Au moment de l'élection de Donald Trump, en novembre dernier, une série de tweets très populaires montrait la succession des présidents des États-Unis sous cette forme: 43 émoticônes blancs, un noir, et enfin un en forme de clown ou de démon. Derrière le clown, l'essayiste Ta-Nehisi Coates nous invite pourtant à voir le visage blanc, et même plus blanc que les autres, de Trump dans un long article publié par The Atlantic, extrait de son prochain livre We Were Eight Years In Power. Son titre est tout simple: «Le premier président blanc».
Selon lui, le milliardaire a rendu explicite «le pouvoir passif de la blanchitude» sur lequel se sont appuyés les présidents qui se sont succédés au pouvoir entre 1789 et 2009, avant Barack Obama: «Alors que ses prédécesseurs portaient leur couleur de peau comme un talisman ancestral, Trump a ouvertement brandi cette amulette étincelante, libérant son énergie surnaturelle.» S'il est le premier président blanc, c'est parce qu'il a été explicitement élu en réaction à une présidence noire, «avec sa réforme noire de la santé, son accord noir sur le climat, sa réforme noire de la justice».
«On dit souvent que Trump n'a pas de vraie idéologie, ce qui est faux, ajoute Coates. Son idéologie est celle de la suprématie blanche, dans toute son acception agressive et moralisatrice.» Certes, tempère-t-il, «il est évident que tous les électeurs de Trump ne sont pas des suprémacistes blancs. [...] Mais tous ont estimé acceptable de confier à un suprémaciste blanc le destin du pays».
L'essayiste déroule le «CV» de son objet d'étude: son refus, en tant que promoteur immobilier, de louer à des locataires noirs; son plaidoyer pour que la peine de mort soit rétablie dans l'affaire des «Central Park Five» (quatre Noirs et un Hispanique condamnés à tort dans une affaire de viol et d'agression en 1989); son combat pour faire reconnaître la théorie farfelue selon laquelle Barack Obama n'était pas né à Hawaii mais au Kenya, et n'était donc pas éligible à la présidence; ses attaques envers les «violeurs» mexicains... «L'objet de la suprématie blanche est de s'assurer que ce que les autres vont réussir à travers un effort maximal, les blancs (et particulièrement les hommes blancs) le réussiront avec un mérite minimal, écrit Coates. Barack Obama a livré aux noirs la sagesse vénérable selon laquelle tout était possible s'ils travaillaient deux fois plus dur que les blancs. La réplique de Trump est convaincante: travaillez deux fois moins dur que les noirs, et encore davantage sera possible.»
Dans ce texte, Coates ne combat pas seulement Trump, mais aussi tous ceux qui estiment, y compris du côté démocrate, que la première cause de sa victoire est l'échec des politiques à répondre à un sentiment d'«anxiété» économique de la classe populaire blanche, ou les dérives des politiques «identitaires» des démocrates. Pour lui, Trump a justement gagné sur une politique identitaire, qu'il qualifie de fantasme de «l'esclavage blanc»: comme les noirs, les blancs des classes populaires auraient, depuis le XIXe siècle, été exploités, non par des maîtres mais par des patrons, à la différence près que eux ne se seraient pas révoltés ou n'auraient pas provoqué une guerre.
Coates a d'ailleurs répété ses critiques envers l'ensemble des dirigeants démocrates dans une interview à la NPR:
«Je pense qu'il y a un consensus assez large au sein du parti démocrate, de la part de gens au centre comme Obama et Clinton comme de ceux qui sont plus à gauche comme Bernie Sanders, pour dire que le vrai problème, c'est l'économie –qu'il n'existe pas un genre de bastion raciste à identifier au sein de la classe ouvrière blanche.»
Lauréat en 2015 du National Book Award pour son livre Between the World and Me, écrit sous la forme d'une adresse à son fils, Ta-Nehisi Coates voit, en cette rentrée 2017, un de ses précédents ouvrages, The Case for Reparations, qui traite du legs de l'esclavage, traduit en français sous le titre Le procès de l'Amérique aux éditions Autrement. L'ouvrage fait l'objet d'une préface de l'ancienne ministre de la Justice Christiane Taubira.