Culture

Les astuces de Cyril Hanouna pour sauver son audience

Temps de lecture : 8 min

Découpage subtil de l'émission, changement improvisé de conducteur, générique de fin repoussé... Cyril Hanouna ne recule devant rien pour gagner la bataille de l'access prime time contre Yann Barthès et son «Quotidien».

Le plateau de Touche pas à mon poste!, le 13 septembre 2017. Capture.
Le plateau de Touche pas à mon poste!, le 13 septembre 2017. Capture.

Il fallait regarder attentivement cet instant de «Touche pas à mon poste!» («TPMP»), jeudi 7 septembre. En plein direct, Cyril Hanouna, tête baissée, est absorbé quelques secondes par l’écran de son téléphone. SMS intempestif? Batterie faible? Coup de fil de son concurrent direct Yann Barthès? Rien de tout ça. La vedette du talk-show le plus célèbre de France a livré la clé quelques jours plus tôt, au micro de Sonia Devilliers sur France Inter: «J'ai toujours mon portable pendant l'émission. Je modifie des choses pendant le direct […]. Je peux modifier le conducteur, réduire une séquence, ou en inventer une autre dans le cas où ça plaît moins...» A qui? Aux téléspectateurs. En direct sur l'écran de son smartphone, «Baba» reçoit les chiffres de l'audience de son émission, minute par minute; il en guette les frémissements, et si les gens se font la malle, il improvise, ajuste si besoin le déroulement de l'émission.

Qu'il soit rivé à l'audience, est-ce vraiment surprenant? Malgré des changements éditoriaux (nouvelle formule, recrutement de Rokhaya Diallo, Pierre Ménès et Dominique Farrugia), les audiences de «TPMP» s'effilochent comme un vieux tapis usé par rapport à la saison précédente, entachée par les réprimandes du CSA et les scandales à répétition. Médiamétrie, maison-mère de toutes les mesures d'audience, a calculé que «TPMP» séduit en moyenne 1,2 million de téléspectateurs, soit 4,9% du total, depuis sa rentrée le 4 septembre. Soit plusieurs crans en-dessous de l'année précédente, où le chiffre culminait alors à 1,7 million.

Mais pas de quoi empêcher la chaîne C8 (groupe Canal+) de communiquer le 5 septembre sur le «succès» de son animateur vedette et de s'autoproclamer «5e chaîne nationale», derrière TF1, France 2, France 3 et M6... du moins pour ce qui concerne la «première partie» de l'émission. Et ce détail a toute son importance. «TPMP» est divisée en deux tranches: une de 19h10 à 19h40, la seconde de 19h55 à... 21h10 et des poussières. Deux tranches, deux mesures d'audience. Les fidèles lecteurs de Télé-Loisir le savent, cette seconde plage horaire est devenue un terrain d'affrontement avec «Quotidien», son émission concurrente sur TMC (groupe TF1). Laquelle embraye à 19h40 et supplante systématiquement les scores de «TPMP» depuis la rentrée (excepté les 7 et 14 septembre). De quoi imaginer de grosses déceptions chez Hanouna qui, jusqu'en février 2017, écrasait tous ses compétiteurs de la TNT.

Cette escalade de «Quotidien» entamée dès le printemps 2017 paraît inéluctable et donne l'occasion aux magazines TV de titrer sur les pires «batailles» entre TMC et un C8 désormais détrôné. Guerre ou pas, l'écart d'audience entre les deux rois du début de soirée («l'access», dans le jargon) est ultraserré: le 6 septembre, Barthès attirait 1.220.000 curieux, et Hanouna 1.061.000. La place du chef se joue à quelques dizaines de milliers de spectateurs. Et tout est bon, dès lors, pour grignoter des parts d'audience.

L'astuce qui change tout

Il y a d'ailleurs des techniques pour booster les chiffres. Hanouna le sait: la courbe d'audience, on ne fait pas que la regarder d'un oeil éteint. On l'infléchit. On la traficote. Le trublion du PAF tente depuis la rentrée de la doper artificiellement, grâce à une petite modification horaire qui change tout. Repassez-vous (ou passez-vous) l'émission du 11 septembre, par exemple: elle démarre avec la chronique de Camille Combal, le «19.55». C'est à peu près à cette même heure, 19h55, qu'est lancé le deuxième générique, donc la deuxième partie de «TPMP». L'an dernier, il était plutôt lancé vers 19h40. Ce que ça change? Eh bien, retarder le début, c'est aussi retarder la fin. Or, et c'est une constante télévisuelle bien connue, jusque 21h30, de plus en plus de téléspectateurs affluent devant leur écran. Et Médiamétrie ne commence à enregistrer l'audience qu'à partir du générique. Grâce à ce stratagème douteux mais habile, il décale la locomotive de C8 vers le pic d'audience de 21 heures, et grossit ses chiffres.

««TPMP» utilise cette astuce de pousser l'émission afin qu'elle finisse le plus tard possible, en priant pour que «Quotidien» termine, elle, le plus tôt possible. Plus l'heure du début avance, plus il y a de téléspectateurs, et plus ça gonfle la moyenne», fait remarquer le blogueur Le Zappeur fou, contacté par Slate.fr. «Comme l'émission est en direct, il n'est pas contraint de respecter les horaires donnés dans la presse télé», poursuit-il.

Fermer la boutique vers 21h15 a un autre avantage: les transferts d'audience. Le 12 septembre, «Quotidien» se terminait précisément à 20h58. A bien observer le sismographe de Médiamétrie, l'émission des fanzouzes rencontre justement un pic d'audience entre 20h58 et 21h10 (l'heure de fin de «TPMP»). Pendant ce temps, sur les autres chaînes: rien, sinon de la pub. Appel d'air chez Hanouna. Seule limite à ce stratagème, il suffit qu'un prime démarre vers 21h00 ce soir-là pour que l'audience se taille de C8.

La barre jaune représente une coupure de publicité.

Moins de pub, plus de téléspectateurs

Horaire de début, horaire de fin, les petits arrangements programmatiques ne s'arrêtent pas là. La pastille humoristique de Tom Villa, qui passait pile pendant le pic d'audience de 21 heures, a été remisée dans le «Before» (juste avant «TPMP»), car elle tractait peu d'audience. Autre stratagème, Hanouna a eu l'idée de faire démarrer le 2e générique de «TPMP», moment où Médiamétrie remet les compteur à zéro, juste après une coupure pub. Alors que «Quotidien» a deux coupures, «TPMP» «deuxième partie» n'en a plus qu'une. Pourquoi ça compte? Parce que la publicité fait fuir les téléspectateurs, qui zappent. Et l'audience baisse.

«Autre astuce un peu plus tordue, ajoute un connaisseur du petit écran, avoir mis Calvi sur Canal+, dans une émission d'actualité et de politique, avec l'objectif de prendre des téléspectateurs à «Quotidien» sans en prendre à «TPMP»». Prise de Canal+, l'ex-animateur de C dans l'air sert désormais du réchauffé sur la chaîne payante, en bavassant avec ses invités politiques entre 18h30 et 20h40. Sollicité, le groupe Canal+ n'a pas souhaité retourner nos appels pour confirmer cette stratégie.

À «Quotidien» en revanche, personne n'a trafiqué les horaires. «Hanouna change, nous on ne change pas», fait-on savoir du côté de TMC, tout en évoquant «quelques ajustements» mais une «formule très similaire à la saison précédente». Et diffusé en léger différé, «Quotidien» ne peut pas modifier ses horaires en direct, contrairement à son concurrent. Les responsables de la chaîne avaient su jouer la saison dernière sur la grille des programmes pour booster les audiences du talk show. En diffusant le 24 janvier, juste avant l'émission de Barthès, la retransmission de la finale du Mondial de handball, ce qui avait fait battre à l'émission tous ses records d'audience. Les compétitions sportives, qui charrient beaucoup de spectateurs, sont un levier d'audience très connu.

Les journalistes de «Quotidien» tablent aussi sur un teasing intense de leurs reportages du soir sur Twitter, où ils sont suractifs et postent les extraits de magnétos diffusés le soir même.

Un art de l'attente qui peut faire mouche. À sa manière, Cyril Hanouna s'y efforce aussi. Le 11 septembre au matin, l'animateur annonce dans l'émission Village médias sur Europe 1 qu'il va donner le soir même des informations sur le retour de Matthieu Delormeau, son ancien souffre-douleur qui s'est écarté de l'émission depuis un canular homophobe. Après Europe 1, Hanouna le tease sur Twitter, puis l'évoque encore dans le Before sur C8... tout ça pour n'en parler que 10 secondes juste avant la fin de l'émission.

Outre le tweeting inlassable du compte @«TPMP» pendant et avant l'émission, les tweets de Cyril Hanouna ont une force de frappe de 5,3 millions d'abonnés, autant que Libération et Le Figaro réunis. De quoi donner de l'amplitude à ses teasings effrénés. Teasing d'ailleurs pas toujours très recherché.

Mais pourquoi se donner autant de mal?

C'est après ces séances de gonflette que les chiffres d'audience sont communiqués le lendemain. Plutôt pudique, le groupe TF1 ne détient qu'un compte pro sur Twitter où il les dévoile chaque jour, quand «TPMP» les annonce très régulièrement sur les réseaux sociaux et en début d'émission. Sans que ce soit systématique, et cela tend à l'être de moins en moins, surtout depuis la perte de vitesse de la rentrée.

Cette raréfaction laisse songeur, surtout lorsque l'on voit Hanouna et sa bande passer de longues minutes à examiner les plus beaux scores des émissions de la veille, voire les jeter à la figure du spectateur, comme s'il s'agissait de chiffres de la bourse ou du loto. L'audience devient l'étalon de la réussite. Mais ce n'est pas «TPMP» qui l'a inventé...

«Ce qui est frappant dans ces émissions, c'est qu'on ne parle plus que d'audience, observe François Jost, professeur en sciences de l'information à l'université Sorbonne Nouvelle Paris III, et directeur de la revue Télévision. Que ce soit Thomas Joubert ou Jean-Marc Morandini avant, tous mettent en avant un chiffre pour dire si telle ou telle émission a marché.» Et qui est réellement intéressé par ces chiffres qui sont annoncés tous les jours? «Ces chiffres intéressent au premier chef les professionnels de la télé, parce que c'est sur ce point qu'ils sont eux-mêmes évalués dans les médias.» Quid du commun des mortels? «Je ne suis pas certain que les téléspectateurs en aient quelque chose à faire», glisse François Jost.

Alors qu'ils étaient jusque dans les années 1980 auscultés par les sondeurs pour tenir compte des leurs comportements, goûts et opinions, «l'ensemble flou des téléspectateurs s'est trouvé filtré, raréfié, jusqu'à venir se réfugier dans un chiffre unique qui n'est pas sans évoquer les souvenirs des notes qui sanctionnaient les performances scolaires», écrivait en 2000, dans la revue Réseaux, le directeur de recherches du CNRS Daniel Dayan. Ces chiffres sont sortis des bureaux calfeutrés des producteurs et des patrons de chaîne, et sont devenus des enjeux autour desquels communiquer. «Ces annonces sont de l’auto-persuasion [des producteurs] et de la communication dirigée vers les annonceurs publicitaires», assure Le Zappeur fou. Indicateurs de performance, les parts d'audience sont aussi part de marché. Mais elles peuvent aussi s'approcher «de résultats de matchs de foot» pour le grand public, note le blogueur.

Pourtant, «il y a très peu de lien entre les audiences et la satisfaction des spectateurs», fait remarquer François Jost. «En 2016, TF1 faisait 99 des 100 meilleures audiences de l'année. Or, si vous regardez l'indice de satisfaction des spectateurs, QualiTV, c'est France Télévision qui avait 15 programmes sur les 20 jugés les plus satisfaisants...» Les documentaires animaliers ont beau moins glaner d'auditeurs que les matchs de football, ses spectateurs se disent davantage satisfaits du contenus. L'audience-reine a pourtant droit de vie et de la mort sur les émissions (le show pour enfants SuperKids a été annulé sur M6 en 2016 faute d'audience) et même les carrières des chroniqueurs (Anne Roumanoff virée d'Europe 1 en juillet pour la même raison). François Jost interroge: «A force de ne parler que d'audience, on oublie les autres retombées: est-ce que l'émission était intéressante? Les gens ont-ils aimé?» Mais peut-on encore poser ces questions en 2017?

Correction: une première version du début du papier indiquait vendredi 8 et non jeudi 7. Vendredi 8, Hanouna n'était pas à l'antenne.

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