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Gabar, l'ex-légionnaire parti combattre les «salopards» de Daech

Temps de lecture : 9 min

Ce Français est parti combattre aux côtés des Kurdes de Syrie pour «tuer un maximum de ces salopards de Daech». Il raconte.

Un membre des YPG à Raqqa en Syrie, le 28 juillet 2017 | Delil souleiman / AFP
Un membre des YPG à Raqqa en Syrie, le 28 juillet 2017 | Delil souleiman / AFP
MISE À JOUR 22/09/2017: Selon nos informations, Gabar aurait été tué au combat le 7 septembre dernier, à Raqqa, quatre jours avant la publication de cet article. Contacté, le ministère des Affaires étrangères nous a affirmé «ne pas être en mesure de confirmer ni d’infirmer ce type d’information».

«Gabar est bien arrivé au Rojava. Il est parti rejoindre les YPG (Unités kurdes de protection du Peuple) qui sont encore à Raqqa», m’a-t-on fait savoir le 23 août dernier. Un mois auparavant, dans un restaurant kurde, au cœur de l’été parisien, j’avais rencontré cet ancien légionnaire de 45 ans, auquel les Kurdes ont donné le nom de guerre de Gabar, qui s’apprêtait en effet à repartir pour le nord de la Syrie.

Le bras droit orné d’un tatouage comme les légionnaires les apprécient, il avait posé un couteau en évidence sur la table, à quelques centimètres de sa main: «Vieux réflexe, dit-il, derrière il y a un type qui nous écoute, on ne sait jamais, je ne veux pas être pris au dépourvu». De ses quinze ans à la légion étrangère, Gabar refusera cependant de parler: «Ne me demandez pas, je ne vous dirai rien».

Venger les jeunes du Bataclan

Son premier «séjour» au Rojava remonte à début 2016. «Je ne connaissais rien du tout aux Kurdes et pour dire la vérité je m’en fichais un peu, je ne voulais rien d’autre que tuer du Daech.» Le «déclic» s’appelle «Bataclan», le 13 novembre 2015, lorsque 130 personnes venues écouter Eagles of Death Metal sont massacrées à Paris par un groupe de l’Organisation de l’État islamique (OEI).

«Ça m’a mis hors de moi. D’abord parce que j’ai un fils de 22 ans et qu’il aurait pu être au Bataclan et puis parce qu’on a attaqué mon pays d’une manière sauvage et lâche. Les gens qui ont fait ça n’ont pas à vivre» raconte Gabar qui se définit comme «patriote.»

Sur internet, Gabar se met à la recherche de «groupes français pour aller combattre»: il y a par exemple la «Task Force Lafayette», composée d’ex-soldats français engagés aux côtés des peshmergas, les soldats de l’armée kurde irakienne, face aux djihadistes de l’OEI.

Entraînement militaire et éducation politique

Après plusieurs déconvenues, son départ est finalement fixé au 5 janvier 2016. Direction Suleymanié, en Irak du nord. Il y retrouve Cheenook, un ancien képi blanc comme lui. «Il devait y avoir d’autres légionnaires avec nous mais, au moment d’agir, plus personne comme par hasard». Deux peshmergas les aident à franchir les postes avec la Syrie: «On était habillés comme eux. J’avais apporté trois sacs de matos de 11, 14 et 18 kilos chacun».

De l’autre côté, une voiture les attend. Direction l’Académie des volontaires à une cinquantaine de kilomètres de Qamichli, dans la montagne du Djezireh.

«Une quinzaine d’hommes: des Anglais, des Américains, des Australiens, deux Français aussi, la plupart venaient pour soutenir la cause du Kurdistan, d’autres étaient très politisés, j’étais le seul qui voulait vraiment tuer du Daech.»

Les étrangers venus pour combattre doivent s’engager à rester au moins six mois au Rojava, histoire d’éviter les «zozos qui jouent les touristes pour un selfie aux côtés de combattants kurdes». C’est à l’Académie des volontaires que leur sont théoriquement enseignés des rudiments de kurde et les notions de base pour se battre. L’entraînement physique est rude («cure d’amaigrissement radicale: une dizaine de kilos en moins!»). Et puis il y aussi les cours de «confédéralisme démocratique», le projet politique spécifique des Kurdes syriens du Parti de l’Union démocratique (PYD) et de leurs frères turcs du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).

Mais Gabar refuse tout net de suivre des leçons d’éducation politique: «Quand ils ont commencé à me parler d’idéologie, je leur ai tout de suite dit stop. Je suis pas là pour ça mais pour me battre contre Daech, j’ai la rage, je veux venger ces jeunes qui ont été tués alors qu’ils faisaient la fête.»

Femmes et hommes séparés

Intégré dans un tabour (l’équivalent de nos sections), il n’est pas tout de suite envoyé au front. Une attente qu’il qualifie d’«insupportable» mais qui lui permet de mieux comprendre le fonctionnement particulier de cette micro-société des Unités de protection du peuple (YPG) où les hommes et les femmes se battent côte à côte tout en vivant séparément. «On n’avait pas le droit d’être mélangé avec les femmes –et pourtant y en a de sacrément belles et attirantes». Interdit le débardeur marcel qui laisse voir le tatouage: «On devait porter des chemises pour cacher nos bras.»

Il vit «à la kurde»:

«Toute la logistique est assurée, la bouffe est faite, nos vêtements fournis et lavés. Ici les gens ont donné leur vie au Parti, ils sont loin de tout, et ne voient plus leur famille.»

Lui est autorisé en revanche à aller en ville de temps en temps pour se connecter à internet et acheter «des bonbons et du café aussi» grâce aux 100 euros d’argent de poche qu’il reçoit. Il grille cigarette sur cigarette, mais l’attente finit par lui «tape[r] sur le système. Et puis Daech nous a bombardés, j’allais enfin servir à quelque chose», se souvient-il.

Le sens du martyr

Lors de la prise de la ville d’Al-Chaddadeh, Gabar découvre alors une guerre dont il n’a pas l’habitude: «le tir à la libanaise avec les kalach[1], c’est pas mon truc. Mais ces Kurdes ont vu plus de choses que moi, qui ai 15 ans de Légion. Ce sont de sacrés combattants, souvent d’origine paysanne, très courageux».

Avec mention particulière pour les femmes: «Les meilleures, elles sont plus guerrières, plus féroces que nous. Elles ne se laissent pas capturer quitte à se tirer une balle dans la tête», précise-t-il, ayant également anticipé le cas où il tomberait dans les mains des djihadistes salafistes: «J’avais une grenade sur moi, prêt à la dégoupiller, je ne voulais pas que mon fils me voie me faire égorger par Daech.»

Il y a quelque chose en revanche qui tracasse l’ancien légionnaire: c’est le nombre des Şehîdên (martyrs morts au combat). Trop nombreux, dit-il, bien trop nombreux.

«J’ai essayé de leur apprendre le close-combat, le self-defense, le corps à corps, mais ils ne suivaient pas. Donc je me suis d’abord demandé s’ils avaient vraiment confiance en moi. Et puis, j’ai compris qu’en fait beaucoup d’entre eux combattent avec l’idée de mourir. Ils ont le culte du martyr.»

La terrible bataille de Manbij

S’imposant à son officier qui cherchait à le tenir éloigné de la première ligne «pour [le] protéger», Gabar participe à la longue et sanglante bataille de Manbij qui a lieu de la mi-mai à la mi-août 2016 afin de libérer la ville de l’emprise de l’OEI. Les auteurs des attentats du 13 novembre 2015 à Paris étaient d’ailleurs passés par Manbij.

Uniques alliées au sol de la coalition internationale, les Forces démocratiques syriennes (FDS), une alliance d’arabes sunnites et de chrétiens assyriens dominée par les Kurdes du YPG, essuient d’énormes pertes, quelques 300 combattants tués au total: «C’est le pire moment de ma période de combat, à cause des snipers. Il y a d’excellents tireurs d’élite chez Daech, ce qui n’est pas le cas chez les Kurdes» lesquels, rappelle-t-il, se «battent aussi parce que nous ne sommes pas prêts à envoyer des hommes au sol alors que nous avons, nous, des tireurs d’élite qui seraient sans doute très efficaces».

Un jour cependant, Gabar surprend des militaires français parler à quelques mètres de lui. «Ils n'avaient pas réalisé que je comprenais ce qu'ils disaient, et ils ont été plutôt étonnés de me voir là», se souvient-il sans plus donner de détails. Ces militaires étaient probablement des membres du Commandement des opérations spéciales (COS) envoyés par Paris, non pas en première ligne pour se battre, mais afin d’assurer le contact avec les YPG et assister les frappes de l'aviation française sur la Syrie.

Le gouvernement islamo-nationaliste turc dénonce le soutien militaire (armes, renseignements) apporté par ses alliés, américains et occidentaux, aux YPG syriens contre Daech car cela renforce du même coup leurs cousins turcs du PKK en guerre contre Ankara depuis 1984. Des drones armés turcs survolent régulièrement les campements kurdes, comme a pu le voir Gabar.

En août 2016, l’ancien légionnaire n’aura pas la satisfaction d’entrer dans Manbij libérée. Au cours d’une opération pour déloger les hommes de Daech d’une bourgade proche, une balle lui effleure le cou et l’autre traverse son pied. Il continue à combattre mais doit bien vite retourner à l’arrière, «plusieurs heures de route à dos d’homme». Il est ensuite conduit à l’hôpital de Kobane qui «manque de tout» et où il est «opéré et recousu sans anesthésie». S’il veut éviter l’amputation, il lui faut retourner au plus vite en France. Avant de repasser la frontière syro-irakienne, Gabar a «informé de [sa] venue le consulat de France à Erbil» qui l’avertit qu’il sera sans doute arrêté par les autorités du Kurdistan irakien.

«Je me suis retrouvé dans la prison d’Erbil, nous étions 70 dans une même cellule dont des combattants de Daech. Si les Kurdes ne m’avaient pas protégé en faisant corps autour de moi, les djihadistes qui étaient là m’auraient tué.» Gabar est libéré au bout de trois jours, selon lui «grâce au consulat». Mais il est interdit de séjour au Kurdistan irakien pour un an. Réceptionné par la police de l’air et des frontières à Paris, il se rend «de lui-même à la DGSI pour témoigner de ce qu’il a vu».

Une initiative personnelle

Le récit de Gabar touche à sa fin. Le restaurant kurde est vide, l’après-midi bien avancée et l’homme qui nous écoutait, dont se méfiait mon interlocuteur, s’est révélé être un «ami » des patrons. Le couteau est rangé. C’est donc le moment d’aborder une question délicate.

En décidant d’aller «tuer des Daech», Gabar n’a-t-il pas appliqué la décision du Président François Hollande qui était de tout faire pour éviter le retour des djihadistes salafistes français sur notre sol? Autrement dit, n’était-il pas en service commandé?

Tout en avertissant une nouvelle fois qu’«il faut prendre conscience que si beaucoup de Daech arrivent à s’en sortir, il y aura beaucoup d’explosions en Europe», l’ancien légionnaire répond qu’il n’est pas un mercenaire –«c’est interdit par la loi à la différence du volontariat»– et il répète que son départ est une initiative personnelle, à ses frais. Gabar se définit plutôt comme un «volontaire de la guerre d’Espagne».

«En France, les ex-militaires devenus des “contractants privés” disponibles pour rejoindre des zones de guerre forment un tout petit milieu, bien moins de 200 hommes sans doute. Ils se connaissent tous et sont surveillés par trois services de sécurité intérieure: le SCRT, la DRPP à Paris, et la DGSI», explique le journaliste spécialisé dans les questions de sécurité, Jacques Massey.

«Parmi ceux qui peuvent partir rapidement sur le terrain, les anciens légionnaires sont indubitablement les plus disponibles. Leurs activités n'échappent pas non plus à la DGSE, comme on l’a vu durant la guerre des Balkans où certains furent très précieux pour les forces croates. De ce fait, les initiatives vraiment individuelles sont rarissimes.»

De fait, pour l’organisation de son départ, puis lors de son arrivée au Kurdistan irakien, pour se rendre au Rojava, et enfin lorsqu’il a été blessé, Gabar n’était pas seul mais en binôme avec un autre ex-légionnaire qui a rempli des fonctions d’infirmier et a raconté son expérience sur la plateforme "originale et libertaire" Kedistan.

Hanté par une image

«Je suis arrivé pour tuer des Daech et j’en suis revenu en aimant le Rojava, c’est d’ailleurs pourquoi j’ai décidé d’y repartir», conclut Gabar. Avant que nous nous séparions, il me décrit cette dernière image qui le hante, lui qui en a «pourtant beaucoup vu».

C’était à Manbij, toujours et encore. «Je me battais à côté d’une jeune YPG. Cela faisait deux ou trois semaines qu’elle était sur le terrain. À un moment, effaré, je la vois se lever, poser son arme à ses pieds et rester debout immobile face à l’ennemi, comme s’offrant aux tirs redoublés.»

Gabar marque une pause. Lui, l’ancien apprenti boulanger devenu légionnaire, patriote français venu régler leur compte à ces «salopards de Daech» selon ses termes, avale sa salive: «La bataille de Manbij était terrible. La fille avait pété un câble. Elle est morte dans mes bras. En “martyr”, comme ils disent. Elle avait 17 ans.»

1 — Le tir à la libanaise consiste à tenir l’arme au-dessus ou en dessous de la ligne du regard Retourner à l'article

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