Taxe carbone, la méthode Sarkozy censurée

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Quand une loi comporte tant d'exceptions... on peut parler d'une loi d'affichage.

L'affichage législatif est, plus que le rythme effréné des réformes, l'une des caractéristiques du Sarkozysme. Les lois ne sont pas ce qu'elles annoncent. Pour justifier de la réalité de sa conversion à l'écologie, pour prouver à l'opinion que la «croissance verte» est la nouvelle matrice de la politique économique du gouvernement, le Président a brandi la taxe carbone et n'a pas hésité à la qualifier de «révolutionnaire». Il l'a accompagné des inévitables «c'est du jamais vu», «personne n'avait fait ça avant»... de l'inédit, du courageux, du moderne, du novateur... Mais la loi, déjà très allégée (17 Euros par tonnes de Co2 au lieu des 32 euros envisagés au début de la discution) était en plus truffée d'exceptions. Plus de 50% du carbone émis en France n'était tout simplement pas taxé!

Pour le Conseil Constitutionnel, il y avait une «rupture d'égalité devant l'impôt», parce que trop de catégories socioprofessionnelles étaient exemptées de cette taxe. Les professionnels de la route, les agriculteurs, les pêcheurs, plusieurs types d'industries... Selon les juges constitutionnels, la taxe carbone «contrevient à l'esprit de la Constitution qui veut que tout le monde soit égal devant la Loi». Un gruyère dans lequel il y a plus de trous que de gruyère...

L'obsession, bien compréhensible, quand on a basé sa campagne présidentielle sur la réforme, le volontarisme et le retour du politique, l'obsession c'est de prouver que l'on... réforme. Nicolas Sarkozy est prisonnier de cette obsession et c'est par l'affichage de la réforme plus que par la reforme elle-même qu'il cache son impuissance ou son manque de courage.

Les réformes Sarkozyiennes n'ont bien souvent que peu de rapport, sinon l'intitulé, avec les promesses de ruptures, de révolutions coperniciennes, faites par le candidat Sarkozy. Prenons deux autres exemples de lois emblématiques et sans cesse brandies par les zélateurs du président comme des preuves de son incroyable capacité réformatrice: la réforme des régimes spéciaux des retraites et l'instauration du service minimum lors des grèves dans les transports publics.

Pierre Cahuc, professeur à Polytechnique et membre du Conseil d'analyse économique, et André Zylberberg, directeur de recherche au CNRS, ont écrit un livre publié au printemps 2009 intitulé Les réformes ratées du Président Sarkozy (Flammarion). Ces deux économistes qui ne sont pas de dangereux gauchistes, détaillent par le menu, différentes lois pour conclure que dans la plupart des cas, le Président a cédé sur tout un tas de détails pour garder la structure de la loi. Le cas le plus emblématique est celui des régimes spéciaux de retraite dans les entreprises publiques.

Cette loi était censée mettre fin aux avantages acquis pour les retraités de la SNCF, de la RATP, d'EDF et de GDF particulièrement onéreux pour la collectivité. L'alignement de leur régime de retraite sur le régime général a bien été obtenu après un conflit social retentissant. Nicolas Sarkozy croyait tenir là son brevet de réformateur. Si alignement il y a bien eu sur le régime général, il y a eu, en parallèle, l'acceptation de dispositions qui permettent d'ajouter des primes dans les rémunérations qui servent de bases au calcul des retraites.

Le sénateur Dominique Leclerc (UMP, Centre) qui fut le rapporteur au Sénat du projet de loi de finance pour la Sécurité sociale de 2008 s'était inquiété des suites de la négociation, qui risquaient de conduire à la création d'une nouvelle forme déguisée de préretraite. Pierre Cahuc et André Zylberberg remarquent avec étonnement que rien n'est fait pour évaluer l'impact économique de cette mesure et des larges compensations qu'il a fallu accorder pour pouvoir l'afficher. «On aurait pu s'attendre à ce que les techniciens de Bercy évaluent précisément l'impact de la réforme sur les finances publiques(...) Il n'en est rien.» les deux économistes poursuivent: «nous avons cherché à obtenir ces informations auprès des services compétents et nous avons eu l'impression de nous heurter à un véritable secret d'Etat, si bien que nous doutons, au moment où nous écrivons ces lignes, que cette évaluation existe». Cahuc et Zylberberg faisaient ce constat à l'hiver 2008. Leurs doutes ne sont pas levés en ce début 2010!

Deuxième exemple parmi tant d'autres, le «service minimum». A l'été 2007, Xavier Bertrand fait semblant d'appliquer l'une des promesses phares du candidat Sarkozy. Pendant la campagne, les discours de Nicolas Sarkozy étaient sans fioritures sur la question de la grève dans les transports publics. Les Français ne devaient plus être «pris en otages» par les syndicats de la SNCF ou de la RATP. La cause était entendue: le nouveau gouvernement allait mettre en place une forme de réquisition des trains et métros aux heures de pointes le matin et en fin de journée, ce que juridiquement l'on appelle un «service minimum». Les responsables de l'UMP l'avaient expliqué avec de mâles accents. Mais la loi de l'été 2007 est à cent lieues de cette révolution. C'est une loi qui n'oblige aucun gréviste à faire rouler un train ou un métro s'il est en grève. Il ne pouvait, de toute façon pas en être autrement puisque la réquisition de grévistes dans les transports aurait été inconstitutionnelle. Il n'y a donc techniquement et juridiquement aucun «service minimum».

La loi de Xavier Bertrand n'est rien d'autre qu'une loi de prévention des conflits, un système d'alerte sociale qui enjoint les partenaires sociaux à négocier à l'approche d'une grève, les futurs grévistes à se déclarer 48 heures avant pour que le service soit mieux organisé, et enfin que la reconduction éventuelle de la grève soit votée de façon plus démocratique. Le texte généralise des règles déjà en vigueur dans certaines entreprises de transports publics. La loi rend aussi, il est vrai, plus compliqué le paiement négocié des jours de grève. La «loi Bertrand» n'est pas officiellement intitulée loi de «service minimum», elle est inscrite au journal officiel sous le doux nom de «loi sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports»... Pourtant, dans la majorité, on a bien coché une case intitulée «service minimum» dans la liste des promesses tenues. Ce qui devait arriver arriva, la vérité éclate au grand jour ce 9 novembre 2009 où les Franciliens découvrent que sur deux lignes du RER en grève, il n'y a qu'un train sur dix de disponible.

L'affichage est efficace pendant un temps relativement court. Les saisons et les intempéries passent et immanquablement l'affiche se décolle, ses couleurs pâlissent comme celles des vielles pub «du bon, du bo, Dubonnet qui laissent apparaitre le mur sous la peinture écaillée. Une politique d'affichage ne peut pas tenir le temps d'un quinquennat... Et puis comme disait William James, le philosophe américain: «le mot chien ne mord pas».

Thomas Legrand

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Image de Une: Une usine de ciment en Chine Reuters

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