De toute évidence, notre président ne supporte pas l'Ouzo, cet alcool grec au goût anisé qui rend fou d'ivresse celui qui se risque à le boire. Comment expliquer autrement sa sortie inopinée de ce vendredi 8 septembre, quand d'Athènes, s'exprimant devant la communauté française, il a tenu à rappeler qu'il ne céderait rien «ni aux fainéants, ni aux cyniques, ni aux extrêmes».
Ah.
Moi qui suis parfois exagérément cynique et en toutes occasions immensément fainéant, je me suis senti visé. Qu'est-ce donc que cette attaque en règle de la fainéantise, de cette divine paresse dont, depuis mon plus jeune âge, j'abuse tant et plus que le mot même de travail me donne des envies d'aller me recoucher aussi sec?
À mes yeux, le droit à la fainéantise devait être inscrit dans la constitution: «Tout homme a le droit de paresser autant qu'il le souhaite dans le parfait respect des droits octroyés à chacun». Au fronton des mairies devrait être inscrite la devise suivante: «Liberté, égalité, fainéantise». Sur chaque billet de banque, le portrait d'un chat tout ensommeillé concentré à calculer la longueur de ses moustaches.
L'aliénation d'un travail
Dès le plus jeune âge, à la maternelle, à l'école primaire, au collège, tout au long de la scolarité, on devrait apprendre à nos cadets comment s'entraîner à paresser, disserter à longueur de copies sur les bienfaits de la fainéantise, cette qualité essentielle qui permet à l'homme de refuser de prendre comme acquis que toute vie doit nécessairement s'accomplir dans l'asservissement et l'aliénation d'un travail.
Quiconque a besoin de travailler pour se sentir exister est dans l'erreur. Le travail est toujours l'apanage des faibles. L'homme qui s'oublie trop dans le travail, qui travaille jusqu'à pas d'heure, qui travaille à en perdre la santé, est un homme qui a renoncé à vivre. Seul celui qui est capable de rester des heures entières affalé sur un canapé occupé à ne rien faire mérite d'être appelé homme. Les autres, les acharnés hystériques du travail, sont des faussaires.
Travailler, c'est renoncer d'une certaine manière à être. C'est admettre que cette vie nous dépasse et que devant l'effroi qu'elle suscite, mieux vaut passer ses journées à s'éreinter le dos qu'à l'affronter dans un face-à-face sanglant d'où il ne sortira rien de bon, si ce n'est une migraine métaphysique à même de nous rendre l'idée de suicide sympathique.
On s'abrutit à travailler. On travaille pour s'abrutir. Il n'y à rien de glorieux dans l'idée de travail. Rien. Seul le paresseux, le fainéant connaît son poids de solitude. Lui seul parle aux Dieux. Le fainéant est poète. Le fainéant est humble. Le fainéant est contemplatif. Comme vivre le fatigue, il préfère bavarder avec des oiseaux qu'avec un collègue de travail. Je ne travaille pas donc je suis.
Hors du monde
Dieu lui-même n'est-il pas le roi des fainéants? À voir comment nous sommes imparfaits et faibles, on est légitime à se demander s'il ne nous aurait pas créés à la va-vite, entre deux siestes, dans cet à-peu-près propre au paresseux jamais plus à son aise que quand il s'agit de bâcler un travail qui l'intéresse peu ou pas.
Quand on travaille, on est hors du monde. On n'existe pas vraiment. On est juste un instrument qui permet à autrui de s'enrichir à nos propres dépends. Une simple donnée statistique qui permet à une entreprise d'engranger des profits. D'ailleurs, pour dire à quel point notre travail est valorisant, sitôt qu'on le quitte, un illustre inconnu prend votre place au pied levé, sans rencontrer aucune difficulté.
Le travail à l'ère industrielle est le plus puissant des narcotiques. Quand on arrête d'y consacrer tout ton temps, on ressent comme un vide intolérable. On dépérit. On s'ennuie à s'en fendre l'âme de désespoir. On tourne en rond. On boit de l'Ouzo à outrance. Et puis on meurt dans l'indifférence générale.
Finalement, n'en déplaise à notre nouveau président, on devrait tous prendre notre retraite le jour de notre naissance!