protection de la vie privée et notamment des données personnelles.

Des démarches décourageantes

Suivant les conseils de Paul-Olivier Dehaye, cofondateur du site PersonalData.io, le professeur d'université a décidé de réclamer toutes les données que Cambridge Analytica avait récupérées sur sa personne.

«J'ai fait ma demande en février 2017. Ce n'est finalement pas compliqué: il s'agit simplement de remplir un formulaire en ligne.

Pour s'identifier, en revanche, ce fut plus complexe. Ils m'ont demandé mon permis de conduire, ma carte d'identité, une facture d'électricité et dix livres sterling. Pour moi, toutes ces démarches sont décourageantes, cela devrait être plus facile et gratuit.»

Un mois plus tard, le New-Yorkais reçoit finalement une lettre au nom de l'entreprise Cambridge Analytica. Dans ce courrier, on lui explique que ces données lui ont été aimablement communiquées en vertu du Data Protection Act, le texte de loi britannique sur la protection des données personnelles en vigueur depuis 1998. Mais pourquoi ne pas s'en référer à la législation américaine?

«Cambridge Analytica est basée aux États-Unis, mais SCL Group, sa maison-mère, est une entreprise britannique. La majorité des employés et le serveur sont en Grande-Bretagne. C'est la raison pour laquelle ils ont accepté de fournir les données. S'ils avaient été basés aux États-Unis, ils auraient pu nous ignorer et ne pas nous répondre», affirme-t-il.

«Pas les uniques données qu'ils détiennent»

Cette lettre est accompagnée de trois tableaux. Le premier compile de nombreuses infos récoltées par l'entreprise:

«Il y avait mon nom, mon adresse, mon genre, ma date de naissance, ma date d'inscription sur les listes électorales, le district, l'état dans lequel je vis... C'est très précis et les données sont tout à fait correctes.»

Le deuxième tableau répertorie, quant à lui, tous les scrutins qui se sont déroulés dans le district électoral où David Carroll était inscrit.

Enfin, le dernier fichier classe dix thèmes de campagne dans l'ordre croissant (de 1 à 10), selon les prédictions de la compagnie concernant David. Et apparemment, l'économie et l'emploi, la santé, le droit des armes et l'éducation sont ses sujets de prédilection.

«C'est quand même compliqué à évaluer. Quand tu regardes ce classement, c'est dur de comprendre comment ils l'ont créé.

Je crois surtout que ce ne sont pas les uniques données qu'ils détiennent, qu'ils en ont beaucoup plus mais qu'ils ne les divulguent pas. On se bat contre ça.

Leurs employés ont dit qu'ils avaient un nombre immense de données et quand tu vois ce qu'ils te montrent, c'est faible. J'aimerais par exemple avoir une liste des entreprises qui ont vendu toutes ces données.»

Cambridge Analytica a également déduit la probabilité plutôt grande qu'il avait de se déplacer pour aller voter et sa très faible inclination à glisser un billet républicain dans l'urne.

Pas besoin de vous faire un dessin pour savoir par qui l'entreprise était commanditée... Il convient, d'ailleurs, de rappeler que le principal actionnaire de Cambridge Analytica est le milliardaire Robert Mercer, grand soutien de Donald Trump et l'un des principaux actionnaires de Breitbart News.

«Saturer le mur Facebook de propagande»

Comment Cambridge Analytica pense-t-il pouvoir influencer notre vote? «En saturant nos murs Facebook de propagande sponsorisée sur les sujets qui jouent le plus sur notre sensibilité», assure David Carroll.

Alors que Mark Zukerberg vient de s'allier avec huit médias français pour essayer de traquer les fake news, le réseau social semble avoir une politique complètement schizophrénique.

Condamné par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) en mai dernier pour avoir collecté des données personnelles «à des fins de ciblage publicitaire», Facebook est accusé d'avoir aidé Donald Trump et son équipe de campagne à diffuser des messages ultraciblés via ses différents outils marketing. Et notamment des messages de désinformation.

C'est du moins ce que pense David Carroll:

«Facebook a fourni le meilleur service à Cambridge Analytica. Un des outils les plus importants est l'audience personnalisée, qui permet de cibler les gens à partir de leur seul nom. On est quasiment certain que Cambridge Analytica a utilisé les infos qu'elle a récoltées et qu'elle a directement ciblé les votants grâce à leur nom avec cette fonctionnalité.

Une fois que l'audience est chargée sur Facebook, ils peuvent également utiliser un autre outil: les audiences similaires, qui consistent à cibler de nouveaux contacts au profil proche de leurs “clients”.

Enfin, et c'est assez troublant, on pense qu'ils ont utilisé les dark posts Facebook. Ce sont des publications qui ne sont pas publiées sur les pages Facebook et qui ne sont visibles que par les personnes visées.»

Des techniques qui permettent d'adapter le message à chaque profil, pour toucher de manière la plus précise les électeurs susceptibles de changer d'avis.

«La plupart des gens ne veulent pas admettre qu'ils pourraient être influencés par la propagande. C'est une réaction naturelle, mais malheureusement la propagande fonctionne. Elle est d'ailleurs plus efficace si elle est ciselée et personnalisée.

On doit y penser, parce que la situation va aller en empirant. Il faut adopter une loi de protection des données aux États-Unis, car nous sommes aujourd'hui très vulnérables. Je suis jaloux de la réglementation européenne.»

En avril 2016, le Parlement européen a adopté le règlement général sur la protection des données, censé mieux protéger et informer les citoyens. Son entrée en vigueur est prévue pour le 25 mai 2018.

Dans le même temps, le Congrès américain à majorité républicaine votait un projet de résolution visant à abroger les règles adoptées avant l'élection de Donald Trump. Ce qui permettrait aux fournisseurs d'accès à Internet, en l'occurrence, de vendre les données de leurs abonnés à des fins publicitaires sans avoir à obtenir leur accord.

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